En matière de politique, Emmanuel Macron n’aime pas la concurrence. Le président « versaillais » est engagé dans un processus de recentralisation des pouvoirs. Au détriment des élus locaux, et notamment des maires, qui voient leur fonction vidée de toute substance…
Acte un : on fait disparaître les maires du Parlement !
La loi sur le non cumul des mandats s’est révélée être (les observateurs avisés l’avaient pressenti) le premier acte d’une logique implacable menée par le gouvernement à savoir la mise sous tutelle des élus locaux et principalement des maires. Ce non-cumul a amené de nombreux maires, expérimentés en matière de vie locale et politique et attachés à leur commune, à refuser de se porter candidat. Qu’ils fussent de droite ou de gauche, et en tout cas issus des partis politiques dits classiques, s’ils étaient maires d’une commune de quelques dizaines de milliers d’habitants, ils auront préféré leur hôtel de ville à un siège dans l’opposition au palais Bourbon. C’est ainsi qu’un grand nombre de candidats peu connus des électeurs ont mené campagne pendant cinq semaines et se sont fait submerger par la vague des godillots aux éléments de langage formatés LREM (à ce titre il est intéressant de comparer les différents tracts de campagne des législatives des candidats LREM dans différentes circonscriptions pour se rendre compte de leur formatage).
Cela aboutit à obtenir une Assemblée nationale déconnectée du terrain (à titre d’exemple, la citation de Bruno Bonnell, député LREM : « Ce qui se dit en circo, je n’en ai rien à foutre ») qui pourra avaliser toutes les mesures du gouvernement tendant à réduire les marges de manœuvre et l’influence des maires dans les territoires. Il s’agit ici d’une recentralisation des pouvoirs, et la volonté du Gouvernement actuel laisse entrevoir un retour à une situation d’avant 1982 et des lois de décentralisation. Cette décentralisation a certainement des défauts et est parfois coupable d’entretenir le mille-feuille territorial, mais elle a pour elle de garantir qu’un certain nombre de territoires très éloignés de Paris puissent se faire entendre. C’était, jusqu’à présent, d’autant plus possible lorsqu’un maire d’une commune de quelques milliers d’habitants dans un département peu peuplé était élu parlementaire et était en mesure de porter et d’appuyer des dossiers directement dans les cabinets ministériels.
Même l’action territoriale s’en trouve affectée ; car dans la réalité, les maires qui étaient jusqu’alors député ou sénateur avaient « l’oreille » du préfet et des dossiers complexes pouvaient se régler parfois en quelques minutes par téléphone. Maintenant, les maires sont relégués à passer par leur sous-préfet d’arrondissement dans la plupart des cas. Ils peuvent saisir éventuellement leur député (pour la majorité issu de LREM) qui, sans vouloir généraliser, ne maîtrise pas les enjeux locaux car, pour beaucoup, parachutés ou absents de leur circonscription.
Acte deux : On leur fait les poches !
Les lois de finances et de programmation des finances publiques 2018 instaurent à présent des contraintes sur les dépenses des collectivités tant en matière de fonctionnement (contractualisation et maitrise de l’évolution des dépenses pour les grandes collectivités – ce qui, via les établissement publics de coopération intercommunale, se répercutera sur toutes les communes quelles que soient leurs tailles) qu’en matière d’investissement (contrôle de la capacité de désendettement avant de pouvoir recourir à l’emprunt). Les communes sont contraintes de bloquer leurs dépenses de fonctionnement selon un ratio décidé par l’Etat, sans tenir compte des spécificités locales, et ne pourront plus emprunter dans certains cas selon un ratio ici aussi décidé par l’Etat de manière généralisée. Elles devront donc différer la réalisation d’équipement dont la nécessité pour les habitants pourrait être urgente (crèches, écoles, rénovation de voirie…).
La dotation globale de fonctionnement a été plus ou moins maintenue en 2018 par rapport à 2017 (noter le seuil historiquement bas atteint en 2017), mais, par des phénomènes de péréquation (c’est-à-dire : ce que je donne à l’un je le retire à l’autre), ce sont 18 000 communes qui ont vu leur dotation baisser. Je rappelle que cette dotation ne correspond pas à de la charité mais bel et bien à une obligation constitutionnelle : l’Etat doit donner aux collectivités les moyens financiers pour exercer des compétences qu’il aurait dû lui-même assurer.
A lire aussi: Fonctionnaires: on peut virer les bons, pas les mauvais
Quand l’Etat transfère des financements à certaines collectivités, il le ponctionne toujours dans les budgets des autres collectivités (fonds de péréquation intercommunal et communal, fonds de solidarité de la région Ile-de-France, dotation de solidarité urbaine ou rurale).
