Maigrir: une simple question de volonté?


Maigrir: une simple question de volonté?
Rachel Fredericton, une participante à l'émission «The Biggest Loser» (Photo : SIPA.AP21519351_000003)
Rachel Fredericton, une participante à l'émission «The Biggest Loser» (Photo : SIPA.AP21519351_000003)

Danny Cahill l’a mauvaise. Lui, grand gagnant de la saison 8 de « The Biggest Loser », qui avait fondu de 108 kg en sept mois — treize semaines dans le ranch de l’émission puis quatre mois de régime « en solitaire » — passant de 195 à 86 kg, n’a par la suite jamais réussi à se maintenir au poids qui a fait de lui la coqueluche des talk-shows américains dans la foulée de sa victoire en 2009. Six ans après, le recordman de l’émission affiche 133 kg sur la balance. Mince consolation, il peut se dire qu’il n’est pas le seul : sur les seize participants de la saison 8, seule une femme a réussi à se maintenir en dessous de son poids à la fin de l’émission. Les autres sont tous retombés dans leurs travers ; certains ont même dépassé leur masse d’avant la diète extrême.

Malgré leur désarroi, ces stakhanovistes du régime télévisé pourraient bien rendre un grand service à la science et enfin donner une explication à la théorie du « yoyo » qui condamne tant de personnes à reprendre leurs kilos perdus à la suite des efforts fournis. Le docteur Kevin Hall, expert en métabolisme au National Institute of Diabetes and Digestive and Kidney Diseases (NIDDK), a décidé de suivre pendant six ans les seize candidats de l’édition 2009 afin de comprendre l’évolution physiologique de ces personnes, ayant perdu énormément de poids en un laps de temps très court. Et il l’assure dans les colonnes du New York Times, les résultats sont « effrayants et incroyables. »

Il y a de quoi en effet. Le manque de courage et de volonté est souvent mis en avant pour expliquer la reprise de poids des ex-obèses à la suite d’un régime. Cependant, comme souvent, l’explication scientifique vient contrecarrer les mauvaises langues. L’étude du docteur Hall révèle que ce ne serait pas le mental des participants à l’émission qui est à blâmer mais bien leur métabolisme. Avant d’être enfermés dans le ranch de « The Biggest Loser », chacun avaient un métabolisme en accord avec leur morphologie. Autrement dit, leur organisme brûlait un nombre normal de calories par rapport à leur masse. Il apparaît alors que, à l’instar de l’horloge biologique, notre corps aurait donc une sorte de « balance biologique ». Et comme le premier peut être perturbé par une traversée rapide de fuseaux horaires, le second peut se retrouvé chamboulé par une baisse drastique de poids en un temps record. Nous serions confrontés à une sorte de « jetlag alimentaire ».

Un mécanisme de protection hérité de nos ancêtres

Durant l’aventure, les sept heures de sport journalières et les tablettes d’électrolytes comme seul encas ont eu raison de la surcharge pondérale des « grands perdants » mais ont, dans le même temps, entraîné un ralentissement de leur métabolisme. A la fin de l’émission, leur corps ne brûlaient pas assez de calories pour qu’ils puissent se maintenir au poids qu’ils avaient atteint au prix d’innombrables litres de sueur versés. Danny Cahill, qui est décidément le champion toutes catégories de cette téléréalité, flambe désormais 800 calories de moins par jour par rapport à ce qui est attendu pour un homme de sa morphologie. Même après avoir repris 45 kg six ans après, pour en peser donc 133 à ce jour, son métabolisme au ralenti continue de faire des siennes. Ce dernier lutte pour ainsi dire sans relâche pour revenir au poids initial du pauvre bougre.

Les autres participants ne sont pas en reste : Rudy Pauls, qui a failli ravir la première place à Danny avec 94 kg de moins à la sortie du ranch de la diète, brûle 516 calories de moins que la normale. L’anneau gastrique qu’il s’est fait poser après avoir repris 70 kg en cinq ans n’a en rien atténué le dysfonctionnement de son organisme. De son côté, Amanda Arlauskas, qui était passée de 113 à 73 kg, doit manger 591 calories de moins que ses semblables pour espérer se maintenir à poids constant. Afin de comprendre pourquoi le corps réagit ainsi, il faut se souvenir que ces mécanismes ont évolué pendant des millions d’années quand l’homme et ses ancêtres hominidés vivaient dans des conditions où la nourriture était rare et s’en procurer était difficile et dangereux. Ce qui est vécu aujourd’hui comme une malédiction par Dany et ses amis se révèle être en fait un avantage énorme quand vient la pénurie : face à un régime drastique que le corps vit comme une famine, il réagit en devenant plus efficace, dépensant moins de calories pour se maintenir.

