Ce soir, Marine Le Pen et le président sortant se retrouvent pour le grand débat télévisé de l’entre-deux tours. Après une nouvelle quinzaine anti-Le Pen, Emmanuel Macron pourrait bien être réélu dimanche. Durant la campagne, il aura fait la danse des sept voiles devant la gauche et les islamo-gauchistes, et pas prononcé un mot pour rassurer la « France périphérique » qu’il aimerait bien ne plus voir.
Il y a des raisons parfaitement légitimes de s’opposer à l’élection de Marine Le Pen – par exemple, son idée d’un rapprochement OTAN/Russie qui arrive quinze ans trop tard ou beaucoup trop tôt (même si elle n’a pas parlé d’un rapprochement OTAN/Poutine). Il y a aussi des méthodes honorables pour la combattre – discuter son programme, pointer ses contradictions, interroger ses évolutions. L’ennui, c’est que cet entre-deux tours ne nous offre ni les unes ni les autres mais une campagne de démonologie parsemée de mensonges, d’âneries et de procès d’intention. La nouvelle quinzaine anti-Le Pen, pour reprendre la formule de Muray en 2002, montre que nos faiseurs d’opinion n’ont décidément rien compris, parce qu’ils ne veulent rien comprendre. Il est vrai que s’ils faisaient preuve de lucidité, cela ébranlerait le joli théâtre antifasciste dans lequel ils se complaisent. Tant qu’il y a des méchants à dénoncer, ils sont le bon camp. Psalmodier qu’ils défendent la République les dispense de se demander comment, depuis des années, ils l’ont laissée décliner pour s’adonner au multiculti teinté de wokisme qui leur sert de pensée spontanée. Au nom de la tolérance bien sûr.
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Impossible de citer les dizaines d’éditoriaux qui, pour aboutir au même résultat, brandissent des menaces définitives qui ne sont jamais étayées. Avec Le Pen à l’Elysée, c’en serait fini de l’Etat de droit et de la démocratie, de la culture, de l’Union européenne (dont elle planifierait secrètement de sortir). Sans compter qu’on sera tous changés en grenouilles, mais ça, bien sûr, personne ne veut le dire.
Alice Coffin et ses amis en danger de mort
Tout ce que la France compte de beaux esprits rivalise pour trouver l’argument le plus absurde et le plus infamant. Après les sportifs, les 500 intermittents les mieux payés de France, expression malicieuse et judicieuse d’Aaron Fonvieille-Buchwald, directeur numérique de Marianne, qui n’osent pas imaginer ce que la culture deviendrait si elle accédait au pouvoir. BHL, oubliant sa propre opposition à la folie sanitaire, brocarde les ignares antivax qui l’entourent, d’autres dénoncent, avec Macron, le Frexit caché. Il paraît même que le score cumulé de Le Pen et Zemmour, qui ont séduit 40% des catholiques, est un échec pour le christianisme. Faudra le dire au président Jésus, comme l’appelle affectueusement Basile de Koch.
Chantre du respect et de la bienveillance, Emmanuel Macron fait le finaud en ne la désignant jamais par son nom (des fois que ça lui salirait la bouche) mais comme « la candidate d’extrême droite ». Gabriel Attal, lui, sonde le cœur noir de la peste blonde. Il affirme que, pour elle, les crimes russes en Ukraine sont un point de détail de l’histoire, façon de la renvoyer au père qu’elle a pourtant viré de son parti. Enfin, on décernera une mention spéciale ex-aequo à Gérald Darmanin qui a estimé qu’une victoire de Le Pen entraînerait la mort des pauvres, et à l’inénarrable Alice Coffin pour qui elle signifierait « très concrètement la mise à mort des militantes féministes. Au sens littéral ». Si j’osais blaguer j’aurais répondu « ne nous tentez pas », mais je ne suis pas sûre qu’elle pratique le second degré. Bien entendu, je ne souhaite aucun mal à Coffin et ses copines.
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On me dira que cet antifascisme d’opérette ne marche plus et que les électeurs sont assez grands pour se faire leur idée… Pas sûr. Il est difficile de résister à cette pression morale. Qui voudrait donner sa voix à une personne dont ses copains répètent en boucle qu’en plus d’être homophobe, elle est raciste et antisémite ? Cela reviendrait à voter pour le retour des heures les plus sombres.
Les électeurs méprisés
Evidemment, on peut choisir de rigoler car toute cette agitation est d’autant plus ridicule que les agitateurs n’y croient pas vraiment. Reste que le sort fait à Marine Le Pen témoigne d’une grande indifférence ou d’un profond mépris (de classe) pour ses électeurs. La France élitaire donne des leçons de maintien à la France populaire mais ne lui parle pas. Significativement, Macron a fait la danse des sept voiles devant les mélenchonistes, les écologistes et les islamo-gauchistes. Mais il n’a pas daigné s’adresser aux « égarés » qui ont voté Le Pen au premier tour. Pas un mot pour rassurer la France qui roule au diesel et fume des clopes – placé sous le signe de la planification écologique, le prochain quinquennat (si les résultats sont conformes aux sondages) risque bien d’être sa fête, à cette France qu’on aimerait bien ne plus voir. Pas un mot sur les questions régaliennes et sécuritaires qui l’inquiètent, rien sur l’islamisme sinon des mamours à une femme voilée-et-féministe.
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Christophe Guilluy l’avait bien compris : nos élites veulent bien subventionner la France périphérique à condition de ne plus la voir. Il ne s’agit pas de gouverner contre elle mais de vivre sans elle. Autant dire que le festival de sottises auquel on a assisté est de fort mauvais augure pour Macron II. S’il est élu, il l’aura été en surfant sur ce maccarthysme progressiste. C’est-à-dire à la déloyale. Et cela la France oubliée ne l’oubliera pas.
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