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« Le coeur de l’électorat macroniste est opposé au multiculturalisme »

Entretien avec François Kraus de l'Ifop


« Le coeur de l’électorat macroniste est opposé au multiculturalisme »
Emmanuel Macron en visite à Lens, 2018. Auteurs : Jacques Witt/SIPA. Numéro de reportage : 00883640_000002

Scoop : les électeurs de Macron sont presque aussi laïques et opposés à l’immigration illégale que le reste des Français ! D’après une récente enquête de l’Ifop[tooltips content= »Etude de l’Ifop réalisée pour la Fondation Jean Jaurès réalisée auprès d’un échantillon national représentatif de 2500 personnes âgées de 18 ans et plus.« ]1[/tooltips], ils sont même une nette majorité à vouloir boycotter Décathlon après la commercialisation d’un « hijab de course ».  Ces résultats étonnants montrent le fossé entre les discours relativistes de certaines pointures de la Macronie et leur électorat. Pour y voir plus clair, j’ai interrogé François Kraus, directeur du pôle Politique/Actualités de l’Ifop.


Daoud Boughezala. D’après votre enquête sur la laïcité menée auprès d’un échantillon de l’électorat macroniste, une large majorité de sympathisants LREM soutient les appels au boycott de Decathlon après la commercialisation d’un « hijab de course ». Pourquoi les dites-vous partisans d’une « laïcité de combat » ?

François Kraus. Il faut d’abord rappeler que cette polémique autour du « hijab de course » vendu par Décathlon a réveillé au sein de la majorité présidentielle des fractures qui étaient déjà apparues au travers des réactions autour des prises de parole de Maryam Pougetoux (porte-parole voilée de l’UNEF) ou du projet d’interdiction des signes religieux aux accompagnateurs des sorties scolaires un temps défendu par Jean-Michel Blanquer. Le débat d’idées sur la laïcité organisé récemment à la République en Marche nous est alors apparu comme l’occasion idéale d’évaluer le poids, dans l’opinion en général et dans l’électorat Macron en particulier, des positions d’Aurélien Taché et de ses proches (Fiona Lazaar, Laetitia Avia, Sacha Houllié) qui défendent les principes une « laïcité ouverte », « libérale » et « inclusive ».

76% des électeurs macronistes soutiennent l’interdiction du port de signes religieux ostensibles en entreprise

Or, l’enseignement majeur de notre enquête, qui repose sur un échantillon particulièrement solide (2500 Français dont environ 500 électeurs macronistes), est la remise en cause de l’idée selon laquelle l’électorat d’Emmanuel Macron serait porteur d’une vision multiculturaliste et anglo-saxonne de la laïcité et de la place des religions dans la société. Au contraire, la masse de ses électeurs affiche, comme l’ensemble des Français, une vision très « offensive » du principe de laïcité.

Cette sensibilité « laïciste » apparaît ainsi dans l’adhésion massive des électeurs macronistes à des mesures allant beaucoup plus loin que la législation actuelle comme par exemple l’interdiction du port de signes religieux ostensibles aux usagers fréquentant des services publics (à 78%, contre 76% de l’ensemble des Français), aux étudiants dans les universités (à 80%, contre 76% de l’ensemble des Français) ou encore aux accompagnateurs de sorties scolaires (à 76%, comme l’ensemble des Français).

De même, ils soutiennent (76%) autant que l’ensemble des Français (74%) l’interdiction du port de signes religieux ostensibles dans les entreprises privées, que permet désormais la « loi travail » (2016).

Les jeunes sont beaucoup moins attachés que la moyenne aux grandes lois laïques

Mais l’hostilité des électeurs macronistes à une présence ostensible du religieux dans l’espace public transparaît aussi dans leur opposition aux symboles de la « mode pudique » que peuvent être le « burkini » ou le « hijab de course ». C’est particulièrement net dans le large soutien qu’ils apportent aux arrêtés anti-burkini qui avaient été pris en 2016 (à 78%, soit autant que chez l’ensemble des Français). Cela l’est aussi mais un peu moins dans leur soutien aux appels au boycott d’entreprises comme Décathlon, majoritairement soutenus par les électeurs Macron mais dans une proportion un peu moins forte que (56%) dans l’ensemble de la population (62%).

Dans le cadre de l’affrontement historique entre la « laïcité d’ouverture » et la « laïcité de combat », les électeurs de Macron expriment donc comme le reste des Français leur attachement au respect d’une plus grande neutralité religieuse dans l’espace public. Néanmoins, il serait quelque peu présomptueux d’en conclure à une totale « défaite de la pensée » inclusive. Les résultats de l’enquête montrent en effet que les jeunes sont beaucoup moins attachés que la moyenne aux grandes lois laïques actuelles, moins hostiles à la « mode pudique » et moins favorables à l’interdiction des signes religieux ostensibles dans l’espace public. Cela confirme d’ailleurs les données d’autres enquêtes qui montraient par exemple que si une large majorité des Françaises étaient gênées à la vue d’une femme portant un burkini (59%), ce n’est le cas que d’une minorité de jeunes (32%) qui ne perçoivent sans doute pas ce genre d’habit comme un symbole de la domination masculine. Dans ce cadre, la bataille des idées sur le sujet semble plus que jamais ouverte pour les générations à venir.

