Contraint de chasser les voix d’extrême gauche en conservant en même temps les voix de la droite, le président se complait sans complexe dans son “en même temps”. Technique hypnotique qui n’est pas sans rappeler la doublepensée de Big Brother… Explications.
Notre président-philosophe aime à citer les grands auteurs :
Le “quoi qu’il en coûte”, du discours “We shall fight on the beaches” de Churchill. Le 4 mai 1940 en pleine campagne de France, le Premier ministre britannique déclarait à Westminster: « Nous irons jusqu’au bout, nous nous battrons en France, nous nous battrons sur les mers et les océans, nous nous battrons avec toujours plus de confiance ainsi qu’une force grandissante dans les airs, nous défendrons notre Île, quoi qu’il en coûte ».
Comment oublier sa reprise du “qu’ils viennent me chercher !”, lancé en 1814 par Napoléon[1] sur l’île d’Elbe quand on vint lui dire que les Français le regrettaient, et que l’empereur déchu répondit : « S’ils m’aiment tant, qu’ils viennent me chercher » ?
Même son “maître des horloges” est piqué à Bernard Attali, frère jumeau de son mentor, qui écrivait « Le rôle de l’homme politique, maître des horloges, c’est d’éclairer l’horizon, de distinguer l’important de l’urgent, de rappeler les valeurs, de montrer le cap, et de tenir bon »[2].
En revanche, on est en mal de trouver à qui Emmanuel Macron à emprunté son “nous sommes en guerre”. Cette phrase n’a été prononcée ni par De Gaulle ni par Churchill qui avaient, eux, pourtant, beaucoup plus de légitimité à l’employer que le président français en temps de paix. C’est bel et bien dans… 1984, qu’on trouve cette phrase : “Ce que je veux dire, c’est que nous sommes en guerre”. Il est troublant de noter que le mot “guerre” est présent 139 fois dans le roman d’Orwell. Or il désigne une guerre en Eurasia dont on n’est pas plus sûr qu’elle ait eu plus lieu qu’en France en 2020. La fausse guerre de Macron pour désigner la pandémie s’apparente bel et bien à celle du roman d’Orwell dans lequel « peu importe que la guerre soit réellement déclarée (…). Tout ce qui est nécessaire, c’est que l’état de guerre existe ».
La doublepensée et le “en même temps” d’Emmanuel Macron
Naturellement, d’autres livres et d’autres personnalités se sont déclarés “en guerre”. Mais peu l’ont dit en sachant que c’était faux. Une fois le nez dans le roman d’Orwell, édité l’an dernier dans la Pléiade, on peut aussi y trouver le “en même temps” qui rappelle bel et bien le président français.
En effet, peut-on encore croire à une coïncidence, en découvrant sa parenté avec la doublepensée de Big Brother ? La doublepensée est définie ainsi : “Retenir simultanément deux opinions qui s’annulent alors qu’on les sait contradictoires et croire à toutes deux. Employer la logique contre la logique. Répudier la morale alors qu’on se réclame d’elle…” Cela ne vous rappelle-t-il vraiment personne ? Même dans ces phrases ou l’esbroufe semble prendre le pas sur la complexité ? Citons Emmanuel Macron dans ces phrases dont il a le secret :
- “Après avoir été en même temps en danger et protégés, les Français doivent regarder en même temps vers le passé et vers l’avenir”;
- “Le féminisme est un humanisme et (…) défendre la dignité des femmes, les droits des femmes, c’est en même temps défendre la dignité et les droits des hommes”;
- “Depuis longtemps, je sais qu’ici, on est fier d’être Breton, on est fier d’être Français, en même temps on est aussi fier d’être Européen”. (Quimper 21/06/2018)
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Beaucoup a été dit sur le discours de Macron qu’on a pu qualifier d’attrape tout. On peut aussi, comme l’écrivait le psychanalyste Roland Gori dans Libération, avancer que cet en même temps est une pensée de la « complexité » qui dépasse les anciens clivages. Stratégie qui portait la promesse de réconcilier les Français.
