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Magda la douce

Que goûter en priorité ? Tout !


Magda la douce
"Chez Magda", dans le 19ème arrondissement de Paris / PHOTO : Hannah Assouline

Contrainte d’abandonner sa Géorgie natale, Magda a trouvé refuge à Paris. Dans une baraque plantée à La Villette, elle démontre que la grande cuisine peut se passer de fastes. Ses plats généreux, corsés d’épices et arrosés de bon vin, offrent une certaine idée de la douceur de vivre.


En vingt ans, le statut social des chefs a totalement changé. En l’an 2000, beaucoup portaient encore la toque et ressemblaient à des aubergistes. Certains allaient acheter leurs poulets et leurs salades chez les paysans du coin et vous servaient des radis en guise d’amuse-bouche. Ils se contentaient de faire de la bonne cuisine et laissaient à leur femme (ou à leur mère) le soin de recevoir les clients en salle. Il y avait un lien nutritionnel et émotionnel direct entre la main du chef et le client désireux de se restaurer, de se faire du bien… On allait « chez » un tel parce qu’on savait qu’on y serait bien traité et nourri, dans un rapport d’égalité et de fraternité.

Aujourd’hui, les chefs revendiquent le statut de créateurs, d’artistes, de coachs, de consultants. Beaucoup sont devenus des stars médiatiques indispensables à l’industrie agroalimentaire pour laquelle l’innovation permet de répondre à la saturation des besoins : il faut créer sans cesse de nouvelles recettes et de nouveaux produits pour relancer la consommation. On les admire alors qu’ils étaient autrefois cachés derrière les fumées de leurs casseroles. Mais le soufflé ne serait-il pas sur le point de retomber ? « C’est moi qui ai fait sortir les chefs de leur cuisine, aujourd’hui, j’aimerais qu’ils y retournent », nous confiait Paul Bocuse en 2017, quelques mois avant sa mort.

Las, de plus en plus de gastronomes se détournent des restaurants (où on ne va plus pour manger, mais pour « vivre une expérience » et « avoir une émotion esthétique ») et s’en vont chercher leur plaisir ailleurs, car ce qu’ils veulent désormais, c’est la douceur, la tendresse, la simplicité, le réconfort.

Vous trouverez tout cela « Chez Magda », dans le 19e arrondissement de Paris, au pied de la rotonde construite par Claude-Nicolas Ledoux en 1784. « Chez Magda » n’est pas un restaurant mais un boui-boui, une cabane en bois avec quelques tables disposées en plein air sur une terrasse qui offre une belle perspective sur le bassin de La Villette. Heureusement, le « ménage » a été fait l’an dernier : les dealers et les drogués qui rendaient la vie du quartier de Stalingrad impossible ont été déplacés ailleurs…

Magda est une femme extraordinaire qui vous regarde avec franchise et bonté. De nationalité géorgienne, elle est née en 1981 à Moscou. Ses parents médecins possédaient une clinique réputée à Tbilissi, la capitale de la Géorgie. Magda y a exercé la profession de dentiste pendant onze ans, jusqu’à ce que le gouvernement décide de réquisitionner l’établissement en 2005 : « Ce gouvernement est une vraie mafia. En une nuit, nous avons tout perdu. Nous nous sommes battus, nous sommes allés en justice, mais comme nous recevions des menaces de mort, nous avons dû fuir en Ukraine en 2009, où nous sommes restés quatre ans. Nos ennemis ont fini par retrouver notre trace et nous avons compris qu’il nous fallait partir ailleurs ».

En 2013, Magda est à Paris où elle obtient immédiatement un statut de réfugiée politique. « L’accueil et l’aide que j’ai reçus en France ont été exceptionnels. Au début, l’association France Terre d’asile m’a orientée et soutenue. Il y avait une assistante sociale, prénommée Violette, qui était passionnée de cuisine. C’est elle qui m’a donné l’idée de cuisiner des recettes de mon pays et d’en faire un livre pour m’en sortir ». Peu à peu, Magda apprend à parler le français et découvre que la Géorgie et la France ne sont pas si éloignées que cela : « Nos deux peuples ont été façonnés par le christianisme et nous partageons le même amour du vin et de la bonne chère. Les Géorgiens sont juste un peu plus conservateurs ! »

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L’autre ange gardien de Magda est le chef Stéphane Jégo, dont le bistrot L’Ami Jean (rue Malar, dans le 7e) est une institution parisienne. « Il m’a aidée à construire mon échoppe, m’a donné des ustensiles et des conseils pour que je fasse découvrir aux Français les trésors de la cuisine géorgienne ».

En 2019, la cabane de l’ancienne dentiste de Tbilissi est construite. En apparence, une simple gargote perdue au milieu d’un quartier malfamé… Mais voilà, les plats traditionnels qu’elle mitonne émeuvent par leur rondeur et leur sensualité. « En Géorgie, nous utilisons beaucoup d’herbes et d’épices, comme la coriandre, le fenugrec bleu et les pétales de souci qui donnent une belle couleur jaune aux plats. La noix est aussi omniprésente dans les sauces, les crèmes et les desserts. Étrangement, c’est une cuisine assez proche de l’indienne ! »

Que goûter en priorité ? Tout ! En entrée, on se délecte du khachapuri qui est une galette moelleuse au fromage absolument sensationnelle. Le chkmeruli est un classique à base de poulet rôti au four puis macéré dans de la crème à l’ail et aux épices. Le lobio, quant à lui, est un ragoût aux haricots rouges qui fait étrangement penser au chili mexicain… Si vous aimez les raviolis, précipitez-vous sur les énormes khinkali farcis au bœuf haché, aux oignons, aux herbes et aux épices. La douceur de Magda atteint son paroxysme dans ses desserts qui sont la délicatesse même, comme son pakhlava (gâteau de noix aux raisins secs) et son pelamushi, un soufflé à base de jus de raisin, de farine de maïs et d’amandes.

Ce voyage des sens ne serait pas complet sans les vins de Géorgie cachetés à la cire et appelés qvevri, dont l’invention remonte au Néolithique, 6 000 ans avant J.-C. Ces nectars (qui étaient expédiés à Ispahan pour la table du shah) proviennent de grandes amphores en argile enterrées dans le sol à l’ombre des lauriers. Le jus des raisins, au contact des peaux et des rafles, a ainsi fermenté sous terre, au frais, pendant des mois ! « Quand le temps est venu, dit Magda, on ouvre ces amphores, le parfum du vin se répand, et il est alors d’usage chez nous d’organiser des banquets qui sont de vraies cérémonies ! » D’une belle couleur orangée, ces vins primitifs riches en tannins ont le goût et la fraîcheur de l’amitié partagée.

Chez Magda

6-8, place de la Bataille de Stalingrad, 75019 Paris

Repas à 15-20 euros




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Journaliste spécialisé dans le vin, la gastronomie, l'art de vivre, bref tout ce qui permet de mieux supporter notre passage ici-bas

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