Après la démission du général Pierre de Villiers, c’est un euphémisme de dire que le discours d’Emmanuel Macron à la base aérienne 125 d’Istres était attendu. Mais une fois mises de côté les figures imposées de l’exercice, qu’en reste-t-il ? A vrai dire, fort peu, et d’autant moins qu’une partie a déjà été démentie, au moins dans l’esprit.
Jeudi en effet, le président disait : « Le général de Villiers a souhaité hier passer la main. C’est son choix, et je le respecte entièrement. Je tiens à lui rendre un chaleureux hommage, car il a été un grand soldat, aimé et admiré de ses subordonnés, et il vous a brillamment commandés pendant un peu plus de trois ans. »
Le déloyal Monsieur Castaner
Vendredi, le porte-parole du gouvernement déclare : « Le chef d’état-major a été déloyal dans sa communication, il a mis en scène sa démission. (…) C’est son comportement qui a été inacceptable. (…) Il s’est comporté en poète revendicatif. »
Les propos de Christophe Castaner ne me semblent pas relever de l’entier respect, ni de l’hommage chaleureux, même s’ils sont involontairement flatteurs !
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Car nombre de grands soldats ont été écrivains ou poètes, et ont osé revendiqué ce qui leur semblait nécessaire pour défendre leurs subordonnés et leur patrie. Et si Pierre de Villiers a en effet refusé de faire allégeance à un pouvoir qu’il a jugé irresponsable, et a mis en scène ce refus afin d’alerter l’opinion publique, c’est justement par loyauté envers notre nation.
Par contre, il me semble qu’un porte-parole du gouvernement qui se permet de prendre publiquement le contre-pied du chef de l’Etat moins de 24 heures après son allocution pourrait être opportunément qualifié de « déloyal dans sa communication »…
Macron n’a pas tout faux
Passons donc sur le reste des compliments et des encouragements. Les militaires ont trop l’habitude d’entendre parler de la reconnaissance de la nation dans des casernes tombant en ruines pour s’arrêter aux beaux discours.
Il y eut de bonnes choses.
D’abord le rappel de la complémentarité au sein de la dissuasion nucléaire française entre le vecteur subaquatique et le vecteur aérien, en clair les sous-marins et les avions. Il est bon que le chef des armées étouffe dans l’œuf toute velléité éventuelle des uns de prendre trop de place au détriment des autres.
La volonté de se pencher réellement sur une mise à jour de Sentinelle, ce déploiement de forces coûteux, épuisant pour nos soldats et dont l’efficacité est pour le moins discutable.
L’essentiel n’est pas le budget…
L’annonce d’une étude de grande ampleur visant à mieux prendre en compte la situation des familles des militaires, notamment lors des décisions de mutations, est plus que bienvenue. La montagne accouchera peut-être d’une souris, mais il est tout de même très encourageant que le chef de l’Etat en personne évoque le sujet, tant il est sensible au quotidien pour toute la communauté militaire.
Enfin, Emmanuel Macron a rappelé à juste titre que l’essentiel n’était pas le budget, mais la stratégie et l’évaluation des moyens nécessaires à la mise en œuvre de cette stratégie. C’est une manière élégante d’évacuer la polémique de ces derniers jours, mais ça n’en est pas moins vrai.
Hélas ! « En même temps » qu’il rappelait ce sain principe, le président annonçait que les décisions de trajectoire budgétaire ont déjà été prises pour les prochaines années, alors que les résultats de la réflexion stratégique ne doivent lui être présentés qu’à l’automne… Il a insisté sur l’objectif des 2% de PIB en 2025, ce qui d’une part est prématuré avant que les réflexions annoncées aient été conduites, et d’autre part repousse le rendez-vous trois ans après la prochaine présidentielle et les prochaines législatives. En termes politiques, autant dire aux calendes grecques.
Pour le reste, l’essentiel s’est logé dans les détails.
…c’est la stratégie
Ainsi, nous avons appris que, de tous les budgets de l’Etat, seul celui des armées allait être augmenté. Gageons que les syndicats de la fonction publique civile, si attachés à la croissance de la masse salariale, ne manqueront pas de demander des clarifications sur ce point…
Nous avons aussi découvert que les coupes budgétaires n’étaient pas si graves, puisqu’elles portaient sur l’exécution en cours d’année et non pas sur la loi de finance. La pirouette prête à sourire.
Les armées ont compris depuis longtemps que les lois de finance sont belles et bonnes, mais qu’une fois amputé de la mise en réserve, du surgel, des transferts budgétaires et des mesures non budgétées décidées en cours d’année, le budget n’est plus tout à fait ce qui était prévu. Or, c’est bien avec le budget en gestion, réellement exécuté, qu’il faut faire la guerre, pas avec les décisions théoriques d’une loi de finance.
En outre, la LOLF n’a jamais mis fin à la vieille méthode de calcul « socle + mesures nouvelles », qui signifie concrètement que les droits budgétaires futurs ne sont pas calculés à partir des droits antérieurs mais de la dépense constatée. Dépense qui, justement, vient d’être très sérieusement réduite. Monsieur le président, parlez-en à l’occasion à un ancien de Bercy, il vous l’expