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Celui qui croyait au progrès, celui qui n’y croyait pas

Le "Dictionnaire du progressisme" (Les éditions du Cerf, 2022)


Celui qui croyait au progrès, celui qui n’y croyait pas
Eric Zemmour et Emmanuel Macron © SarahMeyssonnier/ AP/SIPA © CHANG MARTIN/SIPA

Alors que la présidentielle française devrait voir s’affronter progressistes et conservateurs dans quelques jours, Christophe Boutin, Frédéric Rouvillois et Olivier Dard publient leur Dictionnaire du progressisme, réjouissant recueil d’idées politiques sur ce courant politique impitoyable qui pourrait noyer l’ancien monde.


Un carré rouge, des titres blancs et de la somptueuse police : les éditions du Cerf nous offrent avec le Dictionnaire du progressisme  un nouveau catalogue de concepts.

Troisième et dernier opus d’une série, il suit le Dictionnaire du populisme et le Dictionnaire du conservatisme, déjà dirigés par les universitaires Christophe Boutin, Frédéric Rouvillois et Olivier Dard. On retrouve des noms connus comme Remi Brague, Stéphane Courtois, Michel Maffesoli, Pierre Manent, Pierre-André Taguieff ou Arnaud Teyssier. Plusieurs dizaines de contributeurs et plusieurs centaines d’entrées nous sont offertes, pour une variété de thèmes politiques, juridiques, philosophiques, littéraires, patrimoniaux et parfois même badins par lesquels les initiateurs du projet ont voulu donner un peu de chair à leur histoire des idées politiques. 

Un phénomène difficile à appréhender

Le progressisme est un phénomène polymorphe et donc difficile à appréhender. Pour en saisir l’unité et la diversité, 1232 pages et 260 notices ne sont pas de trop : des penseurs, des concepts, quelques lieux où souffle l’esprit progressiste comme la Californie ou les fermes des mille-vaches.

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Le progressisme se niche aussi où on ne l’attend pas forcément : dans les romans, dans des « fêtes » ou même chez les sorcières. On comprend, en lisant ce dictionnaire, que les progressistes sont de tous les partis, de toutes les coteries, de tous les pays. Qu’ont-ils de commun ? Souvent une ambition partagée : faire de la croissance économique un aspect central de leur projet politique. Et aussi la ferme conviction que cette croissance économique sera accompagnée d’un perfectionnement moral des sociétés et de l’humain.

Le progrès est polysémique. Nos représentations l’associent souvent aux perspectives d’abondance liées à la civilisation industrielle, alors que d’Aristote à Rousseau, la ressource avait jusqu’alors été pensée comme rare. A partir du XVIIIe, l’Europe prend du ventre. Gavés, les humains se mettent à espérer : ils cherchent à perfectionner leur cadre de vie, modifier leur environnement, maitriser les phénomènes naturels et même sociaux. Ils font des plans, écrivent des méthodes, lancent des promesses à la mer, dans la lignée de Saint-Juste qui définissait le bonheur « comme une idée neuve en Europe ». 

Les Pangloss et les cassandres

Il y a ceux qui croient au progrès, et puis il y a ceux qui n’y croient pas. Il y a ceux qui comme le président de la République pensent « à la France de leurs enfants » et ceux qui regrettent la France de leur enfance. Ceux qui rêvent d’un futur nécessaire, désirable, enchanteur, plein de promesses et ceux qui invoquent l’empire des réalités ou répondent simplement aux rêveurs béats : « attention… ». Les Pangloss et les cassandres. Les progressistes et les conservateurs. 

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Ce duo structure déjà la vie politique américaine depuis les années 1960 – où les démocrates représentent une gauche fort peu socialiste qui cartonne surtout auprès de la classe supérieure des grandes métropoles, sièges de l’aristocratie financière. Par contagion culturelle, ce progressisme américain est devenu le nôtre. Le président de la République pourrait bien avoir inauguré en France ce nouveau clivage depuis 2017 – dépassant l’opposition droite et gauche dont les auteurs du dictionnaire constatent la désuétude. Avec l’entrée Macron, rédigée par Frédéric Rouvillois, le lecteur découvrira qu’il existe en réalité bien une pensée marconiste, notamment inspirée par les idées libérales et saint-simoniennes. 

