En macronie, quiconque ose douter des décisions guerrières du président est coupable d’intelligence avec l’ennemi, déplore notre chroniqueur.
Emmanuel Macron brûle d’affronter Vladimir Poutine les armes à la main – ou du moins s’attache-t-il à en donner l’impression. Mais pourquoi alors ne montre-t-il pas une telle ardeur dans d’autres cas, qui pourtant le justifieraient au moins autant, et pour certains nettement plus ?
À entendre le chef de l’Etat, quiconque ne partage pas cette ferveur est animé par « l’esprit de défaite »… y compris la Maison Blanche, dont un porte-parole, le contre-amiral John Kirby, s’est empressé de désavouer notre président ? Y compris le ministre de la Défense, qui a expliqué qu’il n’était « pas question d’envoyer des troupes combattantes » le lendemain du jour où le président, lui, affirmait qu’il n’y avait « aucune limite » à notre soutien à l’Ukraine ? Qu’importe la confusion entretenue, Emmanuel Macron dit vouloir « bousculer » les alliés de l’Ukraine, appelle les Européens à « ne pas être lâches », et quand on lui demande si ce propos vise l’Allemagne il répond sans hésiter : « pas seulement l’Allemagne, tout le monde ! » Et à en croire nombre de macronistes, toute personne réticente devant ce soudain bellicisme est pire que lâche, elle fait partie des « troupes de Poutine ». Qu’on se le dise : oser douter des décisions du président, c’est forcément être coupable d’intelligence avec l’ennemi !
On verra qui est pour Zelensky et qui est pour Poutine…
On pourrait croire à une stratégie « gentil flic, méchant flic », Emmanuel Macron jouant le rôle d’un va-t-en-guerre forcené pour permettre à Olaf Scholz de négocier en coulisses en disant à Poutine : « Vladimir, il faut vraiment que tu retires tes troupes d’Ukraine, sinon je ne vais plus pouvoir retenir ce fou de Français et il va déclencher la Troisième Guerre mondiale ». Mais la France à elle seule ne serait pas une menace suffisante aux yeux de la Russie pour que cela fonctionne.
Alors on prend l’excitation martiale du président au premier degré, et on tombe dans le piège qu’il a lui-même avoué : « on verra qui est pour Zelensky et qui est pour Poutine », comme si cette ligne de démarcation caricaturale était l’alpha et l’omega de toute chose. Et on oublie l’essentiel.
Cet essentiel, le voici : le plus important n’est pas le bellicisme d’Emmanuel Macron face à la Russie, mais le contraste entre ce bellicisme et sa pusillanimité face aux Comores, au Qatar, à la Turquie, à l’Algérie, à l’Arabie Saoudite, à l’Iran. Ce contraste interroge.
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Ce sont là des pays qui ne respectent pas les Droits de l’Homme plus que ne les respecte le régime de Poutine – ils les respectent même généralement moins. Et si la mort d’Alexeï Navalny est une ligne rouge, on ne voit pas pourquoi celle de Jamal Khashoggi n’en serait pas une également.
Ce sont des pays qui piétinent volontiers le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et multiplient les exactions, au Kurdistan comme au Yémen, sans même parler du fait que le Qatar finance, protège et héberge toujours le Hamas malgré le pogrom/razzia du 7 octobre.
Les drôles d’exigences de la realpolitik
Et ce sont des pays qui nous agressent bien plus que ne le fait la Russie, par la violence, la déstabilisation, la corruption, l’influence toxique. Les Comores – avec d’ailleurs le soutien affiché de la Russie – organisent l’invasion et la mise à sac de Mayotte, c’est-à-dire du territoire français. Le Qatar use de son influence pour déstabiliser le pays (que l’on se souvienne de la propagande d’AJ+ lors des émeutes du début de l’été 2023), répandre la corruption (pas seulement au Parlement Européen), soutenir l’islamisme, attiser les flammes de la haine anti-israélienne et de l’antisémitisme, et appuyer les Frères Musulmans dans leur entrisme systémique au sein de nos institutions. L’Algérie cultive la haine anti-France dans sa population et sa diaspora, dont le poids dans la délinquance sur notre sol est démesuré. L’Arabie Saoudite et sa Ligue Islamique Mondiale veulent interdire toute critique sérieuse de l’islam en œuvrant à l’instauration planétaire d’un délit de blasphème. On pourrait poursuivre longuement l’énumération, qui n’a rigoureusement rien à envier à la liste des torts de Vladimir Poutine.
Bien sûr, les fautes du Qatar n’effacent pas celles de la Russie, mais la réciproque est vraie, les fautes de la Russie n’effacent pas celles du Qatar. Bien sûr, la Russie nous est désormais hostile, et débattre à l’infini des responsabilités des uns et des autres dans cette hostilité ne changera pas la situation présente, mais les Comores et l’Algérie le sont au moins autant. Bien sûr, la realpolitik a ses exigences, encore faut-il que ses défenseurs aient la décence de l’assumer au lieu de se draper dans des postures morales hypocrites : on peut considérer que l’appui de l’aviation qatarie au désengagement de Barkhane ou notre présence sur la base d’Al-Udeid justifient que nous acceptions la contribution du Qatar aux réseaux islamistes qui attisent partout en Europe l’avidité des fous d’Allah et la haine antisémite, mais il me semble que l’on aurait aussi d’excellentes raisons d’estimer que le prix à payer pour « l’amitié » de l’émirat est bien trop élevé ! Bien sûr aussi, il faut choisir ses combats, la France ne peut pas voler au secours de tous les peuples envahis ni combattre tous les tyrans de la planète, et l’Ukraine est pour ainsi dire notre voisin. Mais il y a une différence de taille entre ne pas combattre un tyran, et le courtiser en encourageant sa propagande. Il y en a une autre, énorme, entre ne pas intervenir partout pour privilégier notre voisinage proche, et préférer défendre l’Ukraine plutôt que la France elle-même, vouloir sauver Kiev des troupes russes tout en abandonnant Mamoudzou aux bandes comoriennes. Et laisser le champ libre à AJ+ quand on interdit RT France est une incohérence qui en dit long.
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Si les raisons invoquées par Emmanuel Macron pour expliquer son attitude contre la Russie étaient vraies, s’il s’agissait bel et bien de défendre les principes qu’il dit professer, l’Europe et les intérêts vitaux de la France, alors a fortiori il se montrerait déterminé et martial contre les Comores pour protéger notre territoire et nos concitoyens à Mayotte. Il ne ferait pas de courbettes au Qatar, et ne lui vendrait pas des éléments stratégiques de notre économie. Il ne tolérerait pas la servilité de l’ONU envers la dictature abjecte des mollahs.
Voilà ce dont devrait se préoccuper toute la classe politique, et plus encore ceux qui pensent qu’il serait bon d’intensifier notre soutien à Kiev, y compris par un engagement militaire : de toute évidence, les motivations d’Emmanuel Macron dans cette affaire ne sont pas celles qu’il déclare. Quelles sont-elles ? Je ne peux que hasarder diverses hypothèses : une diversion après son fiasco au Salon de l’agriculture ; une manœuvre pour essayer de rediaboliser le RN à l’approche des élections européennes ; un prétexte pour transférer toujours plus de pouvoir aux institutions non-élues de l’UE au détriment de la démocratie, et sans doute renforcer le contrôle de l’information ; l’appétit pour les opportunités qu’une « économie de guerre » offrirait à Bercy ; une tentative de se donner une stature de meneur au sein de la dynamique otanienne….
Dans tous les cas, l’essentiel demeure : même si l’on croit que notre participation à la guerre en Ukraine est juste et nécessaire, pouvons-nous réellement l’envisager avec un chef des armées dont nous ignorons les véritables objectifs ? Il faudrait au minimum des garanties extrêmement solides, mais comment accorder la moindre confiance aux garanties que donnerait Emmanuel Macron, alors qu’il n’a eu aucun scrupule à escroquer jusqu’au Sénat au sujet de la Loi immigration, saisissant lui-même le Conseil Constitutionnel pour faire censurer tout ce que son gouvernement avait fait mine de concéder à la représentation nationale ?
Telle est la question que personne ne pose, alors qu’elle est celle dont nous devrions tous débattre.
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