Entre Habermas et Ricoeur, Emmanuel Macron s’inspire d’une pensée européiste molle très en vogue outre-Rhin.
Président pressé, élu par un concours de circonstances, des concours financiers, et grâce à une incontestable habileté discursive et scénique, Emmanuel Macron, se verrait aussi en intellectuel. La cour laisse filtrer des informations, au demeurant souvent contestées, sur sa proximité avec Paul Ricoeur et son intérêt pour les thèses de Jürgen Habermas. Derrière ces coquetteries, on décèle un penchant pour l’Allemagne tant Ricoeur s’est voulu toute sa vie phénoménologue, mais plutôt à la manière de Husserl que de celle de Heidegger, ou des déconstructionnistes français qui ne débouchent sur rien que de très fumeux dans leur petite philosophie. C’est sans doute dans le relativisme découlant souvent de la phénoménologie que Macron a trouvé son procédé rhétorique du « en-même-temps », qui permet de dire tout et son contraire et donc, en définitive, rien, ce qui est le summum du politicien illusionniste.
Macron, étudiant parmi tant d’autres
Il ne nous semble pas que ce soient les fines distinctions entre éthique et morale, que l’on doit à Ricoeur, qui aient tant captivé celui qui n’était qu’un très jeune homme en 2002, lors de leur rencontre. Ricoeur, qui avait reconnu une erreur de discernement dans sa fréquentation du régime de Vichy, a reçu et échangé avec bien d’autres étudiants, avant et après Emmanuel Macron, comme tout enseignant et chercheur le fait sa vie durant. Ce serait une imposture d’en dire plus et de faire croire que Macron serait de ce fait un être d’une eau supérieure; et a fortiori de placer son triste magistère sous l’autorité du philosophe. Surtout quand Ricoeur aborde la question politique, et son idée »d’égalité qui permet des institutions justes »…
Par ailleurs, la Cour nous fait savoir le dédain de Macron pour le courageux Onfray (mis au placard) et sa préférence pour Habermas. Et pour cause : Habermas est plus directement utilisable que Ricoeur par Macron pour tenter de justifier avec emphase ses options politiques. L’avantage d’Habermas est qu’il publie beaucoup sur le même thème. Et qu’il est donc facile à comprendre même s’il est lui aussi nimbé des brouillards fréquents outre Rhin avec son inclination au criticisme. Après une jeunesse nazie, il sera ensuite marxiste, marcusien, avant d’inventer le »patriotisme constitutionnel » qui deviendra son fonds de commerce.
Habermas, le salut par l’Europe
L’idée serait que, désormais, on ne serait plus attaché à une nation au sens courant de ce terme dépassé, mais que nous serions sommés simplement de pratiquer une certaine façon de vivre socialement dans la constitution et ses institutions. Y compris mondialistes. (cf. son article dans Le Monde du 30 juillet 2018, Les populismes de droite proviennent de l’absence de volonté politique en Europe). Certes, Habermas regrette que »les populations nationales soient ébranlées par les impératifs fonctionnels politiquement incontrôlables d’un capitalisme mû par des marchés financiers échappant à toute régulation. La bonne réponse ne saurait consister en un repli effaré derrière les frontières nationales ». Cette phrase à elle seule trahit les limites du système Habermas et ses périlleuses ambiguïtés, insuffisances et contradictions. Mais ce n’est pas là notre sujet car Emmanuel Macron saute ce passage, gênant pour lui, compte tenu de son point de départ et de ses objectifs avoués et cachés. Ce qui lui importe ce sont les autres constatations passives d’Habermas et ses solutions tout aussi passives que floues.
Selon Habermas, une conscience européenne commencerait à déborder la conscience nationale et ce serait au fond grâce à la jet-set mondialisée, que les classes moyennes tenteraient d’imiter. Comme si les anglomaniaques, Incroyables et Merveilleuses du XVIIIe siècle avaient pu empêcher la Bastille, puis Valmy…Mais Habermas veut y croire et, bâclant son analyse des phénomènes populistes fondés sur « les préjugés à l’égard des migrants, les »peurs des classes moyennes désarçonnées par la modernité », il nous propose sa solution miracle : »le passage à ces formes supranationales d’intégration politique qui exigent de tout citoyen../.. avant de glisser son bulletin dans l’urne, qu’il se mette à la place du citoyen d’un autre [État membre]. » Et le philosophe de conclure cette démonstration magique par une grave erreur sociologique censée confirmer sa théorie : « le sentiment d’appartenir à une communauté nationale…ne relève pas d’un processus de génération spontanée. Elle a toujours été le fruit d’un travail, celui des élites influentes soucieuses d’adapter les rapports fonctionnels…et leurs économies nationales modernes ». Heureusement il y a aussi en Allemagne Ferdinand Thönnies, le père de la sociologie (Communauté et Société, 1885) et Friedrich List (Système national d’économie politique,1841). D’une autre envergure et d’une autre postérité.
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