« Ne désavoue jamais »: cela pourrait être la devise des politiques français. Alors que les désaveux démocratiques s’enchaînent, comme le camouflet infligé à LREM aux dernières élections, notamment en la personne du garde des Sceaux dans les Hauts-de-France, nos gouvernants refuseront toujours d’assumer leurs échecs. Les exigences d’une saine démocratie imposeraient qu’ils en tirent les leçons, en démissionnant par exemple.
Guy Mardel a chanté en 1965 « N’avoue jamais ». Il me semble, avec un peu d’ironie mais beaucoup de justesse, qu’en politique tout particulièrement, l’injonction est au contraire de se dire : ne désavoue jamais.
Le président de la République, comme c’était prévisible, parce qu’il déteste réagir sous l’emprise du réel et dans l’attente du second tour des élections régionales et départementales, n’a pas encore commenté le désastre de LREM le 20 juin. Son conseiller politique Thierry Solère, qui était de droite, avait pour mission de fracturer la droite. Manqué. Et LREM s’est brisée toute seule ! Réaction sur ce sujet, toute de mesure et de lucidité, du sénateur LREM François Patriat.
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L’omniprésent ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a dû s’expliquer sur les dysfonctionnements liés à la campagne du premier tour mais il va de soi qu’il ne démissionnera pas. En France l’échec, sur aucun plan, n’est un drame. La réussite est de savoir échouer d’une certaine manière. Pour les Hauts-de-France, le garde des Sceaux engagé dans un combat ambigu a tenu des propos de haine à l’encontre de Marine Le Pen et du RN auxquels il imputait d’avoir un discours de haine ! La liste à laquelle il appartenait, avec d’autres ministres, n’a même pas atteint les 10% et Xavier Bertrand, qu’il avait cherché à ridiculiser pour ses propositions pénales, a viré très largement en tête au premier tour. Eric Dupond-Moretti, toute dignité perdue, a appelé à voter en sa faveur en continuant cette lamentable distinction entre adversaires et ennemis comme si être hostile au RN impliquait d’oublier que ses électeurs étaient citoyens, Français et nos compatriotes. Pas plus ennemis que les autres, pas moins adversaires que les autres. Mais le président de la République se murmure : « Ne désavoue jamais ».
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Pendant quelque temps, il avait été tenté d’agir de même avec l’affaire Benalla. Mais à la longue, c’était devenu ingérable. Désavouer exigerait une forme d’abandon, de modestie, on serait contraint de sortir de sa superbe et surtout il faudrait être sûr de pouvoir remplacer avantageusement le partant. Pour le ministre de la Justice, aucun problème ne se poserait – je me souviens, par exemple, de Guillaume Larrivé de LR s’étant clairement offert au macronisme – et des ambitions se révéleraient. Mais pour d’autres, que d’embarras. Ainsi je continue à trouver talentueux et convaincant (autant que sa cause le permet et ce n’est pas une mince affaire !) le porte-parole Gabriel Attal et il n’aurait pas été évident de lui trouver un successeur. Aussi le président demeure volontiers sur cette pente : Ne désavoue jamais.
Il n’est d’ailleurs pas le seul à s’être campé dans cette prudence inactive qu’on pourrait qualifier de fidèle. Aussi bien François Mitterrand que Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ont adopté ce registre en considérant qu’il valait mieux défendre des inconditionnels fautifs que faire s’éloigner des médiocres incontestables. Je ne suis pas persuadé qu’à la longue ce soit un bon calcul.
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Mais je les entends se parler à eux-mêmes : Ne désavoue jamais.
Nicolas Sarkozy en a bénéficié puisque malgré tant de péripéties discutables au pouvoir ou après l’avoir quitté, notamment judiciaires, son parti, sa cour et ses amis proches ne l’ont jamais vraiment « désavoué ». Le paradoxe est que le président Hollande, lui, n’a pas hésité à renvoyer mais qu’il a été aussi le seul à être plombé par une opposition constante de son propre camp. N’hésitant pas à désavouer, il a été lui-même sans cesse désavoué. Je me demande si un jour, quand la politique sera devenue un lieu de vérité, l’honneur d’être ministre une exigence de responsabilité, on n’aura pas cet immense progrès démocratique de voir des fiascos non plus couronnés par des soutiens mais par des reconnaissances de culpabilité spontanées ou forcées. Pour faire mentir l’adage « Ne désavoue jamais ».
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