Les compères: haro sur les magistrats! Un billet de Philippe Bilger.
On apprend beaucoup sur la politique et nos présidents de la République dans les livres. Celui de Ludovic Vigogne – Les sans jours – nous éclaire beaucoup sur le comportement d’Emmanuel Macron depuis sa réélection, ses flottements, le choix d’Elisabeth Borne comme Première ministre après que Catherine Vautrin a failli l’être et les élections législatives avec la majorité relative pour Renaissance. C’est une très fine analyse de la démarche du président qui semble avoir perdu la maîtrise des opérations et être moins pertinent dans ses choix. Oscillant entre un présent où son pouvoir est contesté et l’échéance de 2027 où il ne l’aura plus.
Agacements mêlés
On y voit aussi confirmée ce qu’on savait déjà : la relation complice et délétère entre Emmanuel Macron et Nicolas Sarkozy avec de l’estime, voire de l’admiration du second pour le premier, mêlées à quelques agacements, et, de la part d’Emmanuel Macron, une habileté tenant principalement à l’attention portée aux problèmes judiciaires de son prédécesseur et à l’écoute des inquiétudes de Carla Sarkozy sur le sort de son mari. On a vraiment l’impression de deux compères réunis par une même détestation de la magistrature. On n’en doutait pas de la part de Nicolas Sarkozy qui durant son quinquennat n’en a pas fait mystère, cultivant le bon grain dévoué et utile au détriment de l’ivraie laissée à ses tâches quotidiennes. Elle s’est aggravée avec toutes les péripéties judiciaires et condamnations accrochées aux basques de l’ancien président.
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On aurait pu espérer d’Emmanuel Macron qui, officiellement, est le garant de l’unité et de l’indépendance de la magistrature, une autre attitude. Si son hostilité est moins brutale, plus soyeuse, elle n’en est pas moins indéniable. Il suffirait de rappeler quelques épisodes qui démontrent la conception toute particulière que le président a de la Justice et certains de ses propos qui, au sujet d’Eric Dupond-Moretti, révèlent son parti pris ministériel. La nomination de ce dernier puis son renouvellement constituent d’ailleurs le plus éclatant coup de pied de l’âne porté à une corporation appelée à être administrée par une personnalité qui, avocat, ne l’avait jamais ménagée.
Un double langage pervertit notre démocratie
Tout de même, quand je lis dans le livre de Ludovic Vigogne ces propos d’Emmanuel Macron : « Ces gens-là n’ont aucune légitimité. Ils n’ont pas été élus. Ils ont passé un concours. Ce sont des hauts fonctionnaires qui ne sont jamais responsables de rien », il y a de quoi se révolter. Non qu’il ne faille pas s’occuper de la responsabilité des magistrats – c’est d’ailleurs à peu près la seule inspiration présidentielle que j’ai approuvée dans le domaine de la Justice -voir mon billet de février 2021) – mais quelle condescendance, quel mépris par ailleurs ! Comme si c’était au président de dénoncer le statut de la magistrature, de le tourner en dérision alors qu’il devrait être le plus scrupuleux à le faire respecter ! Cette saillie confirme – pas la moindre raison de la croire fausse – que derrière l’officiel des institutions il y a tout un officieux et qu’un double langage pervertit notre démocratie. Quand les coulisses contredisent la scène, c’est plus qu’un dysfonctionnement : une honte.
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Puis-je dire aussi, sans tomber dans une vanité collective mal placée, que je n’accepte pas cette charge sur laquelle nos deux compères s’accordent ; le monde politique n’a pas à donner de leçons et s’il s’agit de débattre de la médiocrité des uns et des autres, élus ou non, nous aurions une argumentation à faire valoir et qui ne serait pas forcément à notre désavantage… À condition évidemment que les plus hauts chefs de la magistrature ne disparaissent pas sous la table démocratique et aient l’audace constante d’affirmer la grandeur et l’honneur de ce superbe service public. Si je n’éprouve aucune nostalgie pour mes activités de magistrat, parce que j’ai eu la chance d’en avoir d’autres passionnantes qui ont pris leur relève, je ressens parfois des fourmis dans l’esprit et je regrette de devoir me contenter d’une parole solitaire, d’une apologie singulière. Au haro officieux sur les magistrats de nos deux compères, j’aurais tellement voulu pouvoir opposer une défense et illustration officielles de la magistrature.