La suppression de la taxe d’habitation engendrera une nouvelle dépendance des communes vis-à-vis de l’Etat comme c’est toujours le cas lorsqu’on remplace un impôt local, dont le taux est voté par le conseil municipal, par une dotation. La dynamique de cet impôt (due notamment à l’augmentation du nombre de contribuables et à la revalorisation annuelle des bases fiscales) sera perdue car non compensée – le montant reversé par l’Etat sera fixé sur le produit de la taxe en 2017.
Un rapport récent du comité des finances locales démontre que 60% des allègements fiscaux décidés par l’Etat ne sont pas compensés auprès des collectivités territoriales.
Acte trois : on leur dit comment utiliser ce qui leur reste en caisse !
Les conséquences à redouter de ces différentes mesures sont les suivantes :
– Les collectivités territoriales qui étaient les principaux porteurs de l’investissement public (70%) deviennent à présent responsables du désendettement public d’où un impact fort sur les contrats et marchés de travaux pour les entreprises privées, notamment en BTP.
– La perte d’autonomie des collectivités : le rapport Pisani-Ferry flèche les investissements à privilégier (rénovation thermique, mobilités…). Privées de la possibilité d’emprunter et avec une capacité d’autofinancement réduite, les communes perdront de leur pouvoir décisionnel en matière d’investissement. Indirectement, l’Etat en décidera à leur place en les alimentant par des fonds de concours fléchés et « critérisés ». Ainsi, les communes devront suivre ces investissements priorisés si elles désirent obtenir des financements pour investir. On peut s’attendre à ce que les priorités du gouvernement soient données au développement des pistes cyclables, à l’installation de bornes de recharge pour véhicules électriques, à la création de pépinière d’entreprises numériques ; autant d’axes de développement qui ne relèvent pas des considérations premières des administrés qui attendent de leurs élus locaux de la sécurité, un cadre de vie propre et valorisé, des crèches, des équipements sportifs ou culturels attrayants.
Les critères retenus pour l’attribution de fonds de concours versés par l’Etat seront à n’en pas douter le taux de logement social dans la commune, le revenu par habitant et des indices calculés par des pontes de Bercy et qui seront invérifiables pour la grande majorité des communes.
Acte final : on rend les maires inutiles aux yeux des administrés
L’Etat reprendra le leadership sur les investissements des collectivités locales ; on pourrait revenir à une forme de contrôle de l’État a priori comme avant les lois de décentralisation de 1982. Le maire devait solliciter l’avis du préfet représentant l’Etat pour toute mesure importante.
Le maire demeure l’élu préféré des Français. Le baromètre du Cevipof (laboratoire mixte Sciences Po et CNRS) en 2015 indique que 66% des Français font confiance à leurs maire et conseillers municipaux contre 23% pour le président de la République. Peut-on y voir une pointe de jalousie pour expliquer une telle volonté de discréditer le rôle des élus locaux ? A mon avis, il s’agit plutôt de mépris : entendue récemment par la commission d’enquête sénatoriale sur la haute fonction publique, Marylise Lebranchu, ancienne ministre de la Fonction publique, décrit la méconnaissance et le dédain énormes qu’ont les grands corps de l’Etat pour l’administration territoriale et les élus locaux.
A lire aussi: Macron, l’islam et les religions: les républiques de la « partition »
Les maires n’auront plus les moyens financiers pour réaliser leurs engagements de campagne ; leurs bilans risquent d’être médiocres en 2020 à cause des baisses des dotations et de l’augmentation des prélèvements intervenus après leur élection en 2014.
L’autre prérogative importante d’un maire, outre le développement de projets d’équipements et de services au bénéfice de ses administrés, est l’exercice du droit des sols en matière d’urbanisme. Et cette question mérite en elle-même un article complet ; je ne donnerai ici que l’idée du principe qui vise à technocratiser l’urbanisme des communes en renvoyant la compétence des plans locaux d’urbanisme (PLU) – documents réglementaires qui fixent les droits à construire selon les parcelles et les axes de développement de la ville pour au moins 15 ans – aux établissements intercommunaux – entités très peu connues par les administrés – qui regroupent parfois un grand nombre de communes. Il s’agit là d’un moyen de faciliter l’installation dans une commune de quelques équipements peu réclamés par la population : déchetterie, plateforme logistique, parking de supermarché, aires d’accueil des gens du voyage, logements sociaux.
Si on continue cette entreprise de destruction du rôle de l’élu local, nous obtiendrons des maires qui ressembleront davantage à des bourgmestres (Belgique, Allemagne…) dont la principale activité sera de célébrer des mariages.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !