Pour avoir bien connu toutes les élections présidentielles au suffrage universel depuis 1965, je reste sidéré au spectacle de cette campagne.
Malgré la catastrophe politique du quinquennat Hollande, le traumatisme de l’agression terroriste, une situation économique terriblement dégradée et l’attitude d’élites déshonorées arc-boutées sur leurs privilèges, le peuple français a été d’un calme étonnant dans l’attente de l’échéance majeure. Pas sûr qu’il le reste devant une telle confiscation du scrutin, à base de manipulations, d’instrumentalisations des services de l’État, et de propagande éhontée d’un appareil médiatique qui fait bloc. Pas sûr que le peuple reste de marbre face à la mobilisation acharnée de la caste, illustrée par la litanie des ralliements à Macron, et celle des traîtres qui avaient abandonné Fillon. Tout doit être fait pour envoyer le télévangéliste à une deuxième place au premier tour qui lui ouvrirait le second contre Marine Le Pen. Et là, utiliser l’argument du barrage, le vieux « No pasaran » employé contre le FN depuis trente ans avec le succès que l’on connaît.
Ne pas reproduire le piège de 2002
Et pourtant, comment ne pas partager l’opinion de Frédéric Lordon, ou de Jacques Rancière quand il dit : « Si Marine Le Pen devait l’emporter, ça ne serait pas gai, bien sûr. Mais il faut en tirer les bonnes conclusions. La solution est de lutter contre le système qui produit Marine Le Pen, non de croire qu’on va sauver la démocratie en votant pour le premier corrompu venu. J’ai toujours en tête ce slogan de 2002 : « votez escroc pas facho ». Choisir l’escroc pour éviter le facho c’est mériter l’un et l’autre et se préparer à avoir les deux ».
Le pire étant d’être contraint maintenant de se poser la question de savoir entre les deux probables qualifiés du second tour qui est le plus dangereux. Et malheureusement, force est de reconnaître qu’Emmanuel Macron décroche la timbale.
Tout au long de son mandat, François Hollande a passé son temps à abîmer les institutions et saper l’autorité de l’État. À croire qu’il a décidé de complètement les détruire. C’est une situation grosse de dangers. L’opération Macron est plus qu’à l’évidence une tentative de continuer comme si de rien n’était. Dire que le télévangéliste est l’héritier en tout point de l’actuel président de la République est une évidence, mais les méthodes utilisées pour le faire advenir à base de violations des libertés publiques et de piétinement des principes républicains constituent un précédent très grave. Les institutions démocratiques en sortiront gravement affaiblies, quel que soit le résultat.
Servitude volontaire des médias
Pendant tout ce mandat, la liberté d’expression a été sévèrement malmenée. Multiplication des pressions, saisines systématiques des tribunaux, et adoption de lois clairement liberticides (pénalisant la fréquentation de sites djihadistes, la propagande anti-avortement, etc.). Jusqu’à présent, le Conseil constitutionnel a tenu, mais pour combien de temps ? La création ex nihilo du télévangéliste par l’instrumentalisation sans précédent de l’appareil médiatique subventionné, celui appartenant aux oligarques, ou au service public, a permis d’atteindre des sommets. Les mêmes médias ont docilement joué le rôle que l’on attendait d’eux en participant avec enthousiasme au coup d’État contre la candidature Fillon. Avec un double objectif : disqualification du candidat de droite et étouffement du débat de fond. Le service public radiotélévisé malgré son obligation légale de pluralisme est le plus zélé dans l’accomplissement de ce sale boulot.
