Quand la plume de Macron s’envole, c’est évidemment toujours vers des cieux plus grands, plus beaux et plus européens. Le discours du transfert des cercueils de Simone et d’Antoine Veil au Panthéon a tutoyé, dimanche 1er juillet, 2018, le Mont Parnasse.
Mnémosyne, fécondée par Jupiter (et en même temps Zeus), accouche alors de Calliope « le bien dire », de Clio « l’épopée », d’Erato « l’élégie », d’Euterpe « la musique », de Melpomène « le chant », de Polymnie « la pantomime », de Terpsichore « la poésie légère », de Thalie « la pastorale », et enfin d’Uranie « la céleste de l’astrologie ». Elles sont toutes là, les neuf – et les neuves –, et toute la portée préside au discours de notre apollon.
« Car la France aime Simone Veil »
Alors, peut-être avez-vous pleuré ce dimanche matin en écoutant, à l’heure de la messe, l’hymne de Manu à Simone ? Tout du moins avez-vous été ému ? Autrement vous n’avez pas de cœur… Car toutes les muses s’y sont mises pour nous tirer au moins une petite larme gratuite, une larme à l’œil. Une, au moins…
La sienne aussi. Brigitte est là, dans la tribune, et elle aussi, elle veille… Sans doute a-t-elle relu le discours de Sylvain Fort, biffant çà et là quelques envolées trop lyriques, mais adoubant d’un coup de Mont-Blanc la copie pratiquement parfaite : bon pour être lue et faire pleurer tout le monde et même mon Manu. Déformation professionnelle, Brigitte savait à l’avance que Manu serait ému. L’éloge funèbre est impeccable, implacable. Toutes les figures de l’épidictique s’y sont nichées.
D’emblée, Jupiter place son discours sous le signe de l’amour, parce qu’aimer c’est ce qu’il y de plus beau, aimer c’est voler plus haut. Toujours plus haut. A grand renfort d’hyperboles (pas moins de cinq entre la 3ème et la 5ème phrase), de termes laudatifs, de présent gnomique et de synecdoques, la causale claque comme une baffe dans la tête : « Car la France aime Simone Veil ». Ah bon ? La France, carrément ! Toute la France ? Une grande partie des Français, peut-être ?… Et encore… Qui sait ? Non, devant le cercueil de Simone, Manu ne vacille pas et nous explique pourquoi nous aimons Simone : nous aimons Simone parce qu’elle est une combattante. A l’endroit même où fut érigée par Louis XV une église en mémoire de celle qui appela en 451 les Parisiens à résister à l’invasion des Huns par ces paroles célèbres : « Que les hommes fuient, s’ils veulent, s’ils ne sont plus capables de se battre. Nous les femmes, nous prierons Dieu tant et tant qu’Il entendra nos supplications », succède plus de quinze siècles et demi plus tard une combattante « des droits humains », une « combattante de la paix […] une combattante de l’Europe » qui, ayant connu « la noirceur absolue, innommable des camps de la mort […] s’est battue pour la civilisation ». Alors, qu’aurait dit Simone, en « ces temps troublés que nous traversons » ? « Que l’humanité ne s’arrête pas à nos frontières. » Ouf… Nous voilà rassurés, la Terre est peuplée d’humains. Merci patron !
« J’ai fait ma part »
Et Jupiter de reprendre les rênes du char solaire européen piqué à Hélios alias Merkel pour nous conduire loin des « fadeurs iréniques et [d]es complications technocratiques » à la conquête d’une Europe « souveraine, unie, démocratique», qu’il invoquait dans son discours de La Sorbonne. L’horizon est beau, l’horizon est bleu, constellé à la douzaine et Jupiter jubile. L’éloge de Simone sert sa politique européenne. Alors, de nouveau, comme en 2017, on reprend les métaphores des « ruines », de la « noirceur », de la « barbarie », pour y substituer celles de la « construction », de la « lumière » et de « l’humanité ». On oppose par une série d’antithèses la fausse Europe à la vraie Europe, celle que Simone a voulu « par réalisme, non par idéalisme ; par expérience, non par idéologie ; par lucidité, non par naïveté ». Aussi entendons-nous en sourdine aiguë derrière l’éloge de Simone celui de Manu. Manu le Réaliste, Manu le Pragmatique, Manu le Lucide. Et les Cieux européens d’exulter. Et parce que Jupiter est, en plus de tout, polymorphe, il peut aisément, tel un passe-muraille, se glisser dans les entrailles du temple de tous les dieux pour y entendre les bruissements des « murmures de leurs conversations ». Manu a l’ouïe fine et le non tenace. Non au repli, non au découragement, non à la désespérance, Simone est notre oui, notre boussole, notre rempart contre les « passions tristes », évoquées à La Sorbonne. Et comme Jupiter est également polyglotte et parle la langue des héros, il sait ce que Simone dira aux « quatre chevaliers français qui dorment dans [l]e caveau » : « J’ai fait ma part. » Quelle émouvante prosopopée qui nous donne à entendre par la voix de Manu, celle de Simone.
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Enfin, la Marseillaise retentit, en canon, et l’hymne de Jupiter devant le temple païen s’achève sur cette tendre supplique guerrière à Mnémosyne, pour que vivent les muses et que résonne le chant de cette « France que nous aimons » et que nous aimerions toujours pouvoir aimer.
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