Durant l’adolescence, et cela persiste aujourd’hui, j’ai eu deux icônes : Jeanne d’Arc et Che Guevara. Je n’ai plus leurs posters dans ma chambre : pour Jeanne, c’était le portrait d’Ingres trouvé au musée de Rouen, ma ville natale et pour le Che, c’était celui que tout le monde connaît, avec sa barbe et son béret étoilé. Mais je garde pour la petite bergère et le médecin argentin une admiration identique. Il me semble que leurs destins et leurs desseins ne sont pas sans similitude et qu’avec eux Plutarque aurait pu rajouter un chapitre à ses Vies parallèles des hommes illustres.
Si on y réfléchit, rien ne les prédisposait à devenir des chefs militaires qui se battirent en première ligne pour émanciper un peuple d’un pouvoir inique. L’un soignait des pauvres, l’autre gardait des moutons. Et pourtant cela n’a pas empêché Jeanne de prendre Orléans et d’impressionner les plus grands chevaliers de son temps ni Ernesto, malgré son asthme, de faire partie des douze survivants du débarquement désastreux à Cuba en 1956 avant de devenir le « commandant de la quatrième colonne » et d’enchaîner les victoires qui devaient amener à la chute de Batista trois ans plus tard.
Pour tous les deux, la foi et l’audace ou, si vous préférez, un courage insensé, furent leurs seuls viatiques. Et aux batailles d’Orléans, Jargeau, Meung-sur-Loire, Beaugency, Patay font écho celles de Bueycito, El Hombrito, Fomento, Guayos, Cabaiguán. À chaque fois, et contre toute logique, ils gagnent et sont blessés à l’occasion. Les deux offrent un mélange de foi, de dureté et de douceur. Ils sont inflexibles sur les questions de discipline et ne reconnaissent qu’une seule fidélité incarnée par un homme. Quand Jeanne retrouve le Dauphin caché au milieu de ses courtisans puis écrit aux Anglais : « Je suis venue, de par Dieu, le Roi du ciel, corps pour corps, pour vous bouter hors de toute France dont seul le Roi Charles est le vrai héritier. », le Che semble lui répondre cinq siècles plus tard : « Il apparut une seule capacité dirigeante, celle de la Sierra, et concrètement un seul dirigeant, un commandant en chef, Fidel Castro. »
Hélas, tous les deux connurent aussi l’ingratitude ou la prise de distance de ces mêmes chefs quand le Che préféra quitter Cuba pour continuer la lutte au Congo puis en Bolivie où il trouva le martyre entre les mains de la contre-guérilla et de la CIA : « D’autres terres du monde réclament le concours de mes modestes efforts. Je peux faire ce qui t’est refusé, en raison de tes responsabilités à la tête de Cuba et l’heure est venue de nous séparer. » Alors que Jeanne fut lâchée par Charles VII lors du siège de Paris avant d’être prisonnière des Bourguignons, vendue aux Anglais et eut la fin que tous les petits écoliers de France connaissent.
Il était évident que deux héros d’une telle pureté finissent en mythe. L’ennui, c’est que les mythes se récupèrent. Si le destin du Che a été de finir sur des tee-shirts comme une pop-star dont les produits dérivés génèrent une fortune, celui de Jeanne, après avoir été longtemps une figure commune à tous les Français a ensuite été l’occasion de récupérations froidement politiques. Passe encore qu’il y ait eu une Jeanne républicaine de gauche et une Jeanne royaliste, c’était deux lectures possibles sous l’égide de Péguy. Mais l’OPA réalisée par l’extrême droite lepéniste malgré les récentes disputes du père et de la fille, jusque dans le nom du micro-parti de Marine Le Pen qui assure les financements de campagne, cela est assez triste.
Et tout aussi triste est la dernière récupération en date, celle de Macron, qui dans un discours assez piteux et à usage personnel, strictement personnel, se compare implicitement à la pucelle d’Orléans qui se serait dressée contre « un système. »
On se doutait bien que le fondateur d’En Marche ne se rallierait pas à Che Guevara, ce ne doit pas « être une gauche qui lui convient » mais qu’il sache qu’il n’a rien de commun, pas plus que l’extrême droite, avec la figure lumineuse de la petite guerrière lorraine, seule contre tous alors que tous sont avec lui.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !