En quête d’influence au Moyen-Orient, la France se rapproche sans le dire du Qatar, face à une Arabie saoudite acquise à l’Amérique de Donald Trump. C’est déjà la troisième rencontre entre Emmanuel Macron et l’émir al-Thani. Un clin d’oeil qui ne sera pas ignoré par l’Iran…
Emmanuel Macron reçoit officiellement, ce vendredi 6 juillet, l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, à l’Elysée. Il s’agit déjà de leur troisième rencontre depuis l’élection du président français, preuve s’il en est de l’attachement qui lie la France et le Qatar depuis de nombreuses années. Une longue et riche histoire commune, qui remonte à l’indépendance de ce petit mais puissant émirat gazier. Un Etat entouré par des puissances autrefois alliées, puisque toutes membres du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), mais qui semblent aujourd’hui redouter, pour certaines, que son émancipation ne leur fassent de l’ombre.
Au Qatar, Paris a toujours levé le Doha
En 1972, un an après l’indépendance du Qatar, la France fut l’un des premiers pays au monde à accueillir une mission diplomatique qatarie. En 1994 puis en 1998, la signature d’accords de défense scellent la coopération franco-qatarie, encore renforcée par l’intervention militaire conjointe en Libye, en 2011, et par la participation du Qatar aux frappes aériennes de la coalition internationale en Syrie. Cette coopération militaire s’est également illustrée par la signature, le 7 décembre dernier, de 11 milliards d’euros de contrats avec Doha, portant notamment sur la vente d’avions Rafale et de blindés.
Si la coopération entre nos deux pays est, avant tout, économique – selon le FMI, la France était le cinquième fournisseur du Qatar en 2015, avec une part de marché évaluée à 6,3% et, selon l’ambassade de France à Doha, le Qatar était en 2017 le deuxième client de la France dans la région du Golfe -, elle s’exerce aussi dans les domaines de la culture, du sport, de l’éducation et de la recherche.
En témoignent la présence de plusieurs branches délocalisées d’universités ou grandes écoles françaises à la Cité de l’Education de Doha, ou le choix de faire confiance à l’architecte Jean Nouvel pour les plans du Musée national du Qatar. Le fait que les enfants de l’émir al-Thani bénéficient, depuis plusieurs décennies, de précepteurs spécialement venus de France est également un symbole fort, de même que la désignation, en 2012, du Qatar comme membre associé de l’Organisation internationale de la francophonie. Mentionnons aussi l’élection de Moza bint Nasser Al Missned, la mère de l’émir actuel, à l’académie des Beaux-Arts. Sans parler du rachat de l’emblématique club de football du Paris Saint-Germain, ou du succès de la version française de la chaîne de télévision sportive BeIn Sports, lancée en 2012 par le groupe Al Jazeera.
Partie de Golfe à distance
Cette fructueuse histoire commune fait du Qatar le meilleur allié de la France au Moyen-Orient. Néanmoins, après une présidence Sarkozy marquée d’un tropisme pro-Doha et une présidence Hollande ayant cru bon de prendre le parti de Riyad, la diplomatie française se garde désormais de trancher entre les deux camps. Camps qui se déchirent, depuis que l’Arabie saoudite et ses alliés ont rompu de façon infondée leurs relations diplomatiques et imposé un blocus économique au Qatar en juin 2017, alléguant de complicités supposées du pays avec le « terrorisme international » et voyant d’un mauvais œil le rapprochement de Doha avec Téhéran.
La France refuse donc de choisir son camp – en apparence, du moins. N’est-ce pas grâce à cette posture que le Premier ministre libanais, en visite prolongée à Riyad, a pu regagner son pays en passant par Paris ?
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Pour le reste, la fréquence des rencontres et contacts entre Emmanuel Macron et Tamim al-Thani parle d’elle-même. Surtout, les diplomates français ont bien conscience que l’Arabie saoudite est acquise aux Etats-Unis, et que Riyad favorisera toujours Washington sur Paris. Et ce depuis le 14 février 1945, jour de la signature du pacte du Quincy, assurant aux Etats-Unis un accès privilégié au pétrole du Royaume, en échange d’une protection militaire en cas d’agression.
Des signes qui ne trompent pas
De fait, la stabilité de l’Arabie saoudite fait désormais partie des « intérêts vitaux » de l’Oncle Sam, de même que la protection inconditionnelle de la famille Saoud et le leadership régional de la pétromonarchie. Une relation d’interdépendance qui ne semble pas près de s’interrompre, tant Washington a la garantie d’avantages économiques importants, et Riyad celle de bénéficier du gigantesque marché étatsunien, ainsi que de la sécurité militaire offerte par l’armée américaine. La remise en cause par les Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien ne pourra que renforcer cette relation avec l’Arabie saoudite.
En septembre dernier, alors qu’il recevait pour la première fois l’émir du Qatar, Emmanuel Macron a officiellement « réaffirmé la volonté de la France, qui entretient des relations d’amitié et de confiance avec tous les pays impliqués dans [la crise du Golfe], de jouer un rôle actif, pour qu’une issue rapide soit trouvée à cette situation ». Une manière de ménager la chèvre et le chou, qui ne doit pas faire illusion.
Car c’est bien le Qatar que l’Elysée soutient sans réserve, le président français ayant à cette même occasion demandé la levée « le plus rapidement possible » des « mesures d’embargo affectant les populations » qataries, en particulier celles touchant les familles et étudiants vivant dans les pays voisins à l’origine du blocus, dont l’Arabie saoudite, le Bahreïn et les Emirats arabes unis.
Un Qatar de plus en plus France-compatible
La France d’Emmanuel Macron envoie donc de nombreuses marques de soutien au Qatar. Pays qui, pour ne rien gâcher, semble de plus en plus fréquentable du point de vue du respect des droits de l’Homme. Des efforts salués en avril par le président de la Commission des droits de l’Homme du Parlement européen, Antonio Panzeri , qui, après s’être rendu à Doha, a affirmé avoir « constaté des avancées positives en matière de droits humains » et se réjouir « des prochains développements dans ce domaine », se félicitant « de l’accord […] signé entre le ministère du Travail [qatari] et l’Organisation internationale du Travail (OIT) ». L’ouverture d’un bureau de l’OIT dans la capitale qatarie devrait assurer aux ouvriers travaillant sur les chantiers du Mondial de football 2022 de meilleures conditions de vie.
Cette nouvelle rencontre, aujourd’hui à Paris, entre les deux jeunes chefs d’Etat devrait permettre de réaliser un tour d’horizon et d’actualiser notre relation après la dénonciation de l’accord avec l’Iran.
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