Assurant que l’Égypte avait de l’électricité dès l’époque antique, le rappeur bouffi aux lunettes noires s’attire les railleries de tous.
Quand tout va mal, les consommateurs français se réconfortent en riant tous en chœur et à gorge déployée des fausses valeurs qu’ils ont eux-mêmes intronisées au Panthéon de la sous-culture du moment. Comme avec le Quasimodo de Notre Dame de Paris, c’est toujours après avoir couronné le Pape des fous qu’on le cloue au pilori pour lui tirer la langue et lui jeter des tomates pourries. Aujourd’hui comme au Moyen-Âge, rien ne plaît tant à la populace que les railleries et le lynchage en place publique des saltimbanques dont elle buvait naguère les vers insipides. “Vox populi, vox Dei”, soupirerait D.H Lawrence.
Non mais allo quoi
L’actualité devenant vraiment trop maussade, Maître Gims et ses pyramides électriques tombent à pic. Comme durant l’âge d’or de la télé-réalité, on attend avec une impatience malsaine la prochaine absurdité dont nous gratifiera une idole jetable.
Mais dans le cas du rappeur, l’affaire serait trop grave : la presse institutionnelle elle-même relaie avec engouement la rumeur de la déchéance du troubadour dans les abîmes du ridicule, comme le faisaient en leur temps ces pamphlets calomnieux qu’on se passait sous le manteau.
A lire aussi: De la susceptibilité à «l’offense»
Cela rassure le bon Français en lui rappelant qu’il trouvera toujours plus idiot que lui. S’il n’a pas lu la moitié des livres de sa bibliothèque, il y aura fort heureusement toujours un benêt qui, lui, n’en aura jamais ouvert aucun. On trouve aisément plus méprisable que soit, alors ne boudons pas notre plaisir. Si le Dîner de Cons est une comédie aussi réussie, c’est parce que le film est probablement l’un des meilleurs portraits de notre société si friande de moquerie condescendante et de franche méchanceté, pouffant volontiers de son voisin de palier pour lui rappeler quelle est sa place (et se rappeler quelle est la nôtre, par la même occasion).
Mais enfin, tout de même, puiser l’imbécile du moment dans le vivier du rap français : n’est-ce pas d’une facilité redondante ? Plongez la main dans un nid d’idiots, vous en sortirez forcément une poignée d’oisillons… Le troubadour à la petite semaine se couvrira de ridicule sans même y avoir été invité. Et les Français de ricaner fièrement dans leurs visages plissés, tels ces petits marquis poudrés sous les traits desquels tant de pays se plaisent à nous caricaturer.
De doux dingue à… ennemi de la société
Selon le Parisien, Maître Gims ne se contente pas de sortir des inepties, cela « frôle même le complotisme ». Le terrible mot est lâché, couvrant d’opprobre le malheureux qui ne peut plus cacher son hérésie derrière sa folie.
Vous pouvez croire en n’importe quel délire mais il ne doit en aucun cas impliquer le moindre complot dans sa structure dramatique, sinon vous n’êtes plus à ranger parmi les doux dingues mais parmi les ennemis de la société. On le sait, pourfendre le complotisme est devenu la priorité d’un pouvoir qui a pourtant, rappelons-le, invité en 2018 à l’Élysée Monseigneur Tom Cruise de l’Église de Scientologie, pour célébrer le 14 juillet ! Pour rappel, c’est cette église qui prétend qu’il y a 75 millions d’années, des extra-terrestres furent envoyés sur Terre par Lord Xenu afin de les brûler dans des volcans et que les Thetans, les âmes des extraterrestres exilés qui ont survécu au génocide, viennent s’accrocher à nous et nous renvoient des images de nos vies antérieures.
A lire ensuite: La métamorphose d’Ovidie
À ce niveau-là, même l’électricité en Égypte Antique est une théorie plus probante…
Entre croyances odieuses et croyances respectables, fausses sciences et vrai scientisme, on est vite perdu et démoralisé : heureusement, c’est là que l’idiot entre en scène. Il ressoude la nation en sortant deux-trois âneries devant les micros, balayant d’un revers de casquette tous nos petits différends. Nous voilà soulagés : nous ne sommes pas si bêtes puisque lui l’est bien plus que nous. On rira de bon cœur avant de se lamenter ensemble d’un ton convenu sur la décadence d’une époque qui décidément ne nous mérite pas. Bref, on se sent mieux. Excepté peut-être pour l’idiot choisi, c’est une histoire qui finit plutôt bien. Merci à lui pour ce beau moment de partage.
Il faut tout de même reconnaître que ce bon Maître Gims a de l’imagination à revendre. Ce dont nous manquons peut-être le plus…
Elisabeth Lévy: « L’idée que les centrales nucléaires ou les avions de demain seront construits par des gens qui croient aux foutaises de Gims n’est pas très rassurante »
La directrice de la rédaction de Causeur est à retrouver au micro de Sud Radio du lundi au jeudi, après le journal de 8 heures, dans la matinale.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !