Notre chroniqueur, imbu de culture classique, voit la main des dieux et de Sophocle dans les derniers aléas de la macronie en général et de son chef en particulier. Et le matérialisme historique, coco ?
J’étais en train de lire, afin d’en rendre compte chez Causeur, le remarquable livre de Michel De Jaeghere paru à la fin de l’année dernière, Le Cabinet des antiques — les Origines de la démocratie contemporaine. L’auteur, qui jadis nous séduisit en racontant dans le détail Les Derniers jours, la Fin de l’empire romain d’Occident, où il établissait sans avoir besoin d’appuyer le trait un parallèle entre la chute de romain et l’effritement présent de l’Occident, analyse dans son dernier livre ce que l’Antiquité grecque a fait de la démocratie athénienne. Et là aussi la décomposition rapide de notre démocratie a des modèles antiques incontournables.
L’une des phrases-types qui pour moi signe l’imbécillité, c’est « on ne peut pas comparer », « les conditions ne sont pas les mêmes », « chaque événement est singulier ». Ah oui ? Mais les législatives qui viennent de se dérouler et de s’inscrire dans le concours historique des plus belles distributions de mandales ont une source unique, développée par Eschyle et Sophocle au Ve siècle avant notre ère. Cela s’appelle la Tragédie, et son ressort est l’hubris — la démesure, ce sentiment absurde qui pousse certains à se prendre pour des dieux — Jupiter, par exemple.
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Les vrais dieux laissent faire, afin que le crétin prétentieux s’enfonce dans son arrogance — puis ils frappent. Après dix ans d’un règne heureux, Œdipe a la révélation de son parricide mâtiné d’inceste. Quos vult perdere Jupiter dementat, Ceux qu’il veut perdre, Jupiter les rend fous. Macron, qui s’est cru Jupiter et que ses thuriféraires ont divinisé, est frappé par la foudre. L’homme qui se vantait d’avoir anéanti les extrêmes, et qui se laissait appeler Jupiter sans protester, vient de générer la plus belle opposition d’extrême-gauche et d’extrême-droite que l’on ait vu de mémoire de parlementaire.
Ce n’est même plus la Quatrième République que les Français ont ressuscitée. Dans les années 1950, quelles que soient les capacités des présidents du Conseil (et il y en eu d’excellents), une poignée de députés-colons algériens suffisait à renverser toutes les coalitions patiemment élaborées entre centre-droit et centre-gauche. Ici, ce sont deux groupes aussi forts que s’ils étaient issus d’une proportionnelle intégrale que l’extrême suffisance de l’ex-majorité (cela fait du bien, quand même, d’écrire « l’ex-majorité ») a générés. « Père, gardez-vous à l’extrême-droite ! Père, gardez-vous à l’extrême-gauche », dirait aujourd’hui l’avatar moderne de Philippe le Hardi.
Macron et ses partisans sont en état de sidération. Depuis trois jours monte le chœur des pleureuses de la REM. « Les Français ne nous ont pas compris ! » L’ineffable Gilles Le Gendre, que les Parisiens, les plus veaux de tous les Français, ont brillamment réélu dans la 2ème circonscription de la capitale, avait déjà, il y a trois ans, proclamé « nous avons été trop intelligents, trop subtils ». Tarte dans la gueule de ces gens si malins. Rien de plus crétin que les demi-habiles.
Le peuple, en l’occurrence, agit comme autrefois les dieux. Il fait croire à Macron, lors de la présidentielle, qu’il est l’Unique. Comme dit La Fontaine, qui en savait plus long que toute la macronie,
« On m’élit roi, mon peuple m’aime.
Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même,
Je suis Gros Jean comme devant. »
Le président de la République est détesté — pour son manque de résultats, pour son arrogance, son cynisme, pour le Covid et les gilets jaunes, le prix du fuel, et cent autres raisons parfois déraisonnables : quand on n’aime plus, tout fait grief, les époux divorcés connaissent ça par cœur. Pierre-Emmanuel Barré en a fait des gorges chaudes.
Et comme les députés LREM, détenant la majorité absolue, se sont constitués en parti godillot, sans penser une seconde à labourer les circonscriptions où ils avaient été parachutés en 2017, le peuple a trouvé que ces godillots sentaient des pieds — et les a révoqués.
L’abstention n’y fait rien. Je crois même que ceux qui ne sont pas allés voter sont encore plus critiques — et plus dégoûtés — que ceux qui se sont déplacés dans les bureaux de vote. Ils sont le réservoir des prochaines émeutes.
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La caractéristique des individus atteints de démesure, c’est qu’ils se pensent encore vainqueurs dans la défaite même. Ils sont prêts à tout pour réasséner la preuve de leur supériorité — y compris en mettant la France à feu et à sang. On parie ?
Qu’aurait fait Sophocle avec Macron ? Peut-être pas une tragédie — mais une farce sûrement. Le ressort de la comédie est au fond le même, simplement, on se passe des dieux, les différends se règlent entre hommes. Un démagogue qui a su flatter les bas instincts de certaines catégories se voit renversé cul par -dessus tête par une lame de fond démocratique – parce qu’il persiste, dans le totalitarisme centriste d’aujourd’hui, un sentiment de la démocratie, en tout cas une envie de République. Et le coq prétentieux est renvoyé à ses chères études — ou à sa banque d’origine. Ce n’est plus l’Ajax de Sophocle, c’est Aristophane — dans Les Cavaliers. Comme disait Marx, nous sommes passés directement à la farce, en nous épargnant la tragédie.
Macron n’est pas le seul politique victime de son hubris. Zemmour a succombé à la certitude de sa supériorité — et ça doit lui faire bizarre d’avoir été laminé par une femme qui est intellectuellement dans une honnête moyenne… Vexé, il a annoncé que pour lui, CNews et Le Figaro, c’était fini — parce qu’il se croit encore un destin. La vague bleu Marine l’a laissé sur le sable.
Mélenchon semble avoir saisi que l’instant est passé — ce que les Grecs appelaient le kairos. Il a renoncé à se présenter, il se met en retrait de la Nupes, qui du coup éclate en morceaux comme l’ex-Yougoslavie quand l’ombre de Tito a cessé de l’unifier. Comme on pouvait s’y attendre.
C’est que Sandrine Rousseau, Danièle Obono et Aymeric Caron ont des ambitions — la farce, vous-dis-je.
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