Si la réalité dépasse parfois la fiction, c’est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l’avenir. Cette chronique le prouve.
« La Cour d’Honneur de l’Élysée est connue pour ses tapis rouges. Le 21 juin, elle se transforme en piste de danse pour la Fête de la Musique ! Au programme : Busy P, Cézaire, Chloé, Kavinsky et Kiddy Smile. Les places sont limitées : inscrivez-vous vite ! », clamait le compte Twitter de la présidence pour la Fête de la musique 2018. Transformer les lieux de pouvoir en lieux de fêtes, pour s’attirer les bonnes grâces du peuple et surtout de la jeunesse, voilà qui ne date pas d’hier. Les empereurs romains s’en firent une spécialité, notamment les psychopathes de la dynastie julio-claudienne vus par Suétone, tel Caligula : « Pour augmenter à jamais la durée des réjouissances publiques aux fêtes des Saturnales, il y ajouta un jour, et le nomma “la fête de la jeunesse”. »
Saint-Simon, fine mouche, dans ses Mémoires, avait compris pour sa part cette utilisation très politique du lieu de pouvoir : « Ce fut là où il commença à attirer le monde par les fêtes et les galanteries, et à faire sentir qu’il voulait être vu souvent », écrit le duc à propos de Louis XIV, quand le monarque décida de se fixer Versailles. Il ajoute : « Les fêtes fréquentes […] furent des moyens que le roi saisit pour distinguer et pour mortifier en nommant les personnes qui à chaque fois en devaient être, et pour tenir chacun assidu et attentif à lui plaire. »
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C’est à l’Élysée, et non à Versailles, qu’a été pris l’étonnant cliché montrant le couple présidentiel entouré de danseurs queer, vêtus de hauts résille, dans une promiscuité ambiguë et comique à la fois, qui ne grandissait pas franchement la fonction présidentielle. Mais oser le dire était une preuve d’infamie rédhibitoire pour Castaner qui, avec sa subtilité habituelle, a utilisé la disqualification caricaturale pour les moqueurs : « Diffusons cette photo puisqu’elle gêne tant une partie de la classe politique qui banalise des propos racistes et homophobes. » Sauf que la question n’est pas là. La question est de savoir si oui ou non Macron le Jupitérien a oublié pour la circonstance la théorie de Kantorowicz sur Les Deux Corps du roi : « Dans ce corps mortel du roi vient se loger le corps immortel du royaume que le roi transmet à son successeur », c’est-à-dire un corps qui ne s’appartient plus quand il est celui du chef de l’État.
Quelques jours plus tôt, pourtant, un collégien avait appris à ses dépens que le corps sacré de Macron ne supportait pas qu’on le tutoie après l’avoir accueilli avec l’Internationale. Apparemment, la musique électro le gêne moins que les chants révolutionnaires. Le pouvoir, c’est aussi l’art de choisir des rebelles qui vous conviennent.