« Les vraies réformes, elles vont avec les contraintes, les enfants ! » On croyait Emmanuel Macron guéri de toute envie de « pédagogie », mais non: le petit père du peuple a encore frappé. Le président veut absolument nous expliquer, parce qu’on ne comprend pas bien.
« Il faut proposer de vraies réformes, mais les vraies réformes, elles vont avec les contraintes, les enfants ! Parce que si derrière on veut ceci, comment on le finance ? C’est pas open bar. Le bar, c’est le nôtre. »
« Les enfants. » Voilà comment s’adressait le président de la République, jeudi dernier, à une assemblée de citoyens réunis pour une séance du fameux « grand débat », à Bourg-de-Péage dans la Drôme, où il s’était invité à la dernière minute. Evidemment, vient de suite l’antienne habituelle : « Imagine-t-on le Général de Gaulle… ? » Et en effet, on a un peu de mal à l’imaginer.
Emmanuel « Hanouna » Macron
Et si nous étions décidément de mauvais coucheurs ? Reprochant tout et son contraire à Emmanuel Macron ? D’être jupitérien et éloigné, puis de venir au contact et entamer un dialogue franc et à bâtons rompus avec les Français ? Pas ici, désolé. Nous ne lui avons jamais reproché de souhaiter restaurer la fonction présidentielle, après l’avoir théorisé pendant sa campagne – ce qui n’a d’ailleurs pas été pour rien dans sa victoire. Nous lui avons justement reproché l’été dernier, son « qu’ils viennent me chercher », en plein cœur de l’affaire Benalla, cette expression qui déboulonnait Jupiter et le transformait en homme de clan. « Qu’ils viennent me chercher ! », c’est la faute originelle. En novembre et décembre, d’ailleurs, les gilets jaunes les plus virulents tentaient de s’approcher de l’Elysée avec le slogan « on vient te chercher ». Ils le tutoyaient déjà. La fonction présidentielle était autant désacralisée qu’au temps du président-joggeur Sarkozy ou de Monsieur petites blagues François Hollande. Pari raté.
« Les enfants », nous appelle-t-il donc. Nous pensions avoir élu un jeune président de quarante ans, et il nous prend pour ses gosses. Regardez bien la vidéo, et observez la salle à laquelle il s’adresse.
La très grande majorité des participants pourrait au contraire avoir l’âge d’être ses parents. Mauvais coucheur, encore, me répondra-t-on. « Les enfants », c’est une expression qu’on emploie tous, en réunion de rédac, à la table familiale ou dans le vestiaire à la mi-temps d’un match, sans que ceux à qui l’on s’adresse soient précisément en âge de faire partie de notre progéniture. « C’est une expression. » Cela me rappelle un vieux sketch de Jean-Marie Bigard. Le comique expliquait à quel point certaines expressions pouvaient être absurdes, surtout dans des contextes particuliers.
Parce que si Emmanuel Macron dit « les enfants », comme un chef de service dans une réunion de boulot, pourquoi pas « mes loulous » (ou plutôt « mes louloutes et mes loulous »), « Chatons », ou « Mes fanzouzes » (Droits réservés – Cyril Hanouna) ?
« Les enfants », l’échec du macronisme
Dans l’utilisation de ce « les enfants », réside l’échec du macronisme. On ne peut pas être « en même temps », celui qui reproche à un adolescent d’être familier en l’appelant « Manu », et se montrer soi-même familier, quand on s’adresse à une assemblée de Français. On ne peut pas être le Général de Gaulle un jour, et Cyril Hanouna le lendemain. On ne peut pas être François Mitterrand et en même temps Thierry Ardisson. Dans cette expression « Les enfants », il y a aussi la posture qui s’est avéré le carburant le plus efficace du mouvement de cet automne. L’idée que nous ne comprenions pas tout. Qu’il fallait nous expliquer. Qu’il fallait nous expliquer longtemps. Qu’il fallait de la pé-da-go-gie. Nous l’avions évoqué dans ces colonnes : cette posture était dévastatrice.
Nous avions cru qu’il s’était amendé le 10 décembre. Il semblait avoir compris. C’était les gilets jaunes qui s’étaient montrés les plus pédagogues. Le 31 décembre, à l’occasion des vœux présidentiels, nous nous rendions compte qu’il n’en était rien. Emmanuel Macron veut toujours nous expliquer. Il va devant les maires, et il leur explique pendant six ou sept heures. Le lendemain, on s’extasie de la « performance ». « Qu’est-ce qu’il a été bon ! », « Qui donc est capable d’un tel show ? » La fusion du commentaire politique et du commentaire sportif est une vieille histoire. Pourtant nous n’avons pas élu Neymar, nous avons élu un président. Nous n’avons pas élu un président pour qu’il soit « performant », mais pour qu’il porte une vision. Nous n’avons pas élu un président pour qu’il « nous explique », mais pour, selon ses propres mots devant le Congrès à Versailles à l’été 2017, « qu’il restaure la souveraineté de la nation », comme le rappelle Stéphane Rozès.
Papa est en haut…
Alors non, Monsieur le président, nous n’attendons pas que vous nous expliquiez ce qu’est un budget. La plupart d’entre nous gérons des budgets familiaux et ceux qui étaient sur les ronds-points vous ont vertement fait savoir que ce n’était pas toujours facile. Nous n’attendons pas que vous soyez notre « papa ». La plupart d’entre nous en a déjà un. Nous ne sommes ni vos « enfants », de substitution ou pas, ni vos loulous, ni vos chatons. Nous n’attendons pas forcément que vous nous « parliez cash ». Nous refusons que vous nous disiez « qu’on ne vous changera pas ». Parce que vous avez aussi des devoirs. La vraie réforme à accomplir, c’est sans doute que le président se réforme lui-même. Et cela va effectivement avec des vraies contraintes. La fonction présidentielle, ce n’est pas open bar. Car le bar, c’est le nôtre.
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