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Rabat-joie: comment Macron a basculé en faveur de Mohammed VI

La France semble se détourner de l’Algérie


Rabat-joie: comment Macron a basculé en faveur de Mohammed VI
Rabat, 28 octobre 2024 © Mosa'ab Elshamy/AP/SIPA

Le président Macron termine une visite d’État historique au Maroc. Analyse.


La visite officielle d’Emmanuel Macron au Maroc est un véritable succès diplomatique pour la France. Alors que les relations avec le royaume chérifien semblaient distendues depuis 2019, ce déplacement marque une nouvelle étape dans les relations franco-marocaines avec la signature d’accords économiques d’envergure.

Le 30 juillet, Emmanuel Macron décidait de reconnaître la souveraineté marocaine au Sahara. La date choisie était symbolique puisqu’elle coïncidait avec le 25ème anniversaire de la Fête du Trône, célébrant l’accession au pouvoir de Mohammed VI. Emmanuel Macron prenait alors un risque calculé vis-à-vis d’Alger, dont l’exécutif, en dépit de mains régulièrement tendues, se montre depuis plusieurs années rétif à un dialogue sain et apaisé. Le risque s’est avéré payant, comme en témoigne cette visite réussie qui a enthousiasmé un peuple marocain visiblement ravi de renouer une relation de bonne intelligence avec Paris. Ainsi, Emmanuel Macron a eu droit à une réception royale sur le tarmac de l’aéroport puis à une parade assez grandiose dans les rues de Rabat. Il s’est aussi exprimé devant le Parlement marocain où il a réaffirmé mardi que « le présent et l’avenir » du Sahara « s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine », précisant en outre que cette position n’était « hostile à personne ».

Nous aurions néanmoins tort de voir dans cette visite le signe d’une « réconciliation », puisqu’il s’agit plutôt d’un retour à la normale historique des deux pays depuis deux décennies déjà. Au cours des années 2000 puis 2010, le Maroc s’est transformé en profondeur, tant sur les plans économiques et sociaux qu’institutionnels. C’est du reste la réforme constitutionnelle de 2011 qui a permis au royaume de se protéger de la vague des « printemps arabes ». Reste que la période plus récente fut marquée par la tiédeur et une forme d’incompréhension mutuelle que ce voyage clôt. 

La plus importante délégation officielle sous l’ère Macron

Le président de la République a amené 130 personnes dans son sillage, dont dix ministres parmi lesquels Jean-Noël Barrot (Affaires étrangères), Antoine Armand (économie), Rachida Dati (Culture), Bruno Retailleau (Intérieur) et Sébastien Lecornu (Défense). Le monde des affaires n’était évidemment pas en reste, avec un contingent pléthorique dont on retiendra les noms de Patrick Martin (patron du Medef), Frédéric Arnault (LVMH), Hervé Derrey (Thalès), Rodolphe Saadé (CMA-CGM), Wouter Van Wersch (Airbus), Benoit Piètrement (Intercéréales), Henri Poupart-Lafarge (Alstom) ou encore Patrick Pouyanné (TotalEnergies)… De quoi balayer l’essentiel des sujets chauds entre les deux pays. Un nom a néanmoins fait polémique, celui de Yassine Belattar qui est arrivé en jogging et baskets devant le monarque chérifien. Et ce d’autant plus qu’il n’était pas annoncé sur la liste officielle… Ce détail fâcheux n’aura toutefois pas gâché une visite d’Etat extrêmement productive.

Après la présentation d’une déclaration franco-marocaine portant sur un « partenariat d’exception renforcé », vingt-deux contrats ont été signés dans la résidence des Hôtes Royaux pour un montant total évalué à un peu plus de 10 milliards d’euros. Occasion était donnée aux grand groupes français de pavoiser et de faire la démonstration de leur savoir-faire dans des domaines de pointe. Un contrat était particulièrement attendu des deux côtés : la réalisation du deuxième tronçon de la ligne de train à grande vitesse Tanger-Marrakech par Alstom et Elgis qui étaient jusqu’à présents soumis à une rude concurrence asiatique. Le groupe fournira aussi plus d’une dizaine de rames de TGV. Citons aussi EDF, TotalEnergies et Engie qui ont tous signé d’ambitieux contrats dans le domaine des énergies vertes. Veolia a annoncé de son côté la construction de la plus grande centrale de désalinisation d’eau de mer au monde. Elle aura une capacité de 300 millions de mètres cubes et sera alimentée en électricité issue d’énergies renouvelables.

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Se voulant nouvelle puissance maritime dans l’océan Atlantique, Rabat nourrit aussi de grands projets pour ses ports de marchandise. C’est ainsi que le transporteur CMA CGM s’est associé avec Marsa Maroc pour « équiper et exploiter » pendant 25 ans la moitié du terminal à conteneurs de « Nador West Med », dans le nord du Maroc. Cette entreprise équipera 35 hectares du terminal à conteneurs ainsi que 750 mètres de quai pour un investissement total de 280 millions d’euros. Les Toulousains seront aussi heureux de savoir que le domaine aéronautique n’était pas en reste avec la création d’un site de maintenance du moteur LEAP de Safran à Casablanca. Un moteur extrêmement performant qui équipe 3500 avions monocouloirs de dernière génération de l’avionneur Airbus.

Si la notion de « guerre économique » est souvent évoquée en ce moment, à raison concernant la Chine ou les Etats-Unis, nous sommes ici dans le cadre d’une pax economica profitable aux deux pays. Dans un monde en crise, où de grands Empires adoptent des comportements prédateurs, la puissance française offre une alternative intéressante à de nombreux pays. Par son histoire et son présent, elle est membre du Conseil permanent de l’ONU et dotée de l’arme nucléaire, écoutée en Europe et ailleurs, mais elle ne cherche pas à dominer ou asservir. Evidemment, les relations historiques que nous entretenons avec le Maroc et sa population sont d’une grande aide dans ce qui s’apparente au premier grand succès diplomatique d’Emmanuel Macron, mais ces accords sont rendus d’abord et avant tout possibles par les intérêts communs qui unissent les deux pays. La modernisation du Maroc offre un environnement des affaires extrêmement compétitif pour nos entreprises. Surtout, les relations ne sont entachées d’aucune rancœur historique…

Des questions géostratégiques en filigrane

Par son positionnement géopolitique, le Maroc peut incarner un trait d’union et un espace de dialogue entre les pays dits du « Sud » et l’Occident, ce que la signature des accords d’Abraham avait manifesté. On l’a encore constaté avec la déclaration commune d’Emmanuel Macron et Mohammed VI sur le Proche-Orient qui est un appel lancé pour trouver une paix juste et l’arrêt des combats qui ensanglantent la zone. Plus encore, le Maroc est un partenaire indispensable pour la France en Afrique de l’Ouest. Ces dernières années, Rabat a fait de l’intégration panafricaine un de ses piliers stratégiques avec la création du Casablanca Finance City, hub d’investissement et de gestion des flux financiers aux orientations continentales.

L’Afrique de l’ouest est un enjeu majeur en matière de défense, d’économie et évidemment d’immigration. C’est aussi la raison pour laquelle Bruno Retailleau était du voyage, au-delà de la question des OQTF. Le président de la République a pu rappeler au cours de son discours que la lutte contre l’immigration illégale constituait une « attente forte en France » et a appelé à l’obtention de « davantage » de résultats dans le cadre d’une « coopération naturelle et fluide ». Trouver des voies de co-développement est un moyen essentiel pour répondre à cette attente et c’est en partie pour cette raison qu’une telle visite était espérée.

Paradoxalement, il faut aussi croire et espérer que l’apaisement avec l’Algérie passe par une position tranchée en faveur du Maroc. À terme, Alger n’a aucun intérêt à s’exclure des grands partenariats transcontinentaux qui se nouent présentement. La France a eu raison de sortir de l’ambiguïté stratégique et d’assumer de prendre une décision qui va accroitre son influence dans cette région du monde. Nous devons reprendre pied dans un monde chaotique en proie aux guerres par l’affirmation de nos atouts et l’officialisation d’alliances au cas par cas. La politique arabe et africaine d’Emmanuel Macron, longtemps critiquée, semble enfin aller de l’avant. Pourvu que ça dure.




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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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