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Papa Macron et les « enfants » de la République

Le président nous traite-t-il vraiment comme des adultes responsables ?


Papa Macron et les « enfants » de la République
Emmanuel Macron à Sarliac-sur-l'Isle, juillet 2018. SIPA. 00868594_000010

Le président nous considère-t-il vraiment comme des adultes responsables ou comme les enfants qu’il n’a pas ?


Tout le monde aujourd’hui connaît la séquence pathétique du doigt d’honneur, qui est tout ce que l’on retiendra du voyage d’Emmanuel Macron à Saint-Martin. Et Dieu sait que les Saint-Martinois méritaient mieux, et que le chef de l’État aurait pu choisir pour les représenter d’autres personnes qu’un duo de repris de justice mal élevés, devenus hélas des symboles de l’île par la magie médiatique de l’onction présidentielle.

Que le drame de l’ouragan Irma justifie une certaine indulgence, soit. Mais je m’interroge : le chef de l’Etat qui a fermement et à juste titre rappelé à l’ordre un collégien trop familier aurait-il laissé passer ce doigt d’honneur si son auteur avait été métropolitain ? Ou, osons le dire, blanc ? Sans doute pas.

Allons adultes de la patrie

Dans le laxisme d’Emmanuel Macron envers ce jeune homme, je vois de la condescendance, du mépris, pour ne pas dire du racisme. Comme s’il considérait que, de la part de « ces gens-là », on ne peut pas s’attendre à autre chose. Que l’on ne peut pas demander à « ces gens-là » de respecter les règles de politesse même les plus élémentaires.

Désolé, Monsieur le président, mais « ces gens-là » ne sont pas intrinsèquement inférieurs ou moins civilisés que les autres ! Et puisqu’il se trouve qu’ils sont de jeunes adultes, donc des adultes, ils ont même le devoir de mieux connaître leurs obligations et de mieux les respecter qu’un adolescent qui vous appelle « Manu ».

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Eh oui, ils sont adultes ! Mais l’admonestation ridicule d’Emmanuel Macron, « Ta mère, elle mérite mieux que ça », pousse à nous demander s’il en a vraiment conscience, lui qui les traite comme des enfants. D’école maternelle en l’occurrence. Les instituteurs savent pourtant par expérience que « arrête tes bêtises, elles font de la peine à ta maman » n’a qu’une efficacité limitée après 6 ans. Et c’est bien dans ce contexte que nous devons comprendre ses propos lorsqu’il nous déclare qu’il « aime tous les enfants de la République » – et ce n’est pas au sujet des élèves d’une école qu’il l’a dit.

Il n’a pas dit non plus, par exemple, « nous sommes tous enfants de la République », dont le sens aurait été radicalement différent.

Allons « enfants » de la Macronie

Je ne spéculerai pas sur la vocation frustrée d’un chef d’Etat qui aurait aimé être télévangéliste plutôt que banquier et/ou homme politique. Je préfère souligner la profonde méconnaissance des valeurs de la République que révèle son attitude, que je ne crois pas dictée par le statut territorial particulier de Saint-Martin (et qui resterait évidemment problématique si elle l’était).

Dans notre République, le peuple est souverain. Chaque citoyen possède une voix, et chaque voix a le même poids lors d’une élection. Une femme, un homme, un blanc, un noir, un jaune, un brun, un homo, un hétéro, un croyant, un agnostique, un athée, un jeune de 18 ans, un moins jeune de 118 ans, vous, moi, Emmanuel Macron : dans l’isoloir, chacun a une et une seule voix, chacun est très exactement détenteur de la même parcelle de la souveraineté collective.

Cette souveraineté, ce droit et ce devoir de peser sur le destin de tous, est une très sérieuse responsabilité. La République est le choix collectif de croire chacun de nous capable d’assumer cette responsabilité, sauf preuve du contraire et déchéance des droits civiques. C’est aussi le choix de considérer chacun de nous comme légitime pour participer aux décisions les plus importantes, parce que ces décisions nous engagent tous et que nous devrons tous en assumer les conséquences.

Lorsque notre président parle des « enfants de la République » au sujet d’adultes, et à la lumière de son indulgence condescendante et de sa leçon de morale surréaliste, il implique peut-être qu’il veut en prendre soin (les classes moyennes déclassées et les détenteurs de petits boulots ubérisés apprécieront la crédibilité de l’intention), mais il implique surtout qu’il les infantilise, et leur refuse donc le droit de penser par eux-mêmes et de décider par eux-mêmes, parce qu’il les en croit incapables.

Le roi se leurre

Emmanuel Macron veut maîtriser les médias sous prétexte de lutter à la fois contre les « fake-news » et contre tout ce qui pourrait heurter certaines susceptibilités exacerbées, en fait filtrer le réel et nous dire quoi penser. Comme un parent qui censure ce que ses enfants lisent ou regardent, parce qu’ils ne sont pas encore assez grands pour avoir le discernement nécessaire pour « faire le tri » par eux-mêmes, et qu’il faut éviter qu’ils soient choqués et dorment mal la nuit.

Emmanuel Macron veut imposer sa volonté au Parlement, car Emmanuel seul sait ce qui est bon pour nous. Alors, au sein même du parti majoritaire, on s’offusque lorsque des élus ne suivent pas les consignes de vote du gouvernement, comme si des chouchous osaient se rebiffer contre l’enseignant qui les favorise. Puisque nous sommes des enfants, les parlementaires ne sont que des délégués de classe, et on ne va tout de même pas leur confier la direction de l’école !

Emmanuel Macron se trompe. Les citoyens français sont des hommes et des femmes libres et responsables. Des adultes. Ne pas les reconnaître comme tels, c’est leur dénier le droit de revendiquer leur éminente dignité de citoyens. C’est trahir la République.



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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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