Emmanuel Macron est un tombeur. Un vrai. Il n’échauffe pas que les tempéraments de midinette. Les politiciens les plus rudes, des esprits pleins d’éclairs graves lui succombent. Jean-Pierre Chevènement, Philippe de Villiers, Marcel Gauchet, le banquier Henrot et la clientèle de la maison Rothschild, Jacques Attali, François Hollande, feu Paul Ricœur et Michel Rocard, tous ceux qui l’ont approché en parlent — ou en ont parlé — avec des émois de brebis en été. Quel est son secret ? Des mains de prince finlandais, la souplesse de son allure, son parfum peut-être. Il doit se produire quelque chose d’inouï quand on rencontre cet homme-là, de suave et d’inoubliable, comme une romance au bord de l’eau dans un feuilleton brésilien. « C’est l’homme qui dit le mieux bonjour dans l’hémisphère nord », selon un de ses amis. S’il pouvait rencontrer tous les Français avant le 22 avril, Emmanuel Macron remporterait la présidentielle avec 100 % des voix.
Un séducteur qui n’inspire pas la sympathie
Pauvre de nous qui n’aurons pas la chance de le connaître. Sur un écran de télévision, la finesse de ses traits, son agilité à l’oral, sa jeunesse opèrent leur charme. Pourtant, la féerie Macron se dilue. Quelque chose cloche dans son numéro. Attiré par la douceur de ses sourires, le spectateur bute sur son regard en silex bleu d’ambitieux sans affects et sûr de lui. Emmanuel Macron est un séducteur qui n’inspire pas la sympathie. Il séduit sans aimer et sans remords. Dans la vie, une personnalité comme la sienne enivre. À la télévision, elle met mal à l’aise. On sent l’artifice.
Il n’empêche, Emmanuel Macron a tout l’air d’un homme brillant. En tout cas, il brille. Quand on l’entend parler, on devine une personnalité qui mériterait d’être connue. Intrigué, on écoute, on s’approche, on tourne autour, on se penche. Et l’on ne trouve pas grand-chose, sans pour autant perdre[access capability= »lire_inedits »] sa première impression. On voudrait prendre le pouls de son âme, mais son âme est comme une voix montant du fond d’un tunnel, que l’on entendrait confusément avec le sentiment que l’on est sur le point de comprendre les paroles qu’elle prononce, qui semblent de grand intérêt, sans que l’on y parvienne jamais. Cet homme a du génie pour ne rien laisser paraître en prenant des airs frappants. C’est un trou noir qui fait des étincelles. Quant à son profil d’homme public, il émerveille : khâgneux, énarque, pianiste, philosophe, banquier, poète, économiste, chevènementiste, mondialiste, étatiste, libéral, hollandiste, pragmatique, aventurier, etc. La presse voudrait voir dans ce méli-mélo la preuve qu’Emmanuel Macron est l’homme plein d’humanités de jadis. Mais Emmanuel Macron n’est pas un tout, c’est un capharnaüm de styles et d’idées qui tourbillonnent pour exister. C’est l’homme-tout-et-rien, qui est tout parce qu’il n’est rien, et inversement. L’homme désincarné, sans racines, sans parti, sans idéologie. Celui qu’il faut à la mondialisation heureuse.
Le grand bourgeois d’Amiens
Il ne se perçoit sans doute pas ainsi. Pour comprendre ses contradictions, il faut comprendre ses origines. Emmanuel Macron est né à Amiens. Mieux : il est né grand bourgeois à Amiens. Grand bourgeois à Amiens ! Un tigre blanc dans un pré à Melun ! Il faut se représenter Amiens. Une cathédrale, haute comme 100 hommes, toute en vertiges et en lyrisme gothique, au milieu de maisons et de petits immeubles en briques rouges construits à la va-vite après la guerre. Si l’on y trouve des îlots où vivent des gens qui ont de l’argent, les quartiers chics n’existent pas. La population, ouvrière et petite-bourgeoise dans son ensemble, y a le tempérament flamand, énergique et chaleureux dans la grisaille, quoique plus mélancolique que dans le Nord. On y boit et on y fume beaucoup, pour oublier l’ennui et la médiocrité du paysage.
La capitale n’est pas loin. Bourgeois ou non, dès que l’on se sent un peu de talent et de culture, on y pense, avec inquiétude et envie, sans trop y croire ou avec des bouffées de mégalomanie, selon l’heure et l’humeur. Ce n’est pas que l’on aime Paris, mais Amiens est l’un des rares lieux en province où l’on entend encore des habitants mépriser leur ville à voix haute, malgré l’affection, l’orgueil et le reste.
Alors, imaginez un Emmanuel Macron, fils d’une mère médecin-conseil à la sécurité sociale et d’un père professeur de neurologie, dans ce décor ! Sa scolarité, du collège à la classe de première, s’est déroulée au lycée La Providence, un établissement privé tenu par des jésuites. Autant dire que l’on a fait éclore sous une serre une fleur tropicale dans le Sahara. Ceux qui écrivent sur lui notent qu’Emmanuel Macron parle peu d’Amiens. Que pourrait-il en dire ? Il a grandi au milieu d’une population avec laquelle il n’avait pas grand-chose en commun. S’il dit que son enfance en Picardie l’empêche de se reconnaître dans la bonne société parisienne, il ne doit pas se sentir plus à l’aise dans la ville de son enfance.
Enfant de bonne famille, surdoué mais sans terre d’attache, Emmanuel Macron a le charme du marginal et l’arrogance du bourgeois plein de facilités. Il attire et horripile tout à la fois. Ses choix de carrière, ses analyses économiques très mainstream pourraient le faire passer pour un homme rationnel. En fait, il est fantasque. Son parcours idéologique à choix multiples aurait pu lui permettre de se bâtir un programme en osmose avec les aspirations de l’électorat de 2017. Il a décidé de prendre la mer idéologique à contre-courant. Moins par conviction que par goût du défi pour le défi. À Amiens, où l’on a le temps de penser à soi, où l’on a même que cela à faire, les vents ont dû souffler fort dans ce crâne d’enfant, et dans toutes les directions, en élargissant les parois, jusqu’à lui donner des proportions admirables. Ce sont ces mêmes vents qui semblent aujourd’hui s’engouffrer dans les voiles de son navire, le maintenant à flot contre toute vraisemblance. On le regarde avancer au milieu de mille et un dangers, avec curiosité. Sans malveillance, mais sans affection. Et l’on se demande quand aura lieu la noyade. [/access]
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