La polémique autour du choix du rappeur Youssoupha pour écrire l’hymne des Bleus pour l’Euro 2021 n’en finit pas. Son titre « Écris mon nom en bleu », loin de faire l’unanimité, a pourtant obtenu le soutien de Roselyne Bachelot
Madame la Ministre (1),
En tant que simple citoyen, je me permets de m’adresser à vous pour vous exprimer ma stupeur et ma consternation. Stupeur, à l’annonce de votre soutien indéfectible au rappeur portant le pseudonyme de Youssoupha et choisi pour composer et interpréter l’hymne officiel des Bleus lors de la prochaine Coupe d’Europe de football. Ce choix ne vous gêne en rien, avez-vous déclaré. Mieux encore, en servante zélée et pour « en remettre une couche », comme on dit dans les hautes sphères de notre société, vous avez ajouté que vous aimiez beaucoup cet artiste. Au point d’assister à ses concerts pour, j’imagine, partager l’enthousiasme de ses fans lorsqu’il daube sur notre pays – pardon, sur son pays – et appelle au meurtre ou au viol de ceux qui ont l’outrecuidance de ne point abonder dans le sens de ses propres vues politiques.
Vos propos, colportés dans les médias, provoquent, de surcroît, ma consternation. Je vous prenais jusqu’ici pour une personne sensée. L’une des plus pondérées d’un gouvernement dont la manœuvre est cousue de fil blanc (si j’ose user d’une expression aussi suspecte…) : il s’agit à l’évidence de se concilier les « quartiers ». Peut-être dans l’espoir fallacieux de diminuer de quelques kilos le stock de cannabis en vente sur le marché ? Ou le nombre de voitures calcinées à la moindre occasion ? Peut-être cette stratégie dissimule-t-elle des visées encore plus noires (si j’ose encore, cf plus haut) ? Allez savoir…
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Quoi qu’il en soit, Madame la Ministre, je pensais que vous deviez la fonction que vous exercez à une compétence bâtie sur une connaissance, même sommaire et incomplète, des éléments fondateurs de notre culture depuis des siècles. Que vous étiez chargée de la protection de tous les arts et de tous les artistes ; non de surfer sur la mode et les sondages pour voler au secours d’un éminent penseur – au demeurant fort contesté dans son propre milieu. Je pensais, dans ma candeur, que votre talent de musicienne, votre goût bien connu pour l’opéra, vous sauverait du ridicule de telles déclarations. Je me trompais. Vous vous trémoussiez avec les troupeaux de jeunes et applaudissiez à tout rompre aux invectives de votre poète d’élection, quand je vous imaginais vibrant au son des trompettes d’Aïda.
Mon préjugé favorable à votre égard se fondait sur le peu que j’avais cru déceler de vous : un certain sens de l’humour, une réelle facilité d’expression, une culture scientifique bien réelle. Vos diverses interventions à la radio (« Cent pour Cent Bachelot ») ou à la télévision (« Les Grosses Têtes ») avaient contribué à forger cette image de vous aussi flatteuse que trompeuse. Je reconnais mon erreur et bats ma coulpe « et menu et souvent », comme Roland à Roncevaux. Il n’empêche, je cherche à comprendre et à expliquer un tel comportement.
Sans doute me répondriez-vous, si tant est que j’attende de vous une quelconque réponse, que vous étiez en service commandé. Que le président doit, coûte que coûte et à tous les étages de la société, engranger des voix, quel que soit le moyen. Que vous avez seulement rempli votre rôle de petit soldat en montant au créneau, quitte à renier vos propres sentiments pour servir la cause pour laquelle vous avez été recrutée. « Paris vaut bien une messe », assurait Henri IV. Au demeurant, vous pourriez invoquer un précédent, celui de Jack Lang promouvant le tag au rang des beaux-arts. Voire celui du président Macron lui-même mettant en doute l’existence réelle d’une culture française.
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Vous pourriez aussi incriminer à bon droit ma naïveté sans bornes. Car passer pour l’érudite de la bande chez Laurent Ruquier ou faire valoir sa faconde sur les ondes de RMC ne peuvent engendrer, au mieux, qu’un préjugé favorable, non une certitude bien ancrée. Du reste, compte tenu de la dureté des temps, qui oserait vous reprocher d’avoir opté pour la gamelle bien remplie plutôt que pour les incertitudes de l’existence d’un histrion ?
Ainsi, Madame la ministre de la Culture, vous m’avez cruellement déçu. Si le rappeur susdit a gagné en votre personne une admiratrice enthousiaste, vous avez, vous, perdu en la mienne quelqu’un qui vous accordait un préjugé favorable et une sympathie désormais défunte.
Avec toute ma considération désabusée,
Jacques Aboucaya
(1) Vaugelas se fût arraché les cheveux devant la féminisation de l’article qui précède le substantif masculin « Ministre ». Si je sacrifie à la mode du temps, c’est pour éviter de passer, d’entrée de jeu, pour un affreux réac, ce qui aurait pour effet de diriger cette lettre vers la poubelle, avant même d’être lue.
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