Le progressisme nous vient cependant de bien plus loin. Déjà au XVIIIe, l’abbé de Saint-Pierre imaginait un projet de paix perpétuelle. Il y a aussi des cosmogonies géopolitiques chez Emmanuel Kant : les hommes seraient assez adultes pour gérer leurs conflits avec raison et assurer les conditions d’une belle harmonie. Les hommes observaient déjà en outre certains progrès matériels : dans les méthodes de production, dans l’organisation, l’ingénierie… et pensaient alors que ce progrès conduirait mécaniquement au progrès moral et intellectuel des sociétés.

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Les prophéties sont dangereuses pour les prophètes. Chez les progressistes, la raison n’est pas toujours raisonnable. Elle est très imaginative et travaille même un peu du chapeau. Frédéric Rouvillois revient sur la notion d’utopie dont il est le spécialiste. « Identité de genre », « gnose »… Avec une infinie palette de couleurs, le progressisme affiche une volonté de substituer un monde imaginaire au monde réel.

Progresser à la vitesse des Lumières 

Si le progressisme doit beaucoup au XVIIIe, en sciences politiques, la vitesse des lumières n’est pas toujours la plus rapide. Les héritiers de Voltaire et de Rousseau se trouvent aujourd’hui dépassés. L’emploi des mots de « république », de « démocratie », de « laïcité » et d’ « universalisme » est déjà jugé conservateur voire réactionnaire pour une nouvelle gauche venue d’outre-Atlantique. Le progressisme se renforce en s’épurant ! Technophilie oblige, il y a des progressistes rapides et des progressistes lents, des dantonistes et des robespierristes, des bolcheviks et des mencheviks.

Certains progressistes aimeraient aujourd’hui éteindre les Lumières. L’entrée « islamo-gauchiste » de Pierre-André Taguieff décrit les contours d’une nouvelle coalition entre la gauche ultra et l’islamisme et refait la petite histoire du syntagme dont il est lui-même le créateur. L’islamo-gauchisme s’est trouvé l’Occident comme ennemi fédérateur. Il est impie pour les islamistes, oppresseur ou patriarcal pour l’extrême-gauche ; et colonialiste pour tous deux. Il faut en tout cas l’abattre. Le progressiste n’est pas un animal tolérant. Il a toujours besoin d’ennemis. Il s’en trouve de bien inattendus.  Les progressistes étendent constamment le domaine de la lutte : à la langue quand elle est sexiste, à la connaissance quand elle est coloniale, au sexe quand il est oppressé ou quand il est oppresseur… Avec son Manifeste du futurisme à la main, on apprend par exemple que Marinetti est parti croisade contre les pâtes. Le progressisme va donc jusqu’à la haine des traditions culinaires italiennes. L’entrée « Jean Fourastié » nous révèle l’itinéraire intellectuel d’un économiste du XXe enthousiaste devant la civilisation industrielle, à qui l’on doit l’expression de Trente glorieuses, finalement désabusé de voir que le formidable progrès matériel de l’après-guerre n’a pas forcément entrainé les progrès moraux attendus. On songe aussi à Tocqueville : la démocratie, en émancipant le peuple, nourrit inéluctablement une passion égalitaire moralement régressive. Tout progrès entraine un regret.

Les auteurs du dictionnaire, un brin désabusés eux aussi, viennent pour la plupart des courants conservateurs. Ils semblent faire la constatation qu’embarqués dans leur croisade contre l’essentialisme, certains progressistes semblent finalement avoir oublié d’être eux-mêmes. Aussi, les progressistes régressent. On les voit pris de peurs irrationnelles comme en l’an 1000 : un jour l’apocalypse climatique, le lendemain le cataclysme sanitaire. Dans le même temps, ce sont désormais les libéraux qui veulent tout interdire : la libre parole, le moteur diésel… jusqu’à la liberté d’aller et venir lors de la récente crise sanitaire. Laquelle a révélé un progressisme dans sa pureté de cristal : obsédé par le plan, le contrôle, la compréhension et la maitrise de tout phénomène, cherchant même à interdire la maladie et la mort. Nihil novo sub sole : le progressisme semble soumis à l’immortelle loi des cycles à laquelle il espérait échapper.

D’émancipateur, optimiste et contestataire, il est devenu en fin de course superstitieux, angoissé, répressif et, à sa façon, … conservateur !

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