Sauvons la junk-food!


Sauvons la junk-food!

malbouffe burger quick king

Mes biens chers frères du diabète, des acides gras et du cholestérol, l’heure est grave. Et le suspense insoutenable… Le triple whooper de Burger King et ses oignons frits (onion rings) aux arômes de chewing-gum à la sardine, le double hot-dog au poulet frit de KFC (double down dog) et ses beignets de volailles par bassine de trente, le big breakfast à la margarine et au faux sirop d’érable de chez McDonald’s, la pizza tourte d’Uno Chigaco Grill aussi chargée en sel que vingt-sept mini-paquets de chips Lay’s[1. D’après une étude du magazine Eat this, not that !.], toutes ces merveilles du mauvais goût culinaire à l’américaine, véritables orgasmes à mâcher conçus en laboratoire par des cuistots chimistes qui savaient, eux au moins, nous faire planer, sont purement et simplement menacés de disparition !

Ce n’est pas juste un complot diététique ou un coup d’État des furies en sandalettes du régime « paléo », c’est une agression à grande échelle contre tout un art de vivre, une culture, presque un patrimoine. Une exception plus historique que culturelle, certes. Mais qui nous a tout de même permis de faire du gras pendant trente ans en prenant notre pied (et Dieu, que c’était bon !) : la junk-food… Oui, chers amis candidats à l’obésité morbide et à l’AVC en vol plané, notre sœur de graisse, la malbouffe, si souvent accusée à tort de tous les maux de la mondialisation, est aujourd’hui en danger de mort.[access capability= »lire_inedits »] La faute à qui ? À tous ces couillons de « millenials », ces crétins hyperconnectés, nés avec la fin du siècle dernier et l’Internet dans la culotte, qui ont fait des réseaux sociaux une arme redoutable contre les petits délices empoisonnés des fast-foods et des sodas. Rien qu’aux États-Unis, c’est presque 1,5 million d’honnêtes travailleurs sous-payés et déguisés en soubrettes de mangas pour adultes, qui pourraient ainsi perdre leur emploi à cause de cette génération numérique qui ne respecte plus rien, même pas les plaisirs hautement toxiques et boostés au glutamate de sodium de l’industrie lourde. Selon deux chercheurs américains, les très honorables Hans Taparia et Pamela Koch, professeurs à l’école Stern de New York et à l’université de Columbia, les 20-40 ans aux États-Unis sont, en effet, sur le point de porter un coup fatal aux géants du secteur (Burger King, McDonald’s, Pizza Hut, KFC, Wendy’s, etc) en leur préférant massivement d’obscures chaînes de bars à salades équitables (Sweetgreen), de burgers sans hormones (Shake Shack), de sandwichs sans additifs (Panera Bread) ou de tacos et burritos sans OGM (Chipotle), bien plus en phase avec la culture communautaire, narcissique et souvent très « écolo centrée » (disons le mot) de Facebook, Instagram et consorts. « 42 % des jeunes américains ne croient tout simplement plus au discours des grandes enseignes de fast-food », se désolent les deux chercheurs. « Trop de marketing bidon, de recherche sponsorisée et de lobbying auprès du gouvernement ont rendu leur parole quasi inaudible. Et le résultat se paye cash aujourd’hui ! »

Les ventes de McDonald’s et Burger King sont en chute libre dans de nombreux États (et pas seulement à New York), celles des sodas à volonté ont baissé de 25 % et même les grandes marques de friandises (Oreo, Mars, etc), dont on gave d’habitude les milk-shakes et les sundaes, se font désormais bousculer par Kind Bars, le nouveau géant des barres aux fruits 100 % naturelles. Évidemment. D’un côté de grandes multinationales avec d’immenses responsabilités, qui doivent redoubler d’efforts pour maquiller la nature réelle de leurs produits (poulet aux épices sans épices, etc.) et maintenir leur marge nette dans un marché hyperconcurrentiel avec des prix « plancher ». De l’autre, des start-up du produit frais en circuit court avec un story telling digne de Google (Shake Shack a démarré dans un kiosque à Manhattan, Sweetgreen dans une cabane en bois, etc), qui enflamment les réseaux sociaux dès qu’ils changent de fournisseur de carottes. Et ne dépensent – presque – jamais d’argent en pub tout en se permettant des prix à peine plus élevés pour une qualité incomparable (cinq dollars le burger de bœuf Angus chez Shake Shack).

