Demain, les femmes


Demain, les femmes

mad max theron

On se souvient encore du premier Mad Max, celui avec Mel Gibson, arrivé dans les salles en 1982. Il était précédé d’une aura sulfureuse d’ultraviolence et avait mis trois ans à venir en France à cause de démêlés avec la censure. C’est Mad Movies qui le disait, le fanzine des amateurs du cinéma d’horreur, de gore et de SF. On en faisait partie. À l’époque, cela n’avait pas la cote. C’était à peine au-dessus du porno. On se souvient pourtant encore du choc. George Miller, le metteur en scène australien, possédait une forme de rage héritée du Nouvel Hollywood des seventies. La même radicalité aussi. En même temps, quand on tourne un film sans un rond, ou on est radical, ou on est nul. Baudelaire appelait ça la jouissance éternelle de la contrainte et c’est cette radicalité-là que l’on trouve encore dans le cinéma-bis aujourd’hui, ces fameux films d’épouvante interdits aux moins de seize ans : ils fourmillent, que ce soit en Europe ou aux USA, de metteurs en scènes brillantissimes et encore inconnus qui osent tout, parfois pour le pire, souvent pour le meilleur car ils n’ont rien à perdre.

C’est pour cela qu’on avait un peu peur pour ce Mad Max, estampillé Fury road. Voir George Miller reprendre sa franchise trente-cinq ans après, avec les moyens d’une superproduction, ce n’était pas forcément une bonne idée au départ. Il y avait un risque d’aseptisation : le Mad Max de 79 était une fable janséniste, violente, dépouillée sur la lutte à mort entre flics en V8 et motards dégénérés, sur fond d’Australie désertique bouffée par le choc pétrolier. Qu’allait-être celui de 2015? Eh bien disons-le tout net, un chef-d’œuvre: il ne s’agit pas d’un remake avec tout l’arsenal pyrotechnique et numérique des effets spéciaux ramenards mais plutôt un mix des trois avec Mel Gibson au service d’une nouvelle vision, bien surprenante.

Le personnage, incarné par Max Rockatansky, intelligemment mutique, est bien celui de Mel Gibson dans Mad Max I. La poursuite acharnée entre un groupe qui cherche à survivre et des chefs de guerre qui les poursuivent dans des véhicules tous plus monstrueux les uns que les autres, c’est Mad Max II. Et l’on retrouve aussi la réflexion sur l’utopie possible qui était au cœur du Mad Max III avec la toute divine Tina Turner.  Mais cette recréation dans Fury road est tout sauf une resucée. Nous sommes dans un monde désertique où les petits lézards ont deux têtes, un monde qui a été dévasté par la pollution, la disparition des énergies fossiles et de l’eau ainsi que par la pollution qui a créé une humanité aux trois quarts malade, ayant subi à des degrés divers des mutations génétiques. Le pire, c’est qu’en 2015, cela ne nous semble finalement pas plus invraisemblable que ça. Ces peurs écologiques et politiques, qui travaillent l’inconscient collectif depuis trois générations, sont devenues encore plus prégnantes : la guerre à bas bruit généralisée de tous contre tous, la mondialisation prédatrice, les catastrophes climatiques sont passées par là.

Fury road ajoute aussi un enjeu nouveau qui fait le vrai ressort dramatique du film : c’est le ventre des femmes. Pour avoir des enfants normaux, il faut que les chefs sélectionnent les rares qui sont viables. Un seigneur de la guerre contrôle l’eau, un autre les armes et un troisième le pétrole. Ils s’entendent comme s’entendent aujourd’hui les grandes multinationales mais le problème demeure: comment avoir de la main-d’œuvre qui ne meure pas trop vite. Alors quand la conductrice d’élite Furiosa (incarnée par la bad girl archétypale Charlize Thero)  fuit en emmenant avec elle les jeunes reproductrices du chef Immortan Joe, un fou furieux post-viking qui a fanatisé des esclaves leucémiques dépendant de lui pour les traitements, la traque infernale commence.

C’est là que le film prend une dimension étonnamment féministe. Max ne sera pas le héros, il est indécis, poursuivi par des visions du passé, il a même du mal à tirer juste comme dans cette scène où il ne reste que trois balles dans un fusil de sniper pour stopper un poursuivant, qu’il rate ses deux premiers tirs et qu’il cède bon gré mal gré l’arme à Furiosa qui se sert de lui comme d’un banal affût pour faire, elle, un carton plein.  Et ce sont les restes de l’ancienne tribu de Furiosa, uniquement composée de vieilles femmes, qui seront décisifs dans la victoire.

Si Fury Road hante à ce point, c’est aussi que Miller pousse très loin la logique des précédents Mad Max pour recréer un univers total qui a sa logique propre: les personnages usent par exemple d’un nouveau langage comme les voyous d’Orange Mécanique, langage qui nous en raconte plus sur l’histoire et l’état présent de cette société que ces artifices narratifs que l’on trouve trop souvent dans les films post-apocalyptiques: voix off ou traces du passé trouvées par hasard. Il faudrait aussi parler de cette poésie effroyable et fascinante du couplage homme/machine que seul un Cronenberg dans Videodrome, Crash ou ExistenZ avait su pousser à ce point.

Bref, le Max version 2015 tient autant de la SF  gonflée comme un moteur trafiqué que d’un cauchemar de Lautréamont, ce qui finalement n’a rien de contradictoire.

Mad Max : Fury Road de George Miller, en salle depuis le 13 mai



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