La hausse du pouvoir d’achat promise par tous les candidats à l’élection présidentielle se heurte à l’état des finances publiques, éléphant au milieu du salon que notre président- Majax a réussi à faire disparaître. Pas pour longtemps.
Emmanuel Macron, sans doute épuisé par les deux jours qu’il aura au total consacrés à sa réélection, a lâché le morceau au cours du soporifique débat de l’entre-deux tours. C’est en effet sous le haut patronage de l’illusionniste suranné Gérard Majax qu’ont été placés les programmes économiques des trois principaux candidats. Tel David Copperfield capable de faire disparaître un train, les protagonistes de l’élection présidentielle ont escamoté du paysage la montagne de dettes et de dépenses publiques, Everest rehaussé désormais d’une inflation à tendance vénézuélienne.
Aidé par des électeurs définitivement fâchés avec l’économie, drogués à la dépense publique depuis quarante ans et acquis avec enthousiasme au « quoi qu’il en coûte », chacun applaudit à la transformation du pays en Disneyland des finances publiques, abreuvé d’argent Majax. L’illusion offerte n’est pas non plus dénuée d’humour. Blâmer l’ultralibéralisme de Macron alors qu’il a augmenté les dépenses sociales de 17 % (!!) – 572 milliards en 2016, 672 en 2021 – relève du groucho-marxisme. Difficile néanmoins d’en vouloir aux Français. On leur fait la leçon du surendettement et des déficits depuis trente ans, mais ils constatent que leur monde ne s’est toujours pas écroulé. Que la dette de 2 900 milliards d’euros soit passée de 98 % à 114 % du PIB, et alors ? La Sécu continue bon gré mal gré à rembourser ; les allocs tombent ; et les conseils généraux distribuent des « coups de pouce », des emplois « bidon », des subventions à tout-va, sans toutefois réussir à aider vraiment ceux qui en auraient le plus besoin (une honte).
Dépenses délirantes
Le salaud !, s’écrient de nombreux lecteurs, il ne voulait pas protéger les salariés ou les entreprises pendant la pandémie ! On connaît la chanson. Hélas ! dès qu’on prend la peine d’opérer des comparaisons, on réalise que le Covid a augmenté la dette mondiale de 11 points de PIB, de 15 en Allemagne… et de 20 points en France. Fidèle à sa gabegie coutumière – capable de consacrer le plus d’argent au monde à la lutte contre la pauvreté chez les enfants, et d’obtenir les moins bons résultats en Europe[1], amis lecteurs, cherchez les salauds plutôt de ce côté-là –, notre beau pays a dépensé dans des proportions délirantes pendant la pandémie et après (juste avant la présidentielle, un hasard). Mon coiffeur – artisan sensé – m’a expliqué comment ses salariés ont touché leur paie pendant la fermeture de son salon, puis enchaîné des heures supplémentaires dès celui-ci rouvert. Le Covid les aura donc enrichis, cas unique au monde. Citons aussi ces restaurateurs fermés, indemnisés et qui ont passé quelques mois sous le soleil des Caraïbes. Ce n’était plus Disneyland, mais le Club Med.
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La dilapidation forcenée des deniers publics demeure un invariant des locataires de l’Élysée depuis François Mitterrand. Elle découle bien sûr d’un tropisme démagogique assumé (pas de sang ni de larmes chez les Mickey de la gestion), mais surtout d’un incroyable concours de circonstances. Ce fut d’abord notre faible niveau d’endettement initial qui permit d’ouvrir les vannes en 1981. Puis vinrent l’euro et le parapluie qu’offraient les fourmis teutonnes, suivis de près par la crise financière de 2008. On assistait alors à une historique baisse des taux et à la conceptualisation du « quantitative easing » par les banques centrales – immédiatement traduit par « open bar » dans les couloirs de Bercy. Pendant toute cette période bénie, nous empruntions chaque année davantage, mais les intérêts diminuaient : 20 milliards de baisse entre 2010 et 2020 ! Ajoutez à cela une énergie bon marché, la mondialisation heureuse et une transition écologique toujours repoussée et vous avez le cocktail français : fuck la dette ! fuck les déficits ! Pas d’investissement dans la recherche, le numérique, la robotique, mais des « solidarités » aussi déconnectées que possible de notre PIB par tête qui s’effondrait dans le même temps. En dix ans, ce dernier a régressé et s’approche de la moyenne européenne. À ce rythme, nous serons bientôt derrière Malte ou la République tchèque, cocorico ! Une attitude d’autant plus désinvolte qu’elle s’appuyait sur un calcul cynique : la Grèce pouvait faire faillite sans emporter la zone euro dans son naufrage. Ce n’est pas le cas du pays de Rabelais et du risque systémique qu’il fait courir à ses petits camarades allemands ou bataves – qui le détestent, mais ont laissé nos déficits filer.
Gare à l’atterrissage
Notre chute demeure néanmoins sans importance. Seul compte l’atterrissage. Et le commandant Macron va avoir quelques difficultés à se faire applaudir par les passagers. L’inflation que les banques centrales ont bien imprudemment jugée temporaire va s’installer à cause du drame ukrainien et de la politique zéro Covid de la Chine – entêtement suicidaire à ce stade pour l’économie chinoise, donc planétaire. Pas de « en même temps » pour Christine Lagarde : baisser les taux pour maintenir la croissance et les augmenter pour lutter contre l’inflation s’annonce délicat. La deuxième option sera imposée par les pays dits « frugaux », tandis que l’argent magique ne sera plus qu’un souvenir en 2023. La charge de la dette va mécaniquement remonter, de 2 à 3 milliards en 2022. Et ce n’est pas fini.
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Dans ces conditions, seul un gouvernement dirigé par Gérard Majax pourra relever les défis qui s’annoncent. Rien de bien méchant, somme toute : sans augmenter les impôts, ni (malheureux !) questionner l’inefficacité de la dépense publique, financer la transition écologique imposée par Poutine (!), donner à l’armée française les moyens de redevenir crédible aux yeux de Vladimir, soigner les hôpitaux, redonner un sens à l’Éducation nationale, faire face à la dépendance d’une population vieillissante. Avant cela, il conviendra bien sûr d’éviter une révolution chez les travailleurs pauvres, étranglés par la hausse de l’énergie et du Caddy chez Lidl (un impératif absolu). Si par malheur, Gérard décevait à Matignon, ce sera plutôt trente-six chandelles, fine allusion à Jean Nohain de nature à séduire l’électorat macroniste : les vieux qui tremblent pour leur retraite et qui ont bien raison, car les jeunes actifs (acquis à Le Pen) vont finir par regimber devant le fardeau qu’on veut leur faire porter, jusqu’à 67 ans.
[1]. Rapport de l’Unicef (2012).