Dans son excellent essai Un racisme imaginaire. La querelle de l’islamophobie, Pascal Bruckner observait que la France contemporaine vivait surtout sur un « patriotisme de la rétraction et non d’expansion » et qu’elle rêvait de « fermer ses frontières plutôt que de les distendre à l’infini ». Non seulement la France ne possède plus aucune colonie, mais la montée du souverainisme en son sein traduirait la volonté de rompre avec les grands projets impériaux. En gros, la France serait sur le point d’accepter que ses frontières ne peuvent plus coïncider avec celles de l’univers. Mais avec la dernière victoire d’Emmanuel Macron, qu’en est-il vraiment ?
Les Français attachés à la fraternité globale
Malgré la renaissance conservatrice qui aurait lieu actuellement, la victoire de Macron à la présidentielle témoigne d’un fait : dans son ensemble, ce pays ne semble pas encore prêt à renoncer à son « ouverture sur le monde ». Outre la campagne plutôt moyenne du Front national, l’historique de ce parti qui lui nuira toujours et la performance désastreuse de Marine Le Pen lors du dernier débat, le peuple français semble toujours assez fidèle à ses prétentions universelles. Certains analystes pensent que la victoire de Macron résulte surtout des déboires personnels de François Fillon, mais peut-être, au fond, que les Français sont plus attachés qu’on ne le pense à cette idée plutôt naïve de fraternité globale.
Peut-être, aussi, que ce pays demeure inconsciemment trop catholique pour vouloir éventuellement sortir de l’Union européenne, pour se replier comme les Anglais sur une petite île de la solitude. On perçoit aujourd’hui les catholiques comme de vrais patriotes, mais Machiavel disait d’eux qu’ils étaient les pires citoyens, car ils demeuraient toujours partagés entre leur appartenance à la Cité et leur appartenance à l’Humanité entière. Les laïques n’oseront pas avouer que si la France répond toujours de Robespierre, comme le chantait Jean Ferrat, elle répond encore également de Saint Paul pour qui il n’avait plus « ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme », mais seulement des fils de Dieu. Il y a quelque chose de très chrétien dans le sans-frontiérisme.
Jean Ferrat – Ma France par antidogme
Ce n’est pas tant que la France soit mondialiste au sens où on l’entend dans les médias. Bien évidemment, il existe un fort rejet de la mondialisation économique parmi sa population, ce que prouvent les nombreux appuis à Mélenchon et à Le Pen. Mais la France, dans son imaginaire, se sentira toujours investie d’un esprit missionnaire l’appelant à transcender les frontières. À l’Hôpital militaire de Percy, Macron a affirmé lors de sa journée d’investiture qu’il fallait « défendre la nation », mais aussi « la liberté dans le monde ». Après tout, avec la Révolution, la France ne devenait-elle pas la mère de toutes les nations ? N’est-elle pas le foyer des toutes premières tentatives d’unification de l’Europe, celles de Charlemagne et de Napoléon ? En fin de compte, la France ne restera-t-elle pas une Rome laïque incapable de se restreindre à l’autosuffisance ?
La République renonce à son héritage
Le problème, c’est que si la République refuse de renoncer au monde, en contrepartie, elle refuse désormais de transmettre son héritage. La planète, c’est bien beau, mais encore faut-il qu’elle fasse l’objet d’un projet. En adoptant, même assez mollement, le multiculturalisme édulcoré de Macron, l’Hexagone choisit peut-être de s’accrocher à une idée quelque peu brouillée de l’universalité, mais au fond, il sombre dans la division. Confondre universalisme et multiculturalisme est une erreur idéologique monumentale : le premier propose de faire abstraction des différences pour traiter les gens de toutes les origines sur un pied d’égalité, alors que le second propose de reconnaître et de valoriser ces différences, au point d’alimenter un choc des civilisations.
Autrement dit, il ne suffit pas d’exalter la diversité dans de beaux discours pour rassembler les gens autour de valeurs communes. La reconnaissance du cosmopolitisme ne garantit en rien l’adhésion à un idéal républicain. L’universalisme français, autrefois, consistait à projeter à l’extérieur des frontières les valeurs de la République, chose que Macron refusera même d’entreprendre à l’intérieur du pays, par souci de ne pas « coloniser » les communautés immigrées.
Le refus de transmettre l’héritage français devient encore plus concret lorsque l’équipe d’En Marche ! choisit notamment le rappeur américain Cris Cab pour chauffer la foule avant le premier discours du président élu. Mais qu’est-ce que cette anglomanie maladive dans un pays qui devrait être fier de sa langue, de ses idées et de sa littérature ? Lors de son rassemblement au Louvre qui aurait bien amusé Philippe Muray, Macron a eu beau encourager ses partisans à brandir des drapeaux tricolores, c’est pourtant au triste spectacle de la perte d’influence de la France auquel nous avons assisté. Si la République allait autrefois vers le monde, c’est maintenant le monde qui vient à elle.
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