Tous les sondages [1] prédisent la réélection du chef de l’État en avril prochain. La révolution qu’il avait annoncée n’a pourtant pas eu lieu. Comme ses prédécesseurs, il a défendu une Europe ouverte à tous, un « pognon de dingue » pour les aides sociales et le progressisme culturel. Le candidat de 2022 ne pourra pas faire les mêmes promesses que celui de 2017.
Emmanuel Macron apparaît indiscutablement en cet automne comme le principal favori de la prochaine élection présidentielle. Avec plus de 40 % d’opinions favorables, il bénéficie d’une cote de popularité très supérieure à celle qu’affichaient, à la même époque, ses deux prédécesseurs (31 % pour Nicolas Sarkozy, 16 % pour François Hollande, Odoxa, octobre). Les sondages prédisent une victoire nette du président sortant quel que soit le concurrent qu’il affronterait au second tour [1], avec un score autour de 57 % contre Éric Zemmour, 55 % contre Marine Le Pen et 53 % contre Xavier Bertrand (Harris Interactive, 20 octobre). Son pire adversaire, c’est lui-même, ou plutôt son identité politique pour le moins problématique.
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Un homme de foi
Qui est Emmanuel Macron ? Depuis cinq ans, le Fregoli de l’Élysée entretient sur son compte et sur le courant qu’il veut incarner à lui seul un flou pour le moins artistique, venant de la gauche et draguant à droite, oscillant sur les mêmes sujets entre les positions les plus diverses, théorisant le dépassement et le « en même temps » comme panacée politique. Si l’on veut bien dépasser cet épais brouillard tactique, son positionnement est toutefois assez clair… et probablement inadapté aux futures échéances. Car les trois éléments qui le caractérisent sont en effet en situation de crise avancée.
Emmanuel Macron, c’est d’abord la foi indéfectible dans les bienfaits du libre-échange et de la construction européenne. Il est le meilleur représentant de cette élite nouvelle qui mesure les progrès de l’humanité aux volumes des flux circulant en tous sens et fait de la frontière une survivance archaïque. C’est cette croyance presque religieuse qui l’a conduit par exemple, au début de l’épidémie de Covid, à retarder autant qu’il l’a pu les contrôles à l’entrée du territoire, tandis que ses ministres répétaient en boucle cette fausse évidence : « Les virus n’ont pas de passeport. »
De même, le président, sans aller jusqu’à un fédéralisme affiché, est-il convaincu que les vieilles nations ne disposent plus de la masse critique et que les problèmes, comme les succès, se gèrent désormais à l’échelle de l’UE. Tous les prétextes sont donc bons pour en élargir les compétences, comme la gestion déléguée des achats de vaccins l’a montré, sans toutefois véritablement convaincre. Cette ouverture généralisée s’accompagne, à l’intérieur, d’un libéralisme, il est vrai, plus modéré. Ce qui a fait Emmanuel Macron, l’a distingué des autres hauts fonctionnaires de sa génération et a lancé sa carrière politico-administrative jusqu’au sommet que l’on sait, c’est d’avoir été le rapporteur, en 2007, d’une commission présidée par Jacques Attali qui prétendait, sur le modèle de ses lointains prédécesseurs Jacques Rueff et Louis Armand en 1960, lever les obstacles structurels à la croissance française. Le président de la République a mis en pratique les idées du jeune inspecteur des finances : il a œuvré pour libéraliser le marché du travail, baisser la fiscalité sur le capital et la production, améliorer l’attractivité du pays. C’est probablement l’aspect le moins contestable de son bilan, mais aussi celui qui a été le moins bien compris (peut-être parce qu’il a pris la forme d’une série de micromesures très techniques), a suscité le plus de méfiance et a été poussé le moins loin.
