Smic, CSG, primes et heures supplémentaires défiscalisées: hier soir, lors de son allocution télévisée, le président Macron a sorti le chéquier. Pas suffisant pour rassurer tous les Français, mais peut-être assez pour inquiéter Bruxelles. Et la règle des 3% dans tout ça?
Allait-on encore tourner en rond ? Après l’acte IV des gilets jaunes, c’eût été désespérant. Alors Emmanuel Macron s’est adressé à la nation. Et miracle, il n’a pas prononcé le mot interdit : « pédagogie ». A la bonne heure. Il a même dit regretter les mots qui ont pu choquer. C’est bien le mouvement des gilets jaunes qui a réussi son exercice de pédagogie en direction du président de la République.
Adresse à la Nation.https://t.co/HeVeWUhkVc
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 10 décembre 2018
Du moins, en se livrant à ce mea culpa, lui a-t-il offert une victoire symbolique. Laquelle passerait vite aux oubliettes si, le naturel revenant au galop, Emmanuel Macron se laisserait à nouveau aller à critiquer ses compatriotes depuis l’étranger comme il l’a fait à plusieurs reprises.
Changement de cap
Mais hier soir, Emmanuel Macron a surtout sorti le carnet de chèques. A voir la mine déconfite et l’intervention embarrassée de Jean-Luc Mélenchon après le discours présidentiel, Emmanuel Macron n’avait pas lésiné sur les sommes distribuées.
Bien sûr, cette crise ne peut pas seulement être dénouée par le chéquier. Bien sûr, il importe surtout de retisser le lien démocratique, de redonner au peuple la certitude qu’il peut être à nouveau maître de son destin. Et on attendra les mesures qui seront proposées dans les prochains mois au terme des consultations programmées, lesquelles devront forcément passer par l’abandon de pans entiers du programme du candidat Macron.
Hausse du Smic. Csg. Les gilets jaunes ont obtenu en six semaines ce que les syndicats n’ont pas eu en trente ans. A quoi sert la CGT ?
— Elisabeth Lévy (@ELevyCauseur) 10 décembre 2018
Mais la question du pouvoir d’achat était néanmoins à l’origine du mouvement des gilets jaunes et le président y a répondu davantage que d’aucuns pouvaient l’espérer. Il n’était là plus du tout question de « maintenir le cap », expression heureusement expulsée du discours présidentiel, autre concession symbolique accordée hier soir à ses zélateurs.
Feu sur Bruxelles…
Car le chéquier, et le chéquier à ce point-là, c’est peut-être aussi un autre défi qu’Emmanuel Macron s’est lancé à lui-même. Certains économistes le constataient peu de temps après son intervention : on voit mal comment la règle européenne des 3% pourra être respectée dans ces conditions. Le président a-t-il décidé de s’en affranchir, jetant le pacte budgétaire par-dessus les moulins ? C’est ce que lui conseillaient pêle-mêle Philippe Aghion, qu’on a connu plus orthodoxe, ou Jean-Pierre Chevènement dans une cohérence et une suite dans les idées de pureté cristalline.
Pour Emmanuel Macron le progressiste, l’Européen, celui qui combat la « lèpre nationaliste », s’asseoir sur les sacro-saintes règles de l’UE n’a rien d’anodin. A-t-il négocié en douce, ces derniers jours, une aimable abstention de la Commission européenne ? On voit mal comment le gouvernement italien qui fait les frais depuis plusieurs semaines de l’intransigeance de Bruxelles sur cette question pourrait ne pas, dans ce cas, hurler au fayotage. Si, au contraire, il s’est passé de l’avis de Pierre Moscovici, lequel participait encore il y a peu à un conciliabule à l’Elysée sur les prochaines élections européennes avec Juppé, Raffarin et Bayrou, on peut alors s’interroger : Emmanuel Macron est-il décidé à entrer en conflit ouvert avec la Commission européenne, et surtout avec l’Allemagne ?
…et sur Merkel ?
Cette confrontation, elle n’est pas dans le programme d’Emmanuel Macron. Elle ne l’a jamais été. Il s’agit même de l’anti-thèse de sa méthode. Depuis le début de son mandat, celle-ci était claire : donner des gages orthodoxes aux Allemands pour pouvoir obtenir une autre gestion de l’euro. Jamais les Allemands ne lui ont laissé le moindre espoir. Au contraire, ils se sont même permis de proposer que la France abandonne son siège permanent au conseil de sécurité, ce que notre confrère Hadrien Desuin avait justement interprété comme le signe d’un refus définitif aux propositions françaises.
Si néanmoins c’était le cas, ce que semblait croire la presse allemande déjà très critique hier soir, et qu’il se préparait à cette confrontation, il ferait ce que ni Nicolas Sarkozy ni François Hollande n’avaient osé. Et il répondrait alors en partie au désir de souveraineté exprimé ces dernières semaines sur les ronds-points. Nous pourrions alors imiter Benjamin Griveaux et attribuer à Marc Bloch la sentence suivante : « Divine surprise ! »
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