Macron n’a pas réalisé les réformes promises mais sa capacité à gérer les crises a séduit les électeurs. À sa décharge, les institutions de la Ve République sont ingrates avec nos présidents. Élus avec une majorité parlementaire quasi automatique, ils peuvent appliquer un programme minoritaire qui les rend impopulaires.
Il y a plusieurs manières de raconter l’histoire du quinquennat d’Emmanuel Macron. La plus facile est de suivre les courbes de sa popularité. Cela donne une pièce en trois actes.
L’acte I ou « la plongée » commence avec son élection en mai 2017 et se termine dix-huit mois plus tard. Il est rythmé par plusieurs tableaux : juin 2017, projet de loi de la moralisation de la vie publique entaché par les affaires Ferrand et Modem ; été 2017, licenciement du général de Villiers ; été 2018, affaire Benalla. Au cours de cette phase, Jupiter dégringole pour atteindre à la fin de sa première année complète à l’Élysée le point le plus bas dans les sondages. Commence alors l’acte II, « les Gilets jaunes ». En novembre et décembre 2018, le pays et surtout Paris sont secoués par des violences hebdomadaires dont la répétition n’amoindrit pas la stupeur qu’elles suscitent. Ce sont les heures sombres du quinquennat où Emmanuel Macron touche le fond. L’Élysée a peur. La sortie de crise par l’opération « débat citoyen » apparaît a posteriori comme le tournant de son mandat. Plus jamais il ne sera aussi impopulaire. Vers mars-avril 2020, c’est le début de l’acte II, la guerre contre le Covid. Un nouveau Macron arrive sur scène – le président protecteur. Commence alors l’acte III, le « Covid ».
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La popularité de Macron, affaiblie par la résistance à la réforme des retraites fin 2019, poursuit sa baisse quand il décide, mi-mars 2020, de confiner le pays. Elle remonte en flèche pour s’établir au niveau où elle se maintiendra jusqu’au début 2022, moment où l’invasion de l’Ukraine par la Russie renforce encore son image aux yeux des électeurs français. Ce qui est surprenant dès lors que la crise actuelle montre que, depuis 2017, il ne brille pas par sa prévoyance, notamment sur la question de l’énergie.
Dans les pas de François Hollande sur la question énergétique
Candidat, Macron s’est engagé à poursuivre la politique de Hollande, fermer Fessenheim et réduire d’un tiers la part du nucléaire dans le mix électrique (de 75 % à 50 %). Concrètement, il s’agit de programmer la fermeture de 12 réacteurs en plus des deux de la centrale alsacienne. Macron n’amorce son revirement qu’en 2021 et s’engage clairement seulement en octobre dernier. L’exemple parfait de son échec est le gâchis Alstom. Ministre de l’Économie en 2014, il valide la cession des activités énergie d’Alstom à General Electric. En 2022, président, il favorise le rachat, car entre-temps la fabrication des turbines est devenue un enjeu de souveraineté. Certes, Macron s’est lancé avec audace en nouant avec Poutine et Trump une relation particulière. Mais son manque de perspicacité sur le nucléaire montre que l’apport de sa « touche » originale dans les rapports de force pèse très peu quand on néglige le développement des éléments réels de puissance, dont l’un des piliers en France est le nucléaire civil.
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De ces trois actes, on peut tirer une conclusion : Macron est soutenu quand il gère des crises mais quand il essaie de faire avancer une politique (une « réforme »), il se prend un mur. Et comme il recule devant l’obstacle, ce n’est pas uniquement sa popularité qui en souffre. Les « réformes » elles-mêmes finissent diluées ou tout simplement reportées sine die. Quant à celles qu’il a mises en œuvre au début du quinquennat, en particulier en matière fiscale (ISF devenu IFI, suppression de la taxe sur les exilés fiscaux), elles sont anecdotiques dans leurs effets.
Macron a été élu, malgré sa jeunesse et son manque d’expérience (donc, du point de vue des électeurs de 2017, malgré sa faible capacité à gérer des crises) pour mener une politique nouvelle et secouer le pays. Sur ce terrain, il a totalement échoué, tout en assurant là où on ne l’attendait pas, dans son rôle de chef de guerre ou à tout le moins, dans son talent à se mettre en scène en chef de guerre.
Reste à savoir si, devenu quinquagénaire, le président de la Ve République peut jouer un autre rôle que celui de maître-nageur national. Peut-être que cette combinaison paradoxale de succès et d’échecs s’explique moins par les faiblesses de Macron (et cela vaut pour Hollande, Sarkozy…) que par les règles du jeu. Ce qui permet de dresser un autre récit du quinquennat.
