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Banderoles anti-Macron: outrage au chef de l’État ou liberté d’expression?


Banderoles anti-Macron: outrage au chef de l’État ou liberté d’expression?
Des bannières de protestation contre le gouvernement pendant le confinement. Toulouse, avril 2020. Fred Marie / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Une Toulousaine s’est retrouvée en garde à vue pour avoir déployé une banderole « Macronavirus » devant son domicile. La loi française permet-elle d’afficher un tel message ? 


En ce début de printemps fleurissent les banderoles, en hommage aux soignants, que l’on applaudit religieusement à sa fenêtre tous les soirs à 20 heures et d’autres bourgeonnent, un peu plus polémiques, revendicatives, corrosives, militantes et peu amènes à l’endroit du chef de l’État.

C’est ainsi que pour une banderole apposée devant sa maison, une habitante de Toulouse a subi deux heures de garde à vue pour « outrage à personne dépositaire de l’autorité publique ». Elle avait écrit devant sa façade « Macronavirus, à quand la fin ?! ».

La banderole polémique aura été virale, faisant le tour des réseaux sociaux et suscitant, pour son auteur, une vague de soutiens condamnant un usage du droit pénal à des fins politiques.

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Outrage au chef de l’État ou liberté d’expression ? Liberté d’opinion ou atteinte à l’ordre public ? Finalement, le parquet de Toulouse a classé sans suite. Les libertés publiques ne sont pas encore totalement confinées…

Une tradition française

Peut-on procéder à un affichage libre de banderoles à son balcon ? En principe oui, sous la réserve éventuelle de prescriptions d’urbanisme, en particulier si l’immeuble en question fait partie d’un secteur sauvegardé, d’un site patrimonial remarquable ou s’il est situé dans un parc naturel. Et pour cela, les Français ne se privent généralement pas de le faire :  banderoles de soutien aux soignants, drapeaux pour les fêtes nationales ou sportives, revendications politiques, etc…

Peut-on procéder à un affichage pour importuner publiquement et impunément le chef de l’État ? L’article 26 de la loi du 29 juillet 1881 faisait courir à ceux qui, soit par des discours, soit par écrit, portaient atteinte à la dignité du chef de l’État, une peine d’amende de 45 000 euros. Jusqu’en 2013, le délit d’offense permettait de sanctionner les injures proférées à l’encontre du président de la République. 

En protégeant le chef de l’État, cette disposition avait pour fonction non de défendre l’homme, mais l’État. Elle aura été beaucoup utilisée sous la présidence du Général de Gaulle, lorsque l’instauration de la Vème République, en tant qu’elle signifiait la domination de l’exécutif sur le pouvoir législatif, faisait l’objet des plus vives critiques mais également lorsque que le pays était profondément divisé sur la question algérienne, au bord de la guerre civile. Aujourd’hui, n’en déplaise au Président de la République, nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes simplement en état d’urgence sanitaire.

Macron n’a pas besoin d’être offensé

Si l’infraction d’offense au chef de l’État a perduré jusqu’en 2013, elle était pourtant largement tombée en désuétude, en particulier depuis que Valéry Giscard d’Estaing avait, dès le début de sa présidence en 1974, annoncé qu’il renoncerait à se prévaloir de cette infraction, quelle que fût la virulence des critiques proférées à son endroit.

À compter de cette même date, 1974, la France ratifiait la Convention européenne des droits de l’homme et se soumettait alors à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg qui fait preuve d’une très grande libéralité sur cette question. Si elle demeurait gravée dans le marbre de la loi, l’infraction d’offense au chef de l’État était privée d’effet, le juge européen faisant primer la liberté d’expression, considérant que, par principe, une personnalité publique est nécessairement soumise à la critique.

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Il n’existe donc plus de crime de lèse-majesté et le Président de la République bénéficie de la même protection que n’importe quel citoyen, c’est-à-dire la loi du 29 juillet 1881 sur la presse condamnant l’injure et la diffamation.

