Un mythe tenace prétend que mai 68 a sonné le glas de l’école de papa. En réalité, le pédagogisme dominait les sciences de l’éducation depuis l’après-guerre. Mai n’a fait qu’accélérer la destruction d’un modèle scolaire fondé sur la rigueur et la transmission au profit de la « rénovation pédagogique ».
En avril 2007, Nicolas Sarkozy, amateur de formules-chocs sans lendemain, annonçait vouloir « tourner une bonne fois pour toutes la page de Mai 68 », qui avait « liquidé l’école de Jules Ferry ». Ainsi reprenait-il à son compte le mythe idéologique fixé en 1981 par la gauche mitterrandienne. Or, la bavarde révolution adolescente n’a pas « liquidé l’école de Jules Ferry »… tout simplement parce que le processus de déracinement culturel avait commencé bien plus tôt.
Dans les années 1960, des enseignants, des chercheurs, parfois idéalistes, souvent politisés à gauche, avaient déjà fondé des associations, organisé des colloques, animé des revues pour s’imposer auprès des pouvoirs publics et des médias comme les « experts » de ce qu’ils nommaient la « rénovation pédagogique ». Mai 68 ne fut qu’un accélérateur de la destruction d’un modèle scolaire fondé sur la transmission rigoureuse de savoirs scientifiques et culturels par des maîtres auxquels on reconnaissait autorité et expertise, notamment par l’abolition des hiérarchies discursives : chacun peut s’exprimer, même pour aligner lieux communs ou inepties. C’est l’égalisation des jugements par l’égalité de la parole qui se déverse sans cadre, sans butée, ni même l’intelligence du sujet abordé.
« L’ecole nouvelle », une histoire ancienne
L’Éducation nationale devint ainsi ce lieu de bavardages ne produisant plus grand-chose d’intelligible pour les enseignants, les familles et les élèves. Le verbiage des experts en « sciences de l’éducation » sature l’espace depuis près de cinquante ans, enfermant l’école dans un logos grotesque. La généalogie de cette doxa enkystée au cœur de l’institution permet de comprendre pourquoi il est difficile d’en venir à bout, et pourquoi tant de ministres se contentent de vilipender les mots et de laisser filer les choses…
La doxa pédagogiste prend racine dans un mouvement apparu à la fin du XIXe siècle en Europe : l’Éducation nouvelle. Des praticiens de l’enseignement et quelques théoriciens marqués par un certain rousseauisme aspirent à renouveler radicalement les méthodes d’enseignement. Des « écoles nouvelles » voient le jour dans les années 1890, mais ne survivent pas au-delà des années 1930.