Une impopularité qui s’explique institutionnellement
Nos présidents sont élus en défendant un programme qui au premier tour s’avère minoritaire, voire très minoritaire (Chirac 2002). Au deuxième tour, c’est le moins rejeté des deux qui l’emporte. Dès leur première garden-party du 14 juillet, il se retrouve à l’Élysée avec une majorité docile à l’Assemblée nationale. Autrement dit, rien ni personne ne peut l’obliger à adapter son programme minoritaire en y intégrant des éléments proposés par ses adversaires. Et puisque nos présidents sont des mâles (et un jour des femelles) alpha, sûrs d’eux et dominateurs, ce n’est certainement pas de leur propre chef qu’ils changeront quoi que ce soit. Ils croient avoir toujours raison et, sans rapport de force, ils ne bougent jamais.
Avant Macron, il existait cependant un acteur capable de les faire reculer et changer de position – sinon d’avis : le parti. Ils devaient prendre en compte les intérêts des parrains (appelés « éléphants » au PS). Même s’ils détestaient ça, ils étaient obligés de nommer au gouvernement des personnages forts qui n’avaient pas peur d’eux.
Le quinquennat d’Emmanuel Macron, une véritable monarchie présidentielle
Chez Macron, rien de tout cela. C’est un homme hors père. Par réflexe ou par calcul (à moins que ce ne soit faute de combattants valables), il s’entoure d’exécutants. Il est le patron et le fondateur donc n’est l’héritier de personne. Son parti LREM est l’illustration parfaite de ce trait de caractère chez Macron. Aucune personnalité n’a émergé et les seuls à jouer un rôle sont des anciens de LR ou du PS. Les recrues du printemps 2017 « issues de la société civile » n’ont pas laissé la moindre trace. Nul ne peut faire de l’ombre à Macron. Nul n’est en position de lui infliger ce qu’il a infligé à Hollande. Le rival le plus dangereux, Édouard Philippe, a été écarté avant de le devenir vraiment. Sans oublier que, comme Jupiter, Macron est un chouchou de la Fortune. François Bayrou, qu’il a été obligé de nommer à un poste important et qui aurait pu se comporter comme son aîné et son mentor, a sauté tout seul sur une mine, débarrassant le président nouvellement élu d’une présence potentiellement encombrante au Conseil des ministres.
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Plus que ses prédécesseurs, Macron cumule les pouvoirs de nos institutions sans devoir affronter de véritables contre-pouvoirs. Dans ces conditions, on se demande pourquoi son bilan est si léger en dehors de ses talents d’urgentiste. Faute d’être simple, la réponse est courte. Fruit d’une obsession pour la capacité de gouverner, les institutions privent notre chef de ce qui est encore plus important que le pouvoir juridique d’agir – la légitimité.
Le programme éclipsé par la personnalité du candidat
La personne est élue, mais pas sa politique. Or, une fois président, la personne applique sa politique, avec le soutien de députés élus grâce à lui (les Français sont conséquents). Et puis c’est la grève, les cheminots/élèves/infirmières sont dans la rue, et à l’Élysée on découvre la réalité : un projet plébiscité par 24,01 % (Macron), 28,63 % (Hollande), 31,18 % (Sarkozy), voire 19,98 % et 20,84 % (Chirac) a du mal à passer… Surprise ! La majorité obtenue par le chantage institutionnel du second tour ne légitime pas les réformes présentées au premier. Et au lieu de négocier une plateforme de gouvernement avec les représentants des différents courants de la société française, le président se trouve dans un rapport de force avec la CGT ou pire encore avec des Gilets jaunes, avec lesquels tout dialogue est impossible faute de porte-parole et de revendications claires.
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C’est le défaut majeur de la Ve : ce n’est pas un régime représentatif, d’où le déficit de légitimité du chef de l’État. Et le pouvoir législatif, qui aurait pu remédier à ce problème, est la principale victime de notre Constitution, relique du mépris du Général pour les « assemblées ».
Notre problème ne tient donc pas à l’échec de la démocratie représentative, mais à son absence. Aussi la solution ne se trouve-t-elle pas du côté de la démocratie directe, mais dans l’élection d’une assemblée véritablement représentative en lieu et place de notre chambre d’enregistrement. Nous avons besoin d’un Parlement reflétant – plus au moins –, les résultats du premier tour des présidentielles, car ce sont les majorités automatiques qui condamnent le président à l’échec politique.