Payer… pour réparer les effets de sa politique
La seconde caractéristique du macronisme est d’avoir maintenu un niveau de dépense publique et singulièrement de dépenses sociales (celle-ci étant la principale composante de celle-là) extrêmement élevé. La France se classe en effet, depuis de nombreuses années, nettement en tête des pays comparables de l’OCDE et elle a même dépassé les pays nordiques, traditionnellement plus prodigues. Le président actuel n’a pas mis fin à cette exception mais l’a même, à la faveur de la crise du Covid, accentué, portant la dépense publique au taux inégalé de 61,6 % du PIB en 2020. Il est donc faux de dire, comme on l’entend trop souvent, qu’il a sacrifié la politique sociale : il a, au contraire, conforté une tendance très discutable qui fait de l’État une vaste caisse de redistribution tous azimuts, au détriment de ses autres fonctions, notamment ses missions régaliennes ou planificatrices de l’avenir par l’investissement. Cette remarque peut sembler en contradiction avec le libéralisme affiché par Emmanuel Macron.
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Alors quoi ? Ouverture au grand large de l’économie ou socialisation et extension du poids financier de l’État ? Les deux tendances ne sont peut-être pas aussi opposées qu’on le croit et forment même, ensemble, un système aussi cohérent que pervers. La puissance publique a décidé en effet de compenser le coût social de la mondialisation et de la dérégulation et s’est instituée en une sorte de contre-assureur de la société. Quoi qu’il arrive, l’État vous couvre ! La prime de 100 euros, versée pour corriger la hausse des cours mondiaux du pétrole et du gaz, est à cet égard révélatrice.
Une devise: progressisme, européisme, mondialisme.
La dernière caractéristique du macronisme est son progressisme culturel. Des réformes dites « sociétales » ont ainsi émaillé le quinquennat, en particulier l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires. Le président a restitué des œuvres d’art premier pourtant conservées dans des collections publiques (et donc à ce titre inaliénables) aux pays africains, dont ils étaient originaires (voire l’article de Jérôme Serri pages 34-36 de notre numéro de décembre). Il a qualifié la colonisation de crime contre l’humanisé et a recherché avec l’Algérie les voix d’une mémoire commune (n’obtenant en retour que des rebuffades). Il a promu la diversité, y compris au sein de la haute fonction publique (c’était une des motivations de sa réforme de l’ENA). Il a pris, sur la question du multiculturalisme ou l’existence au contraire d’une identité nationale, des positions chaloupées. Sur tous ces sujets, Emmanuel Macron est allé aussi loin que le permettaient le contexte politique et son statut de président d’une république une et indivisible.
Europe ouverte à tous les vents, progressisme « sociétal », défense de l’État social : Emmanuel Macron a porté haut et fort ce mix politique mais il ne l’a pas inventé. Avec quelques nuances ou quelques inflexions, celui-ci inspire les gouvernements successifs depuis le milieu des années 1980. La spécificité de l’actuel président est d’avoir voulu en accentuer le contenu et en accélérer le rythme. Pour le reste, il se situe dans la droite ligne de ses prédécesseurs et, si rupture il y a, elle tient plus à la forme de son pouvoir solitaire et affranchi des lourdes structures partidaires, qu’au fond des politiques suivies. Emmanuel Macron, c’est le jeune énarque pressé qui licencie pour insuffisance professionnelle ou pour trop faible investissement personnel la vieille classe politique. Le problème, pour celui qui l’a si bien incarné, c’est que ce programme a aujourd’hui terriblement vieilli et présente de réels signes de faiblesse.