C’est pas moi, c’est la leptine !

En plus du ralentissement inexorable de leur métabolisme, les participants à « The Biggest Loser » ont eu affaire à un autre trouble-fête : la leptine. Cette « hormone de satiété », comme son nom l’indique, régule le sentiment de faim. Un taux élevé de leptine indique au cerveau qu’un taux suffisant de graisses a été stocké dans l’organisme – la satiété intervient quinze minutes après l’ingestion des aliments – ce qui coupe la faim, alors qu’un faible niveau met en garde l’individu sur le peu de graisses présentes dans son corps et le pousse à s’alimenter afin de rééquilibrer les comptes. L’étude du NIDDK a démontré que les candidats de l’émission de téléréalité avaient un taux de leptine relativement normal lors de leur arrivée dans le ranch, mais que le régime draconien subit a totalement changé la donne. Au bout de plusieurs semaines d’efforts acharnés, leur taux de leptine, proche de zéro, les a rendus affamés en permanence. Le retour des kilos s’est ainsi accompagné d’une hausse sensible du niveau de l’hormone, mais celui-ci a stagné à peu près à la moitié de ce qu’il était avant que les candidats ne montent sur le tapis de course.

Additionnée au ralentissement du métabolisme, le faible taux de l’hormone peut donc justifier en grande partie la reprise de poids des participants, qui ne s’attendaient sans doute pas à autant de réticences de la part de leur organisme. Sans véritablement les consoler, ces explications leur ont néanmoins permis d’ôter de leurs épaules la responsabilité de cette reprise de poids. « Ce n’est pas aussi dramatique que si l’on vous disait que vous aviez une maladie, mais cela va dans le même sens. C’est comme entendre que vous avez une peine à perpétuité », déplore Sean Algaier, qui, avec 204 kg, pèse désormais plus lourd que lorsqu’il a débuté la saison 8 de « The Biggest Loser ».

La seule participante à avoir réussi à maintenir son poids à un niveau inférieur à celui de 2009, Erinn Egbert, se bat sans cesse contre son métabolisme et la faim pour ne pas rechuter : « Deux encas peuvent se transformer en une orgie pendant trois jours. C’est ce contre quoi je lutte. »

« Le corps met en place des mécanismes multiples pour vous ramener à votre poids initial. Si vous souhaitez maintenir la perte de poids, vous devez accepter d’avoir faim en permanence. Nous avons désespérément besoin d’agents pouvant supprimer la faim et qui seraient sans danger sur le long terme », explique le docteur Joseph Proietto, un spécialiste australien de l’obésité, qui a mené une étude sur la leptine et quatre autres hormones de satiété. Pfizer, le géant pharmaceutique américain, qui a flairé le bon filon, a commencé à tester une molécule sur des animaux dont l’action est semblable à celle de la leptine. Le but est de piéger les cerveaux de personnes ayant perdu du poids afin que le manque de leptine ne les pousse pas à se ruer vers le premier McDonald’s venu. Son développement n’en est qu’à ses balbutiements mais pourrait, à terme, représenter une grande aide pour les obèses désireux de perdre du poids et surtout une affaire en or pour Pfizer, qui dès lors pourrait inonder le marché américain où près d’un tiers de la population est obèse. En réalité, toute personne complexée par quelques kilos en trop pourrait en faire l’usage afin de faire bonne figure en maillot de bain, tout en espérant que ce remède miracle ne suive pas le même chemin que son cousin français, le Mediator.

Cette accumulation de déconvenues physiologiques pourrait bien décourager certains aspirants à la diète – ce qui est compréhensible –  cependant les experts outre-Atlantique s’accordent pour dire que la perte de poids raisonnable n’est tout de même pas sans espoir ; tous les individus ne réagissent pas de façon identique au régime. Et peut-être même finira-t-on par apprendre que dans notre société, qui a tendance à tout « pathologiser » pour souvent mieux nous déresponsabiliser, il reste encore une petite place pour la volonté, qui sait ?



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