On peut regretter la disparition de cette infraction mais nul doute par ailleurs que le Président de la République a le cuir suffisamment épais pour ne pas se laisser impressionner par quelques invectives pouvant lui être adressées depuis une banderole toulousaine. Il nous avait déjà prouvé qu’il savait remettre en place un jeune blanc bec l’interpellant sur le ton désinvolte d’un « Manu » lors d’une cérémonie au Mont Valérien.

Et puis, le Président de la République lui-même n’avait pas besoin d’être offensé pour dégrader sa fonction de son propre chef, que ce soit lors d’une fête de la musique organisée à l’Élysée ou à l’occasion d’un déplacement aux Antilles.

Va pour une banderole

En démocratie, il est important que le peuple puisse s’exprimer et cette exigence est d’autant plus renforcée lorsqu’il se retrouve privé des urnes. Que ce soit à l’occasion des élections municipales pour cause de virus ou, comme l’an passé, lorsque le président de la République, qui avait toute latitude pour donner la parole au peuple en procédant à la dissolution de l’assemblée, avait préféré se lancer dans un grand monologue national…

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Cette exigence est renforcée une fois encore lorsque le pays se retrouve dans un état d’urgence. Si les conditions sanitaires ne permettent pas de garantir le respect des libertés publiques, nous restons dans un État de droit et il est important que les principes fondamentaux soient appliqués. Le 1er mai, traditionnel rendez-vous de la contestation sociale, ne peut se tenir dans des conditions normales, cette contestation doit cependant pouvoir trouver un support à son expression, alors va pour une banderole.

Le régime de l’état d’urgence sanitaire, tel qu’il résulte de la loi du 23 mars 2020, a initialement été prévu pour durer deux mois, soit jusqu’au 24 juin. Il pourrait être prolongé de deux mois supplémentaires. 

Dans ce régime d’exception, des pouvoirs exceptionnels sont confiés à l’exécutif qui ont pour effet de restreindre considérablement les libertés publiques (mesures limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion, mesures d’interdiction de déplacement hors du domicile, réquisition de tous biens et services nécessaires pour mettre fin à la catastrophe sanitaire, contrôle des prix, …). Il faut désormais en France disposer d’une attestation de sortie dérogatoire pour aller acheter une baguette de pain, tout de même !

Si dans le cadre de cet état d’urgence sanitaire, l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent contrôler et évaluer les mesures prises par l’exécutif, le Parlement ne peut décider de mettre un terme à cet état d’exception avant l’expiration du délai de deux mois. En cela, ce régime comporte le paradoxe de s’avérer plus rigoureux que celui de l’état d’urgence habituel (où le Parlement donne son habilitation au bout de douze jours) et que celui de l’article 16 (les pleins pouvoirs confiés au Président de la République) dans le cadre duquel, un mois après son adoption, le Conseil constitutionnel peut estimer si les conditions nécessaires à son adoption demeurent réunies.

Sous couvert de bonnes intentions, l’État peut avoir tendance à profiter de certaines situations pour entreprendre des mesures inutilement contraignantes. On peut penser à la loi renseignement adoptée à la suite des évènements de 2015 ou encore la proposition de loi Avia (sur laquelle je me serais déjà trop étendu) qui, au motif d’une lutte bienveillante contre la haine, entend entreprendre un travail de sape de la liberté d’expression.

Parce qu’il est rigoureux tant dans son principe que dans son application, l’état d’urgence sanitaire doit pouvoir être discuté, notamment sur une banderole. En état d’urgence sanitaire, l’atteinte drastique faite aux libertés publiques, aussi justifiée soit-elle par l’impératif de santé publique, doit nécessairement être contrebalancée par l’exercice de la liberté d’expression. La critique doit être permise, elle doit être encouragée. Bien sûr, elle n’en sera que meilleure si elle est constructive.



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