Revenons à notre Mozart. L’efficacité du “en même temps” en tant que “ramasse-tout” idéologique permet de dire tout et, en même temps son contraire, pour rallier les Français et les Françaises du pour et… ceux du contre. Sans se risquer à fâcher les autres.
On note ainsi dans ses saillies une fausse complexité axée sur l’oxymore. Dans 1984, la doublepensée use justement de ces astuces. Big Brother proclame ainsi que “la guerre c’est la paix”, “la liberté est esclavage” ou que “l’ignorance est puissance”. Cette “doublepensée” n’est-elle pas reprise à merveille par Emmanuel Macron dans son “Soyons fiers d’être des amateurs” lors de la campagne de 2017 jusqu’à “l’Europe souveraine” de la présidence française du conseil européen de 2022 ?
Le chef d’œuvre d’Orwell, est de fait truffé d’”en même temps”, synthèse de cette doublepensée :
- “Croire en même temps que la démocratie est impossible et que le Parti est gardien de la démocratie.”
- “Le Parti prétendait, naturellement, avoir délivré les prolétaires de l’esclavage. (…) Mais en même temps que ces déclarations, en vertu des principes de la double-pensée, le Parti enseignait que les prolétaires étaient des inférieurs naturels, qui devaient être tenus en état de dépendance, comme les animaux.”
- “Le Times du 19 décembre avait publié les prévisions officielles (…) au cours du quatrième trimestre 1983 qui était en même temps le sixième trimestre du neuvième plan triennal”
- “Comme d’habitude, les groupes directeurs des trois puissances sont, et en même temps ne sont pas au courant de ce qu’ils font”
Bref, comme le résume Orwell “les plus subtils praticiens de la doublepensée sont ceux qui l’inventèrent et qui savent qu’elle est un vaste système de duperie mentale.”
Effet de sidération
La dystopie d’Orwell indique que la doublepensée est un acte d’hypnose. “Pour se servir même du mot doublepensée, peut-on lire dans 1984, il est nécessaire d’user de la dualité de la pensée, car employer le mot, c’est admettre que l’on modifie la réalité. (…) C’est par le moyen de la doublepensée que le Parti a pu et (…) pourra, pendant des milliers d’années, arrêter le cours de l’Histoire. (…) L’œuvre du Parti est d’avoir produit un système mental dans lequel les deux états peuvent coexister”.
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Or, si Orwell explique qu’il s’agit de “persuader consciemment l’inconscient, puis devenir ensuite inconscient de l’acte d’hypnose que l’on vient de perpétrer”, on peut émettre l’hypothèse que le “en même temps” fonctionne par la sidération créée par sa complexité factice. Esbroufe augmentée encore par le “celles-et-ceux” qui vient renforcer la confusion du “en même temps”, et permet de saturer l’attention par ses contradictions. L’”en même temps” sature le cerveau et empêche toute réplique par effet de sidération.
Les médecins savent, en effet, que le cerveau peut être rapidement saturé. Ainsi, la neurologie a démontré qu’il était aisé d’encombrer l’esprit d’une tâche très gourmande en capacité de calculs. Ces “mental tricks” sont d’ailleurs repris par les mentalistes dans leurs tours de suggestions. Ainsi, par exemple, le Britannique Derren Brown, dans une célèbre vidéo réussit à payer une bague de 4500$ avec une petite liasse de… papiers blancs ! Le secret : au moment de payer, le mentaliste noie le bijoutier sous une avalanche de questions sur la station de métro la plus proche et son accès. Or ces questions d’orientation, ainsi que le langage, sont des tâches gourmandes en bande passante qui monopolisent le cerveau qui, de fait, néglige les tâches plus simples et routinières. Et ce bijoutier compte les morceaux de papier et les encaisse sans sourciller. Bref, il s’agit d’obtenir par saturation, sinon le consentement, une adhésion par négligence ou par forfait. Il est essentiel aujourd’hui de se méfier de ces faux-monnayeurs de la pensée politique.
[1] Jacques Bainville, “Napoléon” – 1936
[2] Bernard Attali, Si nous voulions – 2014
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