Fin de la récréation
L’Europe d’abord. L’Union européenne ne parvient pas, c’est un euphémisme, à protéger ses citoyens dans la mondialisation. L’Europe-puissance est une utopie française à laquelle personne ne croit plus. Le « couple franco-allemand » n’existe que dans les phantasmes du conjoint délaissé et d’ailleurs, personne en Allemagne n’utilise cette expression. Le bilan de Mme Merkel, partie sous les louanges des commentateurs français énamourés, se résume à trois décisions unilatérales aux effets pour le moins contestables : la sortie du nucléaire en 2011, le traitement draconien appliqué à la Grèce entre 2010 et 2015, l’accueil sans condition de 1,5 million de « migrants » en 2015. L’idée que la nation prise isolément serait une formule dépassée et que de vastes ensembles pèseraient davantage dans un monde globalisé est tout simplement fausse, comme le montrent, depuis trente ans, les succès économiques de la Corée du Sud, de Taïwan, d’Israël ou de Singapour… L’Union est fragilisée et Emmanuel Macron ne pourra plus, comme en 2017, conclure sa campagne aux sons de l’Hymne à la joie.
Le modèle de redistribution sociale gonflé pour contenir les effets de la mondialisation s’essouffle lui aussi. Il alimente un déficit récurent et une dette grandissante, qu’une hausse des taux d’intérêt rendrait insupportable. L’évolution du système suscite également des interrogations. Depuis plus de quarante ans, les gouvernements successifs, sans sacrifier les mécanismes d’assurance, ont privilégié des logiques d’assistance. Emmanuel Macron a, plus que les autres, revendiqué cette inflexion, affirmant, en 2017 dans une interview au Point, sa préférence pour un système de solidarité de type « beveridgien ». Or, si celui-ci est plus redistributif, il est aussi moins intégrateur que le système d’assurance « bismarckien ». Il sépare nettement ceux qui reçoivent les prestations de ceux qui les financent, souvent lourdement, sans jamais vraiment en bénéficier, y compris lorsqu’il s’agit de salariés modestes ou de petits travailleurs indépendants. Cette rupture du lien contributif est probablement une des causes profondes du mouvement des Gilets jaunes. Emmanuel Macron peut-il continuer sur cette voie au risque de fracturer encore davantage la société ? Doit-il au contraire renouer avec les mécanismes d’assurance, ceux de la « Sécu » de 1945, par exemple en développant un nouveau risque pour l’extrême vieillesse et la dépendance ? La protection sociale mériterait en tout cas d’être un sujet majeur de la présidentielle.
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Restent les questions sociétales, et là encore, les perspectives sont délicates. Depuis un an, le président lui-même semble ralentir la cadence. Sur la question sensible de l’allongement du délai de l’IVG de douze à quatorze semaines, il a tempéré les ardeurs de sa majorité. Dans le dossier brûlant de l’euthanasie, revenu dans débat parlementaire en avril dernier à la suite du dépôt d’une proposition de loi, le gouvernement est resté curieusement neutre. Emmanuel Macron veut-il réserver ces sujets électoralement porteurs, mais lourds de passions concurrentes, à sa prochaine campagne ? A-t-il au contraire compris que toute nouvelle « avancée » en entraîne une supplémentaire sur la route sans fin du progressisme et que l’affirmation sans limite des droits des individus ou, pire encore, des communautés, minait la cohésion sociale ?
Quoi qu’il en soit, il ne peut aller à l’élection avec le logiciel de 2017 : les Gilets jaunes et le Covid ont tué la « start-up nation ». De même, il serait risqué de ne compter que sur son bilan, forcément en demi-teinte, ou sur la médiocrité supposée de ses adversaires : l’élection présidentielle se joue en effet toujours sur un projet. Le président a-t-il changé ? La timide relance du nucléaire, le plan d’investissement de 30 milliards d’euros présentés le 12 octobre, l’insistance donnée à la relocalisation et la réindustrialisation sont-ils les signes d’une inflexion sinon vers le souverainisme (on ne lui en demande pas tant), mais au moins vers davantage d’euro-réalisme ? La baisse drastique des visas accordés aux ressortissants des pays du Maghreb préfigure-t-elle une nouvelle politique de l’immigration ? Le président sortant ne peut plus rester dans le « en même temps ». Pour survivre, il doit se réinventer.
[1] Ce texte a été publié le 1er décembre dans le magazine Causeur, avant les résultats du Congrès LR.