Il paraît que nous allons voter bientôt. Je fais souvent un détour pour voir si les panneaux électoraux nous disent quelque chose de l’offre politique dans le quartier. En vain jusqu’à présent (6 juin). Le président, chef de la majorité sortante, est lui-même aux abonnés absents, il fait souvent comme si l’élection avait déjà eu lieu et qu’il était déjà dans la suite. Cette désinvolture au sommet de l’Etat révèle plusieurs choses quant à l’état du corps civique national.
1° Notre géographie politique apparaît d’une complexité illisible. Elle comporte un grand nombre de niveaux qui communiquent mal. La décentralisation et les innovations ont produit des accumulations mal lisibles : départements + régions, communes + communautés de communes… D’où un personnel pléthorique gavé de subventions.
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Auparavant les partis politiques, dont le cumul des mandats assurait la capacité unitive, incitaient les habitants de tel lieu, les passionnés de telle cause, les tenants de telle opinion à se concevoir aussi comme participant d’un même ordre civique, à se placer d’entrée dans une zone de compromis. Désormais la crise idéologique et la désorganisation de l’espace obligent ceux qui veulent s’engager sans rester rivés à une seule cause à un bafouillement dont les incohérences du pseudo parti qu’est la Nupes sont l’illustration.
2° Dans cet émiettement civique il n’y a pas d’opposition possible, il y a le pouvoir en face du reste, qui ne peut être que désordre, ignorance ou fanatisme, ce dont le Rassemblement national est l’illustration. En cela il est bien utile au pouvoir en place puisqu’il permet de disqualifier la plus grande partie de l’opposition. Le parti légitime, celui du président, arrivera-t-il à réduire la France Insoumise à une situation analogue ou bien celle-ci, avec la Nupes, a-t-elle trouvé la parade ?
Par rapport à cette désorganisation pratique et idéologique de notre système politique, l’entreprise macronienne apparaît bien plus un effet qu’un remède. Elle exploite la situation de plusieurs manières, en s’élevant « verticalement » au-dessus de la confuse mêlée ou bien en organisant « grands débats » et « conventions » où les désirs et les besoins se donnent à voir directement, mais dont il reste le maître, où il puise à volonté des matériaux quand il se voit, comme maintenant, non plus en Jupiter mais en dieu qui agit, en Vulcain.
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L’action de Macron n’est pas toujours sans qualités. En Ukraine il sait à la fois aider efficacement, militairement, ceux qui résistent et maintenir le contact avec une Russie qui finira peut-être par sortir du délire et du mensonge de Poutine. On ne peut pas non plus, en principe, récuser son souci des équilibres, qu’il s’agisse de celui des comptes publics ou de ceux dont l’obsession écologique actuelle rappelle la dégradation. Mais dans les deux cas, sous cette présidence, la France apparaît soit l’instrument, soit l’objet d’une action, jamais comme un peuple, comme un sujet politique qui cherche sa voie.
De la même manière, Macron lui-même n’apparaît jamais comme ayant part au jeu politique. Il se place à l’extérieur, soit pour rappeler certaines nécessités, soit pour exercer une décision qui n’appartient qu’à lui. Il est en politique acteur et non participant impliqué et affecté. Le rapport est évident entre cette posture de non implication qui est son point de départ et sa situation personnelle particulière, celle d’un jeune homme que son mariage atypique a placé hors de toute continuité familiale, en rupture avec une origine sur laquelle il se tait, orienté donc seulement vers les tâches et l’avenir, sans dette.
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