Tandis qu’il agonise… Comment ne pas songer au célèbre roman de William Faulkner en voyant le PS se consumer un peu plus chaque jour ? La primaire organisée le mois dernier devait permettre au parti né à Épinay en 1971 de se refaire une santé. Las ! elle a confirmé que le malade avait atteint un stade critique. Le chiffre à retenir n’est pas le score de tel ou tel candidat du premier tour, pas plus que le résultat du second tour, mais celui de la participation : le premier dimanche, elle a diminué de près de 40 % par rapport à la primaire de 2011. Déjà, les taux d’audience des différents débats télévisés avaient été faiblards, très faiblards. À l’automne, la primaire de la droite avait suscité un réel engouement. En janvier, la primaire du PS a mis en lumière un vrai rejet.
Les formations politiques sont à l’image des civilisations : mortelles. L’ancêtre du PS, la SFIO, a résisté à beaucoup d’avanies, de la guerre d’Algérie au retour au pouvoir du général de Gaulle. Mais elle n’a pas survécu au score calamiteux de son candidat, Gaston Defferre, à l’élection présidentielle de 1969 : 5 %. Or les sondages créditent aujourd’hui le vainqueur de la primaire socialiste d’un score à peine plus élevé au premier tour de la prochaine présidentielle. Les mêmes causes produisant généralement les mêmes effets, poser la question de l’après-PS ne relève donc plus de la politique-fiction.
À l’origine des refondations politiques, il y a toujours un homme. En 1969, il s’appelait François Mitterrand. Après l’échec de Gaston Defferre, il était le leader incontesté de[access capability= »lire_inedits »] ce que l’on appelait alors la gauche non communiste. Sans pour autant appartenir à la principale formation de ce conglomérat, la SFIO. Sous peine d’être marginalisée, la SFIO ne pouvait que s’ouvrir pour digérer Mitterrand. On s’en souvient : à Épinay, c’est Mitterrand qui a « digéré » la SFIO.
Un cannibale nommé Macron
L’homme qui cannibalise aujourd’hui le PS s’appelle Emmanuel Macron. Dans les enquêtes d’opinion sur l’élection présidentielle, il devance nettement le candidat socialiste. La vraie primaire de la gauche n’est pas celle que vient d’organiser le PS. C’est la primaire « sondagière » qui va opposer dans les deux prochains mois Macron au postulant du PS. Ce qui est en jeu, c’est ni plus ni moins le maintien de ce dernier, comme l’a relevé avec malice Jean-Luc Mélenchon. Bon gré mal gré, le PS pourrait être amené à demander à son représentant de se retirer si Macron s’avérait en mesure de se qualifier pour le second tour…
Bien entendu, la vie et la mort des partis politiques obéissent à des ressorts plus profonds. À vrai dire, c’est assez simple : ils ne peuvent pas tricher éternellement avec leur ADN. Tout au long de la IVe République et au début de la Ve, la SFIO avait pratiqué une politique dite de troisième force, en clair des alliances avec des partis de droite et du centre. Lors de son congrès fondateur, le PS a fait un choix stratégique : l’union de la gauche, érigeant les autres partis de gauche en interlocuteurs uniques. En premier lieu, le parti communiste.
Depuis, l’union de la gauche a connu quelques hauts et beaucoup de bas. Le PCF est passé du statut de parti de masse à celui de groupuscule. Le PS lui-même a traversé des zones de turbulences comme en 2002, avec l’élimination de son candidat, Lionel Jospin, du second tour de l’élection présidentielle. Mais, de congrès en congrès, il a gardé le même logiciel, l’union de la gauche, en la célébrant d’autant plus qu’elle était structurellement en crise.
Un quinquennat pour rien ?
Aujourd’hui, impossible de se voiler la face : le quinquennat de François Hollande a vu se déchaîner une véritable guerre des gauches. Dès qu’il a employé, dans le cadre de la lutte contre le chômage, des moyens estampillés idéologiquement incorrects, c’est-à-dire des mesures à caractère libéral, le président de la République a vu se dresser contre lui non seulement le Front de gauche mais une partie non négligeable des députés socialistes : ceux qu’on a baptisés les « frondeurs » ont tout fait pour paralyser l’action du gouvernement de Manuel Valls, en déclarant hors du champ de la gauche son ministre de l’Économie, Emmanuel Macron.
L’actuel locataire de l’Élysée a bien sûr une grande part de responsabilité dans l’échec cuisant du quinquennat. Mais Hollande a surtout tué Hollande : il s’est retrouvé dans l’impossibilité de se représenter. Ceux qui ont tué, du moins achevé, le PS, ce sont les « frondeurs » : que penser d’un parti qui a employé l’essentiel de son énergie à empêcher de gouverner une équipe principalement issue de ses rangs et qui avait reçu l’onction du suffrage universel ? Un tel parti est juste bon à être envoyé à la casse : c’est à l’évidence le sentiment de beaucoup d’électeurs de gauche.
Un homme avait posé le bon diagnostic sur l’état de cette gauche : Manuel Valls. Alors Premier ministre, il avait distingué deux gauches « irréconciliables » : une gauche de gouvernement, prête à se coltiner au réel ; et une gauche du verbe, prisonnière de son antilibéralisme primaire. Étrangement, Valls a changé de pied après sa déclaration de candidature à l’Élysée en optant pour une campagne de bisounours. Avant de se réveiller le soir du premier tour de la primaire devant la performance de Benoît Hamon, le vrai chef des « frondeurs ».
Les quatre France
À la veille de la présidentielle, la France est coupée en quatre. En quatre quarts quasiment égaux et qui se regardent en chiens de faïence. Le premier quart, peut-être le plus important, c’est la France FN, la France qui s’apprête à voter pour Marine Le Pen. Le deuxième quart, sans doute un peu moins consistant, c’est l’alliance de la droite conservatrice et des centristes orthodoxes représentée par François Fillon. Le troisième quart, c’est la gauche radicale : quand on additionne le Front de gauche, les frondeurs du PS, les Verts, et ce qu’il reste du gauchisme, on arrive tout près de 25 %.
Le dernier quart est le plus hétéroclite : il réunit la gauche non radicale, les centristes véritablement centristes et la droite qui se réclame du libéralisme pas seulement sur le terrain économique. C’est cette France qui se pâme aujourd’hui devant Macron. Ce dernier a collé une étiquette sur ce rassemblement en devenir : « les progressistes ». Seront-ils vraiment au rendez-vous de la présidentielle ? Il est trop tôt pour l’affirmer. Mais si Macron réussit son pari, le PS se retrouvera écartelé entre une majorité de son appareil, qui reste idéologiquement proche de Mélenchon, et une majorité de ses électeurs, qui aura succombé à l’appel du grand large.
Dans son roman, Faulkner met en scène une héroïne mourante, Addie, qui fait promettre à son mari de l’enterrer parmi les siens. C’est ce dont crève aujourd’hui la gauche : l’entre-soi. L’idée qu’elle garde le monopole du cœur. Plutôt mourir que d’admettre que le monde a changé et qu’il faut réviser son catéchisme : c’est le credo qui réunit les différentes chapelles de la gauche radicale. Au-delà de ce cercle, point de salut. Macron a l’immense mérite d’avoir ouvert une fenêtre : la logique de sa démarche, c’est la destruction du mur construit à Épinay entre la gauche et la droite. Le PS n’y survivra pas !
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