Plutôt que réellement impopulaire, le président Macron demeure singulier et insaisissable.
D’abord, il convient d’admettre que la personnalité d’Emmanuel Macron est trop riche, trop complexe et trop équivoque pour qu’on ne se penche pas sur elle, qu’elle en vaut la peine et qu’on ne saurait la réduire à la caricature que certains esprits partisans en font. C’est, à chaque émission des Vraies Voix à Sud Radio, ma principale controverse – outre qu’elle est socialiste et que je ne le suis pas – avec mon amie Françoise Degois qui cherche obstinément à me démontrer qu’Emmanuel Macron est un président médiocre, tout d’une pièce, et que je me trompe en lui prêtant une profondeur qu’il n’a pas. Pourtant, je continue à penser que mon approche n’est pas absurde qui le gratifie d’une singularité sur laquelle il est passionnant de réfléchir.
Loin d’être notre président le plus impopulaire…
Cette analyse impose que le sens de la nuance existe, et qu’on sache distinguer entre la notion d’impopularité politique et l’hostilité humaine à l’égard d’un caractère ou d’attitudes pour lesquelles on n’éprouverait aucune empathie. Car, à la question qui interrogerait sur le président de la République le plus impopulaire de la Ve République, l’évolution des sondages et leurs fluctuations font apparaître qu’ Emmanuel Macron n’est de loin pas le plus mal loti et que par exemple Nicolas Sarkozy et François Hollande ont connu des baisses beaucoup plus vertigineuses. Le président actuel s’en tient, au niveau politique, à un capital solide et persistant qui démontre la réalité de soutiens apparemment inébranlables.
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Pourtant, on ne peut échapper à cette contradiction qu’Emmanuel Macron est aussi, en dépit de séquences intermittentes contraires, le plus mal-aimé depuis 1958. Si son épouse est souvent célébrée, il y a eu une période où le couple était odieusement vilipendé et mis à mal. J’ai toujours considéré que le passé ne nous offrait pas d’exemples d’une détestation aussi virulente, déplacée du terrain politique au registre personnel. Allant de la contestation d’un président de la République à l’exécration d’un roi républicain, qui permettait à ses ennemis de cumuler ce que la République peut susciter de négatif et ce que la royauté fait surgir de jalousie, d’envie et de pulsions mortifères.
Ombre et lumière
Cette dérive n’est pas exclusive, par ailleurs, de ce que sur le fond, sa politique nationale et internationale (sauf pour l’Ukraine, avec un Poutine auquel aucune horreur n’est étrangère) secrète comme oppositions, ressentiments et parfois désaveux, voire mépris (si on songe à la « gifle » du Maroc). Ces virulences sont d’autant plus aigres et intenses que depuis sa réélection après une campagne ayant laissé le citoyen sur sa faim, Emmanuel Macron a perdu de son aura avec cette majorité relative qui constitue un handicap certain. Il paraît lui-même se heurter aux murs de la République, cherchant, tâtonnant, errant comme si la grâce d’avant l’avait abandonné…
Mais pour l’homme lui-même et sa pratique présidentielle ? Même si son premier quinquennat et le cours du second ont connu et connaissent une série d’aléas, d’entraves et de tragédies de toute nature, rares dans une vie présidentielle, je ne suis pas persuadé que cela suffise aux citoyens pour compenser l’impression, avant, d’un parcours facile, confortable, n’ayant jamais posé sur l’apparence d’Emmanuel Macron les stigmates d’épreuves qui l’auraient rendu fraternel.
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Par ailleurs, en dépit de moments où il s’est laissé aller à quelques grossièretés, s’imaginant qu’on lui en saurait gré, comme si le peuple n’aspirait pas à la tenue de ceux qui le dirigent (son envie de proximité n’est pas récusable en elle-même dès lors qu’il l’incarne avec une correction qu’il convient de saluer ; son échange récent avec cet écologiste délirant au Salon de l’agriculture en est une très éclairante illustration), Emmanuel Macron met le pays en état de malaise. Ce président nous gêne qui ne nous permet pas de nous camper dans une posture d’hostilité franche ou d’inconditionnalité assurée. Ce qu’il dit, ce qu’il accomplit, est sans cesse ombre et lumière, vrai en partie, faux aussi, à la fois narcissique, également lucidité et courage intellectuel. Emmanuel Macron a été et est un très piètre DRH, probablement le président qui a choisi avec une sûreté absolue, pour les postes de conseillers et de ministres, les plus mauvais. Par exemple Thierry Solère, conseiller officieux (et obstinément gardé) avec ses treize mises en examen. Ou Pap Ndiaye, si peu à sa place qu’il en devient presque touchant.
Mais, cette inaptitude à sélectionner les meilleurs (bonheur de n’avoir qu’Alexis Kohler dans le royaume enchanté de l’intelligence supérieure ?) est très largement compensée par le fait qu’Emmanuel Macron se mêle de tout ! tout le regarde, il travaille pour deux, la nuit n’est pas un repos, la pression est sur tous, on ne peut pas de manière commode le prendre pour un roi fainéant, il vit, il bouge, il s’agite, il se morfond, il ne supporte pas cette inaction qui vient mettre des bâtons dans son énergie, dans son désir de réforme, dans sa passion de bousculer et de provoquer. On sent son exaspération face à ces oppositions qui se contentent de s’opposer, face à son camp dont il mesure à sa juste valeur la qualité – déjà divisé à cause de certaines loyautés troubles, un zeste dissidentes. Emmanuel Macron est agaçant pour beaucoup précisément parce qu’il ne se résigne pas à l’immobilisme. On le préférerait serein, tranquille, observateur regardant le temps présidentiel passer, encore un peu là, déjà presque plus là. Emmanuel Macron est encore beaucoup trop vivant ! Le citoyen aimerait faire sans lui mais c’est impossible. Il y a ses échecs qui démontrent sa présence mais aussi son inlassable besoin de se démultiplier, comme s’il désirait se faire regretter avant l’heure.
Je persiste donc à juger Emmanuel Macron plus comme un mal-aimé que comme un président contesté. Mais s’il ne peut se défaire de lui, en 2027 il devra se défaire de nous…
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