Contrairement aux apparences, le Rassemblement national n’est pas le grand vainqueurs des élections européennes. Devancée d’une courte tête, la liste LREM laisse présager des lendemains présidentiels heureux à Emmanuel Macron, ravi de limiter la vie politique à un duel gagné d’avance avec Marine Le Pen.
Il ne s’agit pas de railler le malheur des uns, de célébrer le bonheur des autres, de relativiser, de mettre en perspective pour tenter des lectures différentes, les faits sont têtus : Macron a gagné les élections européennes.
Mieux que Hollande
Il les a gagnées objectivement. Avec le même nombre de sièges que le Rassemblement national et moins de 300 000 voix d’écart, alors qu’il en a fait un référendum sur sa personne, alors qu’il est de facto le chef du parti au pouvoir, il arrive en deuxième position, mais une deuxième position tellement proche de la première, qu’il peut la considérer comme une victoire. Il lui suffira de regarder, dans les élections intermédiaires, européennes, régionales ou municipales, le score de ses prédécesseurs au pouvoir qui ont pris à chaque fois, Hollande ayant battu les records en la matière, des gifles monumentales.
A lire aussi: Européennes: Macron, la gifle
Macron les a aussi gagnées en installant durablement d’abord dans les esprits puis dans les faits hier soir ce qu’on pourrait appeler le syndrome Manchette, du nom de Jean-Patrick Manchette, le grand auteur de roman noir qui dans Nada, décrit la situation de la France pompidolienne comme les « deux mâchoires du même piège à cons » pour toute une partie de la population ne se reconnaissant ni dans le pompidolisme immobilier ni dans le gauchisme qui ne prendrait jamais le pouvoir.
Deux votes par défaut
Ce clivage, qui était d’abord une construction intellectuelle et médiatique de la part du pouvoir, est devenue une réalité électorale. Il suffit de regarder une carte interactive. Dans chaque commune de France ou presque, c’est soit En Marche, soit le RN. L’électeur, qui en plus s’est mobilisé cette-fois-ci de manière inattendue, s’est mobilisé contre un camp ou contre l’autre. Des votes utiles croisés. On n’a pas voté pour ses idées, et pourtant avec 34 listes, l’offre électorale était là, on a voté contre les « populistes », les « nationalistes » ou contre les « progressistes » et les « libéraux ». Les scores du RN et de LREM sont des scores en creux, pas d’adhésion ou alors d’adhésion négative.
Ce n’est pas très sain en démocratie. Mais qui vous dit que nous sommes encore en démocratie ? Parce qu’on va déposer un bulletin dans l’urne par trouille ou dégoût de celui qui pourrait être à la place de l’autre ? Maintenant, même chez les militants sincères de LREM, on se réjouit ouvertement de cette situation : elle promet une implantation aux municipales qui était le gros problème du macronisme. Et chez ceux du RN, on se félicite, on se dit que la prochaine fois sera la bonne alors que le RN et ses dirigeants, comme du temps du FN, savent merveilleusement perdre les échéances décisives depuis le second tour des présidentielles de 2002 : pour une raison simple, ils ne veulent pas du pouvoir, et c’est tant mieux. La fonction tribunicienne de premier opposant est une rente de situation bien confortable. Comme dans 1984 d’Orwell, où Goldstein, l’opposant fantasmatique de Big Brother, est en fait son allié objectif pour le maintenir au pouvoir.
La gauche en miettes
Qui va contrer cela : la droite classique ? L’effet Bellamy pendant la campagne a été une illusion d’optique. Un électeur de droite, aujourd’hui, vote Macron s’il est plutôt centriste ou Le Pen s’il est vraiment de droite.
A lire aussi: Européennes: Au revoir la droite…
La gauche : la percée écologiste pourrait laisser quelques espoirs. Mais l’écologie de Jadot, qui ne prévoit ni ne souhaite aucune rupture avec l’économie de marché, pourtant principale responsable de la situation environnementale, montrera vite ses limites. Quand aux autres forces de gauche, elles sont divisées à un point tel qu’elles ne représentent plus aucun espoir. La France insoumise, en tentant de substituer un clivage haut/bas, peuple/élite à la lutte des classes, s’est enfermée dans une rhétorique qui ne prend pas en France. Les autres, que rien ne sépare ou si peu de chose, PS, PC, hamonistes sont incapables de s’unir. On peut toujours s’amuser à faire un total gauche de 30%, ce qui est de toute manière historiquement faible, un rassemblement de petits ne fera jamais qu’un petit rassemblement.
Jeunesse révoltée
Alors que faire, pour ceux qui ne se résignent pas à une vie politique bloquée qui favorise un peu plus chaque jour le démantèlement de l’Etat-Providence et l’essor du libre échangisme ? Se résigner ? Peut-être.
Ou peut-être pas : entre les gilets jaunes qui persistent et sont comme une écharde dans la main du pouvoir – ça n’empêche pas d’agir, mais ça gêne tout de même et ça peut toujours s’infecter – et une fraction de la jeunesse qui se mobilise pour le climat, la société n’est pas aussi inerte qu’elle en a l’air. Le tout est de tenir…
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !