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Un moment de paresse du commissaire Maigret


Un moment de paresse du commissaire Maigret

« Cela commença par une sensation de vacances. » Il faut situer la scène. Au mois de mars, sur la côte d’Azur, ce ruban de soixante kilomètres saupoudré de casinos, de criminels et de palaces, il fait déjà trop chaud pour le commissaire Maigret.

À peine descendu du train, il est cueilli par un local, le commissaire Boutigues, œillet rouge à la boutonnière, qui lui assure que, non, non, il ne fait pas trop chaud. Maigret n’est pas dans son assiette. Il lui arrive même de jeter le contenu de sa pipe sans l’avoir fumée. C’est dire.

Le soleil est là, le crime attendra

Alors que les plages ne sont pas encore envahies de vacanciers, le bougon commissaire se laisse hypnotiser par la vie sous le soleil du Midi. Le crime pour lequel on l’a appelé ? Secondaire, très secondaire… Il s’en occupera plus tard. Pour l’heure, il loge à l’hôtel Bacon, navigue entre Cannes et Antibes, boit des anis aux terrasses…

Récapitulons. Il y a un mort et deux femmes dans une villa, une vieille, une jeune, la maîtresse et sa mère. Pas étonnant que le défunt se soit ennuyé, pas étonnant qu’il ait cherché à prendre la poudre d’escampette. William Brown, c’est son nom, Maigret commence à s’y intéresser lorsqu’il tombe sur son portrait : ressembler comme deux gouttes d’eau à un homme mort dont il faut découvrir le meurtrier, ça n’arrive pas tous les jours.

« Pas d’histoires ! »

Enquête de voisinage, virée à Cannes, à la recherche de machines à sous, le seul indice, sans résultat : elles viennent d’être interdites et saisies par arrêté préfectoral. Pas de bol. D’autant que le Quai des Orfèvres a été clair avec le commissaire : pas d’histoires !

« Pas d’histoires ! », cela tombe à pic, c’est le mantra du Liberty Bar, une gargote où Brown allait en cachette retrouver ses deux autres femmes, l’énorme et alcoolique Jaja, qui était folle de lui, et la fringante Sylvie, dont il était fou.

Le Liberty Bar, il faut le voir pour le croire. Jaja cuisine des salades et du gigot, Sylvie se balade à moitié nue, on boit de la gentiane, la boisson de ceux qui ont tout vu, tout fait, tout entendu. Je n’y ai jamais goûté, l’immersion a ses limites, et la débauche absolue se mérite, c’est vrai. Au Liberty Bar, le temps s’est comme arrêté. Maigret est ensorcelé par ce pas-grand-chose de terriblement féminin.

C’est donc ça, la côte d’Azur

Il faut pourtant revenir un instant au crime qui nous amène. Entre pêcheurs d’oursins en eau limpide, promenades en fiacre et explosions de mimosa en fleur, un enterrement, tous frais payés par la famille Brown, richissimes commerçants de laine australiens. Cela se passe dans l’église, en plein milieu de la place du marché. Entre les fruits et les légumes, un corbillard grand luxe, suivi par quatre veuves éplorées. C’est donc ça, la côte d’Azur.

Pour une fois, Maigret est tenté de ne vraiment pas faire d’histoires, pour une fois, il est tenté de ne pas être Maigret, juste faire partie du décor. C’est aussi un métier à temps plein.

A (re)lire dans la même série: 

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Châteaux de sable et trafic d’armes

Rastignac à La Baule

Maigret : Liberty Bar

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étudie la sophistique de Protagoras à Heidegger. Elle a publié début 2015 un récit chez L'Editeur, Une Liaison dangereuse.

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