La défense de la laïcité est une valeur aussi importante à la gauche de la gauche  qu’à la droite de la droite

Plus que l’attachement à une « laïcité de combat », la plupart des électeurs macronistes n’expriment-ils pas un rejet de l’islamisation de la société ? 

Il n’est pas facile d’apporter une réponse simple à votre question. Disons que si la laïcité à la française n’est pas un dogme monolithique, elle est loin de se réduire à un cadre juridique se contentant de garantir la liberté de conscience et d’organiser les rapports entre les religions et les pouvoirs publics. Dans la tradition  républicaine française, la laïcité est aussi associée à un combat pour un idéal de société (Kulturkampf) visant à réduire l’influence des religions dans la société et le poids des appartenances religieuses. La question de savoir où placer les limites des formes d’expression religieuse dans les lieux publics se pose donc naturellement plus pour une religion exogène (l’islam) dont les manifestations apparaissent plus visibles à la population majoritaire, en particulier lorsqu’il s’agit d’un symbole sexiste comme le voile. Dans ces conditions, il est difficile de dissocier le rejet de la présence religieuse dans l’espace public en général du rejet des signes religieux spécifiquement musulmans.

L’enquête montre toutefois une chose importance : si le rejet des formes de « mode pudique » que peuvent être le « burkini » ou le « hijab de course » est beaucoup plus fort chez les électeurs les plus sensibles à l’islamisation de la société, la « défense de la laïcité » est, elle, une valeur aussi importante à la gauche de la gauche (50% chez les électeurs Mélenchon, 55% chez les électeurs Hamon) qu’à la droite de la droite (54% chez les électeurs lepénistes). En cela, l’attachement à la laïcité au sens strict n’est pas réductible à un rejet de l’Islam en France. Cette étude montre d’ailleurs aussi que cette aspiration à un renforcement de la laïcité ne vise pas que l’Islam : les deux tiers des Français (64%) soutenant par exemple le principe d’une abrogation du concordat en Alsace-Moselle qui, il faut le rappeler, ne profite pour l’heure qu’aux lieux et ministres des cultes catholique, luthérien, réformé et israélite.

La lutte contre l’immigration clandestine constitue un enjeu déterminant du vote pour 59% des électeurs LREM aux européennes.

Malgré le flou présidentiel et le silence du Grand débat autour de la préservation de l’identité nationale et du contrôle des flux migratoires, ces deux thèmes préoccupent-ils la frange macroniste de l’opinion ?

Oui, et à peu près autant qu’au sein de la population. La question de la lutte contre l’immigration clandestine constitue ainsi un enjeu « déterminant » du vote pour 59% des électeurs de la liste LREM aux élections européennes, soit une proportion à peu près aussi élevée que chez l’ensemble des Français (61%). Et il est intéressant de noter qu’il n’y a pas sur ce sujet énormément d’écarts entre les électeurs LREM venus de la gauche (59%) et ceux venus de la droite (64%). La lutte contre les replis communautaristes et identitaires apparaît quant à elle comme un thème de campagne sensiblement plus important pour les électeurs de la liste LREM aux élections européennes (52%) que pour l’ensemble des personnes ayant l’intention d’aller voter à ce scrutin (42%). On est donc très loin d’être sur l’archétype d’un électorat qui partagerait sur ces sujets la ligne « Terra Nova ».

Pour LREM, le risque est grand de provoquer un hiatus entre ses parlementaires et la masse de son électorat plus laïque.

Au sein du parti présidentiel, l’aile multiculturaliste incarnée par le député Aurélien Taché, la tête de liste aux Européennes Nathalie Loiseau et d’autres élus s’oppose à la ligne plus républicaine que porte Marlène Schiappa. Ce clivage recoupe-t-il une opposition droite/gauche au sein de l’électorat Macron ?

Si on se fie à l’importance que donnent les électeurs actuels de la liste LREM aux européennes à certains enjeux, on observe en effet qu’un thème comme la lutte contre le racisme et les discriminations est beaucoup important dans le choix des électeurs LREM venus de la gauche (64%) que ceux venus de la droite (34%). Toutefois, ces électeurs venus de la gauche pèsent peu dans cet électorat, que ce soit par rapport aux macronistes « canal historique » ou aux électeurs venus de la droite. Et globalement, les résultats de l’enquête montrent bien que le positionnement relativiste de cette aile multiculturaliste sur ces sujets est minoritaire, voire ultra-minoritaire, dans l’opinion comme dans le cœur de l’électorat présidentiel.

Certes, il serait sans doute un peu simpliste de réduire Taché et ses amis députés à l’expression d’un « plenelisme parlementaire » totalement déconnecté du positionnement réel des électeurs LREM sur ces sujets. Il n’en reste pas moins que pour une formation dont une part significative des élus et des cadres dirigeants ont été formés dans des organisations de gauche aujourd’hui hostiles au laïcisme à la française (ex : MJS, UNEF…), le risque est grand de provoquer un hiatus entre les parlementaires et la masse d’un électorat qui affiche, lui, une conception beaucoup plus « offensive » de la laïcité.

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