On peut bien lui adresser pléthore de reproches, et on peut déplorer que le contexte ukrainien le serve… Mais Philippe Bilger n’est pas pour autant monolithique dans son analyse de la personnalité du président sortant qui compte enjamber l’élection.
Bien sûr, il y a la force, la dureté des convictions et des oppositions, la certitude du changement politique à opérer, la multitude des dénonciations qu’un quinquennat hors du commun a fait surgir, l’accumulation des irritations que le comportement présidentiel a engendrées, pour de petites comme pour de grandes choses, il y a tout ce qui ne donne pas envie de voir réélu le président sortant.
Inventaire des irritations
On peut préciser, mais en vrac, la trahison de certains engagements essentiels, le ciblage systématique des imperfections du caractère français, l’autarcie arrogante de sa pratique présidentielle, la désastreuse limite, pour mettre en œuvre une action véritablement efficace sur tous les plans, du « en même temps », les fluctuations choquantes sur l’Algérie, la colonisation, la police et la culture, une politique internationale du verbe plus que de l’effectivité, des naïvetés initiales face à Trump et à Poutine, de l’écologie au rabais, le cynisme des rattrapages de fin de mandat, les postures indécentes tant à l’Élysée qu’ailleurs, la dernière le montrant négligé comme s’il était le président Zelensky sans cesse aux bords de la mort, les choix que ce très mauvais DRH a effectués, pour ne parler que de Benalla et d’Eric Dupond-Moretti, la parfaite et organisée division du travail proposée, tout au long, par le couple Macron au peuple – à lui, beaucoup de politique et un peu d’humain, à elle beaucoup d’humain et un peu de politique -, le mépris des peurs du citoyen ordinaire face à la délinquance et à la criminalité de tous les jours, la manière étrange dont la démocratie est appréhendée et porte au comble les roueries et les magouilles politiciennes, son refus irritant de débattre avant le premier tour alors que sa présidence, sans lien avec les précédentes, devrait l’accepter, la gestion d’une pandémie, loin d’avoir toujours été impeccable, des gilets jaunes laissés à l’abandon avant leur irruption brutale dans notre monde convenu, puis trop longtemps traités avec condescendance, un président de la République persuadé de n’être pas celui des riches mais ligoté par son passé, son tempérament et le dogmatisme absurde du ruissellement, une France, sous son égide, abstraitement honorée mais sans cesse, par une sorte de snobisme de la contrition, renvoyée seulement à ses heures et à son Histoire prétendues les plus sombres.
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Emmanuel Macron, durant cinq ans, roi de son soleil, non plus espérance d’un nouveau monde mais artisan doué et manipulateur au cœur de l’ancien…
Bien sûr, j’ai la faiblesse de considérer que cet inventaire, aussi disparate qu’il soit, n’est pas faux même si naturellement j’intègre un élément qui semble être devenu un triste mantra républicain: il n’est pas pire que ses prédécesseurs et, avec la guerre contre l’Ukraine, il est en place, on l’a et on va le garder. Cette attitude qui privilégie le présent tutélaire peut se comprendre mais reste relativement pauvre pour l’élaboration d’une opinion.
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Peu importe car, moi le premier, au moment même où je me convaincs que mon réquisitoire est pertinent, je me murmure, avec une sorte de regret, qu’Emmanuel Macron est agaçant: il n’est pas nul… C’est le handicap qui affecte ceux qui lisent compulsivement les essais et analyses politiques, même mieux, le compte rendu exhaustif et intelligent d’un mandat dans tous les sens d’exception. Je fais référence à l’ouvrage de Laurence Benhamou, journaliste de l’AFP accréditée à l’Elysée : Le solitaire du Palais (présenté comme le livre du quinquennat Macron). L’intérêt de celui-ci ne réside pas dans la relation, au demeurant très claire et réussie, des grandes lignes de la politique d’Emmanuel Macron, sur les plans national et international, mais dans la précision des détails, dans la mise en lumière de tout ce qui se déroule dans les interstices de la présidence officielle. La personnalité d’Emmanuel Macron surgit, parfois très différente de son image médiatique majoritaire. On est obligé de prendre acte de la finesse des intuitions et de la justesse des desseins, d’admirer la profusion des tours de force (pas seulement physiques), l’incroyable acharnement dans certaines circonstances (par exemple, quand il a voulu favoriser un dialogue qui aurait été inédit entre Trump et Rohani), ce mélange de courage, de passion de la discussion et d’exaspération face à la médiocrité de ceux qui le servent.
Soyons honnêtes
Sur le registre du sentiment, comment aussi ne pas être touché par ses incessants retards parce qu’il passe beaucoup de temps pour écouter les gens. Un jour en particulier, par exemple, où il restera une demi-heure pour consoler une femme victime de violences. Cela n’efface pas le président vertical, jupitérien, impérieux mais ouvre une fenêtre sur un autre qui s’ajoute au premier quand il le décide. Cela ne change pas non plus l’appréciation globalement critique qu’on peut faire d’un mandat, pour ses péripéties personnelles comme pour ses orientations et ses lacunes mais impose de ne pas être muré dans une détestation d’autant plus facile qu’elle gomme tout ce qui pourrait peu ou prou la contredire.
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Oui, Emmanuel Macron est agaçant parce qu’il n’est pas nul et que dans l’opposition qu’il suscite, il est impossible de ne pas faire la part des choses et d’occulter sa part de lui-même qu’on connaît mal ou trop peu. Je suis victime de cet insupportable fléau, de cette tare irrémédiable, de ce poison honorable et de ce malaise permanent qui portent un très beau nom: l’honnêteté.
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