Et si l’on revoyait le film de Just Jaeckin dans sa version restaurée avec Françoise Fabian en mère maquerelle de haut standing?
Il y a un plaisir non coupable à revoir ce film de mai 1977 dans notre époque qui chasse le téton et prône l’émancipation par l’auto-entreprenariat. Dans les vapeurs d’alcôve, poudrée à saturation, avec ce grain voilé si caractéristique de la décennie, censé alors rehausser la qualité esthétique de l’image, surgissait une « Madame Claude » des beaux quartiers. Habillée par Guy Laroche, chapeautée à la Garbo, les lèvres soulignées d’un rouge carmin, à l’arrière d’une limousine Mercedes avec chauffeur, Françoise Fabian passait de la Maud de Rohmer à la Claude de Jaeckin sans se départir de son aura tentatrice. Elle possédait cet érotisme sulfureux qui fut longtemps l’apanage des bourgeoises-amazones avant qu’elles ne se décident à militer pour les droits de l’Homme et renoncent à leur charme vénéneux. Le réseau de call-girls de « Madame Claude » avait ce côté poisseux des dessous de la République, sa fesse sombre, arrangements policiers et renseignements sous la couette, toute la mythologie du « gai Paris » avec Giscard à la barre. Diplomatie à l’horizontale et parties de chasse en Sologne, la France tirait ses dernières cartouches des Trente Glorieuses. Autrefois, les grands de ce monde apprenaient notre langue en pratiquant le sexe hautement tarifé. Ils visitaient la capitale, le gland à la main, l’Assimil dans la braguette. Aujourd’hui comme hier, sur Netflix en biopic ou en VHS fatiguée, la prostitution de luxe est un sujet vendeur, fourre-tout, où le bon peuple peut nourrir sa haine des puissants et leur prêter toutes les turpitudes possibles. On peut faire dire tout et son contraire à ce fait de société. Des souvenirs polissons au trafic d’êtres humains, de l’accessoire au servage, de l’anecdotique au pathétique, de la gaudriole au salace, l’échelle des valeurs varie au gré des indignations. En 1977, Just Jaeckin photographe de mode starisé par « Emmanuelle » s’empare des « Mémoires de Madame Claude » écrites par Jacques Quoirez, le frère de Françoise Sagan, présenté dans la littérature de l’époque comme testeur en chef du réseau. Son rôle est tenu à l’écran par un Maurice Ronet, initiateur crépusculaire, avec juste le dégoût nécessaire pour rendre son personnage crédible. Dans ce polar légèrement dénudé, entre CIA et barbouzeries, casting international et agence de tops models, il n’y a pas de vérité historique à rechercher. Serge Gainsbourg signe la musique et Françoise Fabian, au mental d’acier délicatement ébréché, fascine par sa sécheresse et cette voix soupçonneuse qui semble toujours agresser pour mieux séduire. Elle fait du macrotage en jupons, une leçon de management à destination des jeunes travailleuses du sexe. Ce qui pouvait sembler un peu kitsch et démonstratif en 1977 prend une patine en 2021 dans cette version master haute définition qui comprend en bonus le documentaire « Les confessions de Madame Claude » d’une durée de 55 minutes. Certains flottements de la caméra, le flou comme mise en scène suggestive, font de cette œuvre parfois sous-estimée, à mi-chemin entre le thriller et l’étude de mœurs, un moment hors du temps. Avouons-le, terriblement addictif dans l’évocation d’un passé fantasmé et dont même les errements esthétiques forment de belles rides sur la pellicule. Just Jaeckin, promoteur inspiré d’un art de vivre décadent, filme avec volupté cette fin des années 1970. Quand la permission et la soumission jouait un entrelacs malsain. Jaeckin fut le talentueux étalagiste de la vitrine France. Le film s’ouvre ainsi sur le nez aquilin d’un Concorde de la British Airways. Il fait appel aux mannequins Dayle Haddon, Vibeke Knudsen et Yva Setterborg pour capter l’attention du spectateur. Rappelons pour mémoire les mensurations de Marie-Christine Deshayes, également à l’affiche du film et mannequin de l’agence Elite, ère John Casablancas, située rue d’Artois dans le VIIIème arrondissement : Hauteur 1,76/Poitrine 85/Taille 60/Hanches 89/Confection 38/40/Chaussures 40/ Gants 7½/ Cheveux bruns/ Yeux bruns. Pour faire peur, il fallait un méchant dans l’histoire, un affairiste fou à l’accent tranchant et à la blondeur gominée, Klaus Kinski en est la caricature. Il est embauché et on lui octroie un fils, le tout jeune comédien Pascal Greggory. Après La Mandarine de Molinaro, Murray Head continue à interpréter les jeunes anglais désœuvrés. Il est bizarrement doublé par Pierre Arditi ce qui rend le visionnage décalé mais pas désagréable pour autant. Et puis surtout, Jaeckin recrute deux seconds rôles de premier plan du cinéma français : André Falcon et François Perrot. Il suffit de les voir pour que notre mémoire se mette à tournoyer. Ils ont la raideur administrative nécessaire à leur fonction. Madame Claude est comme ces parfums, un peu trop voluptueux et chargés, qui ouvrent les vannes du passé.
Madame Claude de Just Jaeckin – DVD Nouveau Master Haute définition
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