Si l’exécutif est impopulaire et sa réforme des retraites si difficile à faire passer, c’est parce que sa proximité culturelle et sociale avec le peuple français a disparu.
« Gouverner est un métier impossible » selon Freud[tooltips content= »«L’analyse avec fin et l’analyse sans fin», Sigmund FREUD ; Anne BERMAN, trad. Dans Revue française de psychanalyse (vol. 39, n° 3, 1975) http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5446329f.image.f5.langFR »](1)[/tooltips]. « Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromage ? », aurait dit de Gaulle.
À l’époque des fake news et du délire des réseaux sociaux, la question est plus que jamais d’actualité : comment voulez-vous gouverner un pays qui selon Bruno Palier a compté jusqu’à 600 régimes de retraites de base et plus de 6000 régimes de retraites complémentaires.[tooltips content= »Cahiers français 2010 P 6. Bruno Palier est directeur du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP). Directeur de recherche du CNRS à Sciences Po (CEE) »](2)[/tooltips] Même si ce nombre a significativement diminué la France conserve le système de retraite, le plus généreux, le plus complexe, le plus inégalitaire et le plus liberticide du monde. Le candidat Emmanuel Macron avait promis de le simplifier : une réforme systémique. En dépit de ce qu’en pensait de Gaulle, les Français qui ont deux sous de bon sens approuvaient majoritairement la proposition. Aujourd’hui majoritairement ils n’en veulent plus. À qui la faute ?
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A ces Français, inconstants et en même temps conservateurs, râleurs et en même temps peu syndicalisés, méfiants et en même temps légitimistes, adeptes du débat et de la concertation et en même temps souhaitant être gouvernés d’une main ferme, ou à leur gouvernement qui a conduit dans le mur une réforme qu’au départ à peu près tout le monde s’accordait à trouver indispensable.
Cacophonie anxiogène du cabinet Philippe
Beaucoup de commentateurs pointent les erreurs de communication de l’équipe d’Édouard Philippe, une cacophonie anxiogène, un flou sur les véritables objectifs de la réforme, systémique ou paramétrique, la longueur des débats, des changements de cap, l’impression de discordances au plus haut niveau de l’État.
Tout cela est sans doute vrai, mais n’y a-t-il pas plus grave ? Est-il possible de gouverner sans créer du lien, sans susciter une certaine « amitié politique ». Sous ce rapport même avec d’excellentes intentions l’équipe Macron a failli, pire elle en paraît incapable. Tout a été dit sur la fracture entre les élites et le peuple à l’occasion de la crise des gilets jaunes, entre le centre et la périphérie comme l’a décrit le géographe Christophe Guilly.[tooltips content= »La France périphérique Flammarion 2014 ; Le Crépuscule de la France d’en haut Flammarion 2016 ; Nos Society La fin de la classe moyenne occidentale, Flammarion, 2018. »](3)[/tooltips] Celle-ci ne date pas d’hier mais la gouvernance actuelle de la France n’a fait que l’accentuer. Le grand débat auquel s’est livré Emmanuel Macron avec un courage qu’il faut saluer est l’illustration de cette incapacité du Président à gouverner en créant un minimum d’empathie. Tout au long de ces rencontres, il a été brillantissime comme il l’est à chacune de ses prises de paroles dans les médias. Mais à aucun moment il n’est parvenu à être compris, à susciter la confiance, l’adhésion à lui-même et à son projet. Pire ces interventions ne font que susciter la méfiance et le doute.
Comme les élites élevées hors sol en serres chaudes auquel il appartient, il n’est pas capable de cette connivence avec le peuple.
Politique et psychologie
Or gouverner ne consiste pas seulement à prendre des décisions rationnelles et justes. Le gouvernement appartient aussi au registre de l’intersubjectivité. Impossible de bien gouverner sans reconnaitre l’autre comme un interlocuteur estimé en tant que tel, à part égale, sans se sentir mutuellement proche de lui. Cette connivence se forge dans le côtoiement quotidien à l’âge des apprentissages de la vie. Aujourd’hui non seulement l’ascenseur social est en panne, mais la proximité culturelle et sociale a disparu. Quand les élites n’acceptent plus un minimum de promiscuité sociale, le peuple perd à la fois l’estime de lui-même et la confiance dans ceux qui le gouvernent. Pour finir, il se donne à ceux qui lui font croire – à tort ou à raison -, qu’ils sont de la même tripe que lui.
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Dans cette complicité entre le peuple et les élites, le gouvernement se distingue du simple exercice du pouvoir. Car le gouvernement ne se confond pas avec la pure et simple domination, ni même avec l’exercice de l’autorité. Son objectif n’est pas non-plus de se perpétuer à lui-même. Gouverner consiste à proposer une fin et à imprimer à un peuple qu’il faut unifier une force dynamique ; et ce peuple n’est pas seulement une multitude. Il est un sujet de droit habité du désir de vivre ensemble et de vivre bien. Quelles que soient les modalités de son expression et sa forme institutionnelle, la politique est une rencontre entre la conscience libre du gouvernement et celle des gouvernés.
Ainsi la politique ne peut pas faire abstraction d’une dimension psychologique. Il en va de la politique comme de l’enseignement des mathématiques ou de toute autre discipline. Pour enseigner les mathématiques à Jean, il ne suffit pas de connaître les mathématiques. Il faut aussi connaître et aimer Jean. Or si les Français reconnaissent que leur gouvernement est fort en mathématiques, ils ne se sentent ni aimés ni reconnus par lui.
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