Avec un tiers des électeurs, le parti du président domine le seul Parlement. La Ve République est en voie d’asphyxie, car elle fabrique des majorités de plus en plus minoritaires. D’où l’urgence pour Macron de rassembler largement les Français. Et pourquoi pas avec sa nouvelle loi travail?
« Attention institutions dangereuses » : cet avertissement mériterait d’être placé en exergue des manuels de droit constitutionnel. Le printemps électoral 2017 a en effet confirmé l’existence d’une nouvelle exception française en matière de démocratie : il suffit de réunir un quart des voix au premier tour de l’élection présidentielle pour emporter ensuite une nette victoire aux élections législatives et rafler au terme du processus tous les pouvoirs.
Qu’on le soutienne, comme c’est mon cas, ou qu’on le rejette, Emmanuel Macron est objectivement minoritaire dans le pays : il a obtenu 24% des voix au premier tour de la présidentielle. Sa large victoire au second tour est dû au fait qu’il était opposé à Marine Le Pen. Les Français n’ont pas validé son programme, ils ont rejeté le FN. Sur cette lancée, le parti du nouveau président, la République en marche, a obtenu moins d’un tiers des voix au premier tour des législatives par ailleurs marqué par une forte abstention. Cela ne l’a pas empêché, REM, d’obtenir la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Le parti du président n’a même pas besoin du secours du Modem de François Bayrou. Or, dans les 24 % initiaux de Macron, il y avait les électeurs centristes… C’est dire si sa légitimité personnelle est étroite : les Français ont consenti à son élection, pas plus.
Un majorité donnée d’avance
Dans les autres démocraties européennes, il n’y aurait pas méprise sur la signification de ces différents votes. Macron serait reconnu comme le leader naturel de l’exécutif, mais dans l’obligation de chercher des partenaires pour gouverner. C’est la situation dans laquelle se trouve Angela Merkel en Allemagne depuis plusieurs mandats : elle a d’abord dû composer avec les libéraux, puis avec les sociaux-démocrates. C’est la situation dans laquelle Alexis Tsipras se trouve en Grèce : le leader de Syriza a fait affaire avec un parti de droite. C’est la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui Theresa May en Grande-Bretagne : elle a conclu un accord avec une petite formation nord-irlandaise.
En France, on n’impose pas pareille humiliation aux chefs de l’exécutif ! Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont connu la même situation qu’Emmanuel Macron aujourd’hui : ils ont été dispensés de constituer un gouvernement réellement majoritaire dans le pays. À dire vrai, ce sont moins nos institutions qui sont en cause que la mécanique implacable mise en place en 2001-2002 avec le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. Les législatives ont lieu dans la foulée de la présidentielle et servent uniquement de caisse d’amplification. Les Français l’ont parfaitement compris. Pourquoi diable se déplaceraient-ils pour élire leurs députés ? Le résultat ne fait aucun doute : le nouveau président disposera d’une majorité.
La France divisée en quatre
La distorsion entre pays légal et pays réel est en passe de devenir structurelle. La France d’en bas est désormais éclatée en quatre camps à peu près égaux : les progressistes regroupés derrière la bannière de Macron, la droite conservatrice, la gauche radicale et le FN. La France d’en haut est monocolore. Chacun a intégré que pour gagner, il suffit désormais de représenter le plus gros quart.
La gauche n’est plus dans l’obligation de s’unir. Même affaiblie, la droite peut espérer l’emporter sans avoir à se poser la question des alliances. Et voilà les extrêmes aux portes de pouvoir. Si Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen gagnaient la présidentielle de 2022, seraient-ils en mesure d’avoir une majorité au Parlement et d’appliquer leur programme ? C’est fort probable. D’autant que le paysage politique devrait continuer de se morceler. Demain, il ne faudra peut-être pas atteindre un quart des voix pour décrocher le gros lot. Un cinquième suffira…
La IVe République est morte de son incapacité à dégager des majorités. La Ve République est en voie d’asphyxie à cause de sa propension à fabriquer des majorités de plus en plus minoritaires. Ce jugement paraîtra exagérément pessimiste au moment où les Français se réjouissent malgré tout du départ de François Hollande et de l’arrivée à l’Élysée d’un président jeune et trans-partisan. Mais cet état, si ce n’est de grâce, du moins de félicité, va vite se dissiper. S’auto-érigeant en chef de la seule vraie opposition et en unique représentant du peuple, Jean-Luc Mélenchon a déjà prévenu : Emmanuel Macron n’a pas la légitimité requise pour appliquer la réforme majeure de son programme, celle du marché du travail. Contre elle, Mélenchon est prêt à mobiliser le ban, l’arrière-ban et la rue.
Les français favorables à la réforme du travail
Le leader de la France insoumise est convaincu qu’il ne lui a manqué que quelques jours de campagne pour se qualifier pour le second tour de la présidentielle. Il est encore plus persuadé qu’il aurait alors gagné, y compris contre Macron. Mélenchon se vit comme une sorte de contre-président, injustement privé de sa victoire par des médias hostiles et des socialistes imbéciles. Il est permis de sourire de sa mégalomanie : si la légitimité de Macron est relative, nous venons de le souligner, la sienne l’est davantage encore : la France insoumise a fait un score somme toute modeste aux législatives.
Mais devant la bataille qui s’annonce à la rentrée, Emmanuel Macron aura un devoir : rassembler, rassembler au-delà de sa majorité parlementaire. Car, contrairement à ce que clament Mélenchon et la CGT, il y a une majorité dans le pays en faveur de la réforme du marché du travail. Outre LRM et le Modem, cette majorité englobe les Républicains, tous les Républicains, pas seulement les « constructifs », et les sociaux-démocrates qui n’ont pas déserté le PS.
Un combat pour les acquis qui s’annonce violent
Macron doit rassembler sans exclusive car c’est une réforme authentiquement révolutionnaire. Aussi bien sous la monarchie que sous les différentes Républiques, la France s’est construite autour d’un État majuscule, à la fois maître du jeu et protecteur. Avec cette loi, il s’agit rien moins que d’inverser les facteurs en faisant le pari, comme la quasi-totalité des autres pays européens, que davantage de libertés pour les entreprises profitera aussi aux salariés. En faisant en particulier reculer sensiblement le chômage de masse qui plombe l’Hexagone depuis plusieurs décennies.
Dans ce débat, Mélenchon et la CGT ne sont jamais que les chantres de la France fonctionnaire qui craint surtout que le mouvement de dérégulation ne touche un jour le statut de la fonction publique : c’est le vrai moteur de son antilibéralisme primaire. Cette France d’abord tournée vers la défense de ses « acquis » et objectivement insensible à la question du chômage, va hurler à la mort du modèle français. En s’estimant autorisée à utiliser tous les moyens, y compris la violence, pour contrer la réforme. Face à ce déferlement prévisible, Macron se devra de rassembler au-delà de l’échiquier politique : rassembler la France… CFDT. Passée devant la CGT lors des dernières élections professionnelles, la centrale de Laurent Berger se signale à l’inverse par son refus de tout dogmatisme et la volonté de défendre tous les salariés. Pas seulement ceux du secteur public…