Le gouvernement a claironné le 15 mars des résultats encourageants pour le régime général de la Sécurité sociale, et tout particulièrement pour sa branche retraite. L’Agirc-Arrco, de son côté, fait état d’une diminution de son déficit. Alors, tout va bien, inutile de se faire du souci ? Seuls les Candides iront dans ce sens, comme l’anti-héros de Voltaire pour lequel « tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ». En réalité, le système français de retraites par répartition, qui ne se limite pas aux régimes des salariés du secteur privé, est soutenu à bout de bras par l’État, dont il contribue beaucoup à creuser le déficit.
Jusqu’ici, un travail « ni fait, ni à faire »
Près de 14 % du PIB consacré au paiement des pensions : le fonctionnement du système de retraites français n’est pas un problème à prendre à la légère. Les pouvoirs publics ne cessent d’ailleurs de légiférer à son sujet, que ce soit chaque année par la loi de financement de la sécurité sociale, ou à intervalles plus espacés (1982, 1993, 2003, 2010, 2014) sous forme de lois retraite spécifiques. Mais cette accumulation de textes devrait nous mettre la puce à l’oreille : s’il faut sans arrêt revenir sur la question, ne serait-ce pas parce que, chaque fois que le Gouvernement et le Parlement la traitent, le travail n’est « ni fait, ni à faire » ?
Remarquons d’abord que les pouvoirs publics se croient obligés de jouer le rôle de gestionnaire : ils appellent « réforme » le maniement des paramètres de réglage du système que sont l’âge de la retraite ou la durée d’assurance nécessaire pour avoir droit au taux plein à cet âge. Les partenaires sociaux, qui gèrent les régimes complémentaires, sont plus modestes : pour eux, fixer le prix d’achat du point et sa valeur de service est une opération de pilotage qu’il est normal d’accomplir chaque année sans qu’il y ait besoin de faire appel au législateur. Voilà un exemple dont les pouvoirs publics pourraient s’inspirer : laisser à un directeur des retraites et à son comité de direction le soin d’effectuer – sur proposition des actuaires – les réglages paramétriques nécessaires pour préserver l’équilibre financier.
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En contrepartie, le Parlement devrait enfin aborder ce qui est vraiment de sa responsabilité : les réformes structurelles. La France compte trois douzaines de régimes de retraite par répartition, les uns dits « de base » et les autres complémentaires, les uns gérés par l’État et les autres par les partenaires sociaux, alors qu’aucune catégorie socioprofessionnelle ne possède la stabilité démographique requise pour le fonctionnement durable des retraites. Le nombre des exploitants agricoles a été divisé par un facteur de l’ordre de 10 entre la Libération et aujourd’hui : comment leur régime pourrait-il fonctionner de manière autonome ? Et la compensation démographique, qui transfère des sommes des régimes où la proportion de cotisants par rapport aux retraités est la plus forte, vers ceux où elle est plus faible, est très insuffisante, notamment parce que les régimes complémentaires n’y participent pas. Par exemple, le petit régime spécial des ouvriers de l’État, qui compte à peu près 100 000 pensionnés pour 30 000 cotisants, ne comble son déficit qu’à hauteur de 5 % par la compensation démographique, si bien que le Trésor public doit apporter 95 %. Il est grand temps de prendre le taureau par les cornes et de procéder à l’unification des régimes.
3 milliards d’euros d’économie par an!
Cette fusion de tous les régimes en un seul peut être réalisée en un quinquennat, à condition de ne pas perdre une minute : nous l’avons démontré dans notre dernier ouvrage, La retraite en liberté. Bien entendu, le régime unique, disons France retraites, fonctionnera par points, comme l’Arrco-Agirc, car comptabiliser les droits à pension sous forme de points facilite grandement la vie des assurés sociaux : ils savent en permanence exactement où ils en sont de la préparation de leur retraite, et il leur est loisible, quand ils prennent de l’âge, de liquider une partie de leurs points, choisie par eux en toute liberté, pour pouvoir commencer à « lever le pied » professionnellement. La technique des points rend également la gestion beaucoup plus facile. Et puis, cerise sur le gâteau, un régime unique fonctionnant en points coûtera beaucoup moins cher en frais de gestion : l’économie annuelle sera de l’ordre de 3 Md€.
Parmi les candidats à la présidence de la République, il y en a un (Macron) qui indique vouloir instaurer un régime unique, calqué sur celui qui existe en Suède ; espérons qu’il expliquera comment il compte s’y prendre. Un autre (Fillon) paraît y songer, mais de façon plus lointaine. Quant au troisième (Marine Le Pen), son programme en matière de retraite est centré sur sa volonté affichée de revenir sur les modifications paramétriques antérieures (relèvements de l’âge de la retraite et allongement de la durée de cotisation), ce qui est irréaliste.
Il est heureux que l’idée d’unifier nos trois douzaines de régimes en un seul fasse quelques progrès : la loi retraite 2010 comportait un article ordonnant que le passage à un régime unique, fonctionnant en points, soit étudié ; or cette disposition légale n’a pas respectée, ni durant la présidence Sarkozy, ni durant la présidence Hollande. Dans l’état actuel des choses, seul mon ouvrage indique clairement un chemin menant à ce but. Les candidats devraient au moins s’engager à faire rondement mener les études détaillées nécessaires pour lancer une telle réforme.
« Nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations vieillesse, mais par nos enfants »
Un autre aspect de la réforme, indispensable mais ignoré – sauf erreur de ma part – de tous les candidats, a été indiqué, il y a 40 ans, par Alfred Sauvy, sans que ce grand économiste et démographe ait été entendu. Ce qu’a dit Sauvy est une vérité toute simple : « nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations vieillesse, mais par nos enfants ». Ces cotisations étant immédiatement transmises aux retraités actuels, ce n’est pas grâce à elles que les cotisants auront un jour une pension, c’est grâce aux enfants et aux jeunes actuels, qui deviendront à leur tour cotisants.
La retraite par répartition fonctionne donc de la façon suivante : les adultes investissent dans la jeunesse, et ensuite ces jeunes, devenus actifs, renvoient l’ascenseur en versant une sorte de dividende (les cotisations vieillesse) à ceux qui ont antérieurement investi dans leur « capital humain », comme on dit en économie. La formule juridique qui proportionne les droits à pension future aux cotisations vieillesse actuelles est une erreur économique grossière. Cette absurdité qui gangrène notre législation est à l’origine d’une partie importante des problèmes que la retraite par répartition pose de façon récurrente.
Voici donc une donnée dont les candidats qui voudraient envisager une véritable réforme des retraites devraient tenir compte : il n’est pas possible de construire un bon système de retraites par répartition en attribuant les droits à pension en fonction des cotisations vieillesse ; il faut mettre en place une contribution – remplaçant divers impôts, taxes et cotisations – qui financerait toutes les dépenses d’entretien et de formation de nos jeunes, et attribuer les points de France retraites pour partie au prorata des sommes ainsi investies dans la jeunesse, pour partie d’après le nombre des enfants que chacun aura élevé.
Il serait grand temps que François Fillon, Emmanuel Macron et Marine Le Pen réalisent comment fonctionne réellement la retraite par répartition et tiennent compte dans leurs programmes de la vérité économique. Depuis la transformation, en 1941, du système par capitalisation institué en 1930, nos retraites sont soumises à une fiction juridique qui empêche de comprendre leur fonctionnement réel. Le prochain chef de l’État demandera-t-il au Parlement de rétablir la vérité, ou laissera-t-il nos retraites croupir dans le mensonge, voilà un enjeu particulièrement important de cette élection présidentielle et des législatives qui la suivront.
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