Instrumentalisation sans vergogne de la justice
Et puis, il y a l’instrumentalisation de la justice. Les professeurs de droit, les avocats, les juristes ont beau s’étonner, s’inquiéter, s’égosiller, le coup d’État anti-Fillon continue imperturbablement. Du tempo adopté par le parquet national financier (PNF) et le Pôle du même nom pour traiter le dossier du candidat de la droite découle une partialité évidente qui laisse croire à une préparation antérieure à l’article du Canard enchaîné. Pour François Fillon, c’est prestissimo, en revanche pour Macron, ses frais de bouche au ministère, le probable délit de favoritisme pour filer à Las Vegas rencontrer Bolloré, les déclarations de patrimoine fantaisistes, l’opacité totale du financement de sa campagne, ce sera largo (lent, très lent), on connaît la musique au PNF. Pourtant, la plus haute hiérarchie judiciaire nous dit que : « la justice suit son rythme en toute indépendance », en oubliant de rappeler qu’elle doit aussi le faire en toute impartialité. Terme que l’on n’entend jamais. La présidente du SM, le syndicat du mur des cons, finit par la revendiquer cette partialité en nous assénant sans mollir : «Le juge « neutre » n’existe pas et c’est tant mieux. Il n’est pas un être désincarné, il pense et a des opinions personnelles. Entre la loi et le cas particulier, il y a un espace rempli par le juge avec ses valeurs, ses convictions et sa personne.» Proposition absolument hallucinante que cette revendication qui montre à quel point certains ont perdu le sens commun. La neutralité, l’objectivité, l’impartialité sont les objectifs fondamentaux que doivent respecter les décisions de justice rendue au nom du peuple français, comme d’ailleurs dans tous les systèmes démocratiques et depuis longtemps. Le « juge neutre » individuel n’existe pas, c’est vrai, mais c’est pour cela qu’il y a la justice et son organisation. Ce type de dérive qu’on a vue à l’œuvre durant tout le mandat Hollande trouve aujourd’hui sa caricature avec l’affaire Fillon. Y a-t-il des raisons de penser que le télévangéliste successeur de François Hollande hésite à utiliser ces méthodes ? Personnellement, je crains que non.
Les autorités indépendantes laissent faire
Deux institutions essentielles au fonctionnement équilibré d’une démocratie, la justice et la presse sont sorties de leurs lits. Elles ne sont pas les seules, ce que l’on appelle « les autorités administratives indépendantes » font la même chose. La Commission nationale des comptes de Campagne, chargée de contrôler les recettes et les dépenses des candidats, et bien évidemment muette. Alors qu’on apprend tous les jours des bizarreries préoccupantes sur la campagne d’« En Marche ». Est-il nécessaire de rappeler que toute dépense exposée par qui que ce soit en dehors du compte de campagne peut être réintégrée à celui-ci dès lors qu’elle a pu avantager électoralement le candidat ?
C’est ainsi que le compte de Nicolas Sarkozy en 2012 avait été invalidé à la suite de la réintégration d’une dépense exposée par l’État pour un déplacement du président en exercice dont la commission a considéré que c’était plus un déplacement électoral. Compte tenu de la propagande éhontée de la presse, des interventions de l’État, du caractère trouble des financements, la validation du compte d’Emmanuel Macron n’est pas évidente. Soyons sûrs que tout passera pourtant sans encombres.
Un apparatchik sans principes
Reste enfin la personnalité d’Emmanuel Macron que l’on peut pressentir à partir de sa trajectoire et d’un certain nombre d’événements qui s’y sont déroulés. On rappelait ici un épisode révélateur et déplaisant à propos du rachat du journal Le Monde. La cession à des investisseurs chinois de l’aéroport de Toulouse-Blagnac et le très trouble bradage de la branche énergie d’Alstom à General Electric mériteraient également examen.
Emmanuel Macron est la solution pour cette partie du Capital, incarnée par l’oligarchie néolibérale mondialisée qui a fait sécession et qui emmène avec elle la petite partie des couches moyennes qui en profitent. Et la campagne électorale montre bien que ces gens-là sont prêts à tout. La bourgeoisie nationale avait choisi François Fillon, elle comprend sa douleur. Si par malheur Emmanuel Macron et ceux qui l’emploient arrivaient au pouvoir, il n’y a aucune chance que les libertés publiques foulées aux pieds depuis cinq ans et martyrisées depuis six mois soient restaurées. On sait bien que la mondialisation néolibérale dont Macron est l’agent, est incompatible avec la démocratie. Gravement incompatible.
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