Un combat inégal ? Depuis l’explosion des marchés de producteurs fermiers et des food hubs (l’équivalent de nos coopératives bio) sur l’ensemble du territoire américain (+ 200 % en dix ans), on peut le penser. D’autant plus que cette offensive harassante contre la junk-food gagne désormais l’ensemble de la restauration et de la grande distribution. Pour s’en sortir, McDonald’s a dû se convertir tant bien que mal au poulet sans antibiotiques, l’ogre des supermarchés General Mills virer les colorants trop voyants de ses céréales au marshmalow (Lucky Charms) et Kraft General Foods faire un grand ménage dans les émulsifiants de ses macaronis en boîte.

Mais le cœur n’y est plus. D’autant qu’au même moment, pour changer d’image ou préparer l’avenir, ces légendes de la malbouffe – pourtant jamais égalées dans leur créativité industrielle et sur leur territoire – doivent racheter à prix d’or des marques écolos à la noix qui ne rapportent pas un rond (820 millions de dollars pour le fabricant de pâtes « naturelles » Annie’s Homegrown) et investir des fortunes (50 millions de dollars pour Nestlé) dans la recherche de produits « plus sains ». Si on n’y prend pas garde et qu’on ne réagit pas assez vite, c’est tout un univers de parfums factices, addictifs et surpuissants – à côté desquelles on sait bien que le sexe n’est qu’un pis-aller – qui pourrait s’évanouir à jamais. Peut-on raisonnablement imaginer une vie sans stabilisants, épaississants, agents de texture, de charges ou de rétention d’eau ? Qui donc rêve d’une existence où le seul point break (la pression idéale d’une chips qui croque sous la dent pour un plaisir maxi) serait une salade romaine certifiée bio ? Tirer un trait sur la « disparition de densité calorique », ce leurre neurologique qui nous fait croire que le Curly n’est pas gras parce qu’il fond plus vite en bouche, est-il forcément un progrès ? Pas sûr.

Car déjà, la résistance à la dictature de la bouffe bien-pensante et proprette qui déprime le célibataire en virée, s’organise. D’abord aux États-Unis où la mode de la dude-food, la tendance des burgers hypercaloriques (plus de 1 000 calories minimum) les soirs de grande beuverie, offre de nouvelles parts de marché (totalement inespérées) au Chilli Cheese Burger X-Tra long, le dernier sandwich à 17,5 cm de long de Burger King. Ensuite en France où la filiale hexagonale de Mac Donald’s, bien plus présentable que sa maison mère américaine (José Bové leur a fait très peur), passerait presque pour une boucherie étable du Mézenc à côté de ses concurrents. Et où tout le monde attend – visiblement avec une certaine impatience – le « vrai » débarquement de Burger King et son King Croissan’Which (double croissant aux saucisses, bacon et œufs) après le rachat du réseau Quick et de ses 400 restaurants (toujours en discussion). Enfin au Japon, où l’on a pas mal d’années de junk-food à rattraper et où la fondue Burger King (sorte de cancoillotte tiédasse au cheddar, mozzarella, parmesan, emmental, bœuf et saucisses grillées) fait désormais un carton.Et aussi en Suisse où le célèbre McGrillschnagg de McDonald’s, la version helvète de l’orgie gallo-romaine à base de porc grillé, bacon, oignons frits, fromage fondu et galettes de pommes de terre (les « rösti »), force toujours le respect des exilés fiscaux. « Pour survivre, les grandes signatures de la restauration rapide sont pourtant contraintes de changer radicalement d’état d’esprit et de système de production, corrigent Hans Taparia et Pamela Koch. Pour certaines d’entre elles, c’est une question de mois ! Avec un devoir de transparence sur toutes les étapes de préparation. Même les marques de plats surgelés s’écroulent aujourd’hui face au rayon frais des supermarchés. » Seulement voilà. Et si l’avenir de la junk-food reposait surtout sur le fait que ses clients n’ont, en réalité, pas du tout envie de survivre ? Comme la drogue ou le tabac (Marlboro possédait autrefois Kraft et Nabisco, le créateur d’Oréo), il est des cuisines qu’on apprécie d’abord parce qu’elles sont vraiment mortelles.[/access]

*Photo: wikicommons.

Décembre 2015 #30

Article extrait du Magazine Causeur



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