En choisissant de cautionner, à quelques nuances près, la nouvelle loi sur l’immigration, le chef de l’État confirme le virage à droite qu’il avait déjà négocié sur d’autres questions. Et si, l’air de rien, Emmanuel Macron était en train de devenir le président le moins progressiste des cinquante dernières années ?
C’est l’histoire d’un lapin sorti d’un chapeau. D’une loi sur l’immigration, beaucoup plus stricte que prévu, qui a été votée à une incontestable majorité ce 20 décembre au Parlement. Personne ne la voyait venir, tant le sujet est tabou, tant on s’était habitué à ce que les gouvernants regardent ailleurs à chaque fois que la volonté populaire demande plus de frontières, moins d’aides aux étrangers, moins d’aménité pour les hors-la-loi venus d’ailleurs.
Mais voilà, il aura fallu que le groupe écologiste à l’Assemblée nationale, décidément composé d’amateurs, lance une rarissime motion de rejet contre une première version du texte, aussi fade que les 18 réformes précédentes adoptées sur le sujet depuis trente ans, pour qu’une nouvelle copie, autrement plus sévère, soit soumise à l’Assemblée nationale, où elle a fini par être adoptée avec 349 voix pour, 186 voix contre et 38 abstentions.
Le bouclier qui nous manquait
En quoi cette loi marque-t-elle une rupture ? Comme l’a fort justement noté Marine Le Pen (dont le parti a approuvé le texte malgré la possibilité de régularisation que celui-ci instaure pour les sans-papiers travaillant dans les métiers « en tension »), c’est la première fois dans l’histoire de la VeRépublique que des mesures de préférence nationale sont prises pour diminuer les flux migratoires.
Emmanuel Macron a eu beau, dès le lendemain sur le plateau de « C à vous » (France 5), minimiser le poids de ce symbole et pointer quelques détails qu’il« n’aime pas » dans la loi (comme la « caution retour » qui sera demandée aux étudiants étrangers), il n’en a pas moins salué la fermeté du texte, le qualifiant même de « bouclier qui nous manquait ». Une formule sans doute employée à contrecœur. Il n’empêche. Même si le président a, ce soir-là, mangé son chapeau, le lapin qui en est sorti, lui, est toujours sur la table : il prend la forme de l’entrée dans notre droit d’une idée cardinale du Rassemblement national.
Techniquement, cette préférence nationale – que Marine Le Pen préfère appeler à présent « priorité nationale » pour se démarquer du lexique de son père – se traduit par de nouveaux principes appliqués aux prestations sociales « non contributives » (aides au logement, allocations familiales, allocation personnalisée pour l’autonomie), qui ne seront plus versées immédiatement aux étrangers arrivant en France, mais au bout de cinq ans de résidence sur notre territoire quand ces derniers ne travaillent pas, et de trente mois pour ceux qui ont un emploi. Une règle déjà en vigueur pour le RSA, par exemple, sans que personne de sensé ait jamais trouvé cela d’une infâme cruauté.
Parmi les autres articles qui raidissent notre Code de l’immigration, il faut aussi signaler la fin de l’acquisition de la nationalité de plein droit pour les enfants d’étrangers nés en France, le rétablissement du délit de « séjour irrégulier », ou la réduction du nombre de possibilités de recours pour les personnes soumises à OQTF (obligation de quitter le territoire français).
On ne peut toutefois exclure que certaines de ces nouveautés soient retoquées par le Conseil constitutionnel. Il sera, le temps venu, intéressant d’analyser la décision des sages de la rue de Montpensier, qui vont en somme se retrouver chargés d’arbitrer entre d’un côté les attentes de plus de 70 % des Français en matière migratoire et de l’autre les « anciennes vertus chrétiennes devenues folles » (G.K. Chersterton) telles qu’elles prévalent dans les beaux quartiers.
Mais sans attendre et sans surprise, le petit théâtre de l’antifascisme a, dès l’adoption de la loi, donné quelques représentations exceptionnelles. Jean-Luc Mélenchon a condamné par voie de tweet un nouvel « axe » politique Macron-Le Pen, renvoyant au vocabulaire d’Adolf Hitler et Benito Mussolini lors de leur alliance secrète du 23 octobre 1936. Les militants d’Attac ont quant à eux parlé d’une « trahison de notre histoire », Anne Hidalgo s’est déclarée « en résistance », Sandrine Rousseau a qualifié le texte « d’extrême droite attentatoire aux droits humains fondamentaux » et les présidents de gauche de 32 départements ont promis de ne pas appliquer certains articles de la loi. Autant de bruit émanant du « camp du bien » laisse penser que cette loi n’est pas si mal… N’oublions pas les artistes qui ont pétitionné, les présidents d’université qui se sont indignés et Le Monde qui a éditorialisé sur la « dérive » et la « rupture morale » d’Emmanuel Macron.
Potion conservatrice
Le président pourtant n’est pas prêt de gouverner avec Marine Le Pen. Rappelons que celle-ci, lors de la dernière campagne présidentielle, avait pour programme rien moins que de « supprimer le droit du sol, traiter les demandes de droit d’asile uniquement à l’étranger, assurer la priorité nationale d’accès au logement social et à l’emploi (y compris dans le secteur privé), supprimer l’autorisation de séjour pour tout étranger n’ayant pas travaillé depuis un an en France, et expulser systématiquement les délinquants et criminels étrangers ». Il reste donc un gouffre entre la coalition Ensemble-LR qui est de fait au pouvoir, et ses adversaires du RN ou de Reconquête.
Cela dit, peut-on continuer de décrire Emmanuel Macron en homme du centre mou ? Est-il toujours la version « Comme j’aime » de François Hollande, le double français de Justin Trudeau ? Car le voilà désormais, dans presque tous les dossiers, à adopter des positions dignes d’un membre on ne peut plus classique des Tories anglais ou de la CDU allemande. N’est-il pas à présent plus élitiste, en matière d’Éducation nationale, que Valéry Giscard d’Estaing, dont il est en train de démanteler le « collège unique » avec l’aide de son ministre Gabriel Attal ? Plus austéritaire que Marine Le Pen qui, contrairement à lui, voulait maintenir la retraite à 60 ans ? Plus atlantiste que Nicolas Sarkozy, cet apôtre d’un compromis avec Vladimir Poutine ? Plus pro-israélien qu’un Jacques Chirac, et même plus gaulois que cet amateur de Corona et de tournois de sumo depuis qu’il a refusé de retirer sa Légion d’honneur à Gérard Depardieu ? Emmanuel Macron n’est peut-être pas tombé dedans quand il était petit, mais on se prend à se demander s’il ne prend pas de la potion conservatrice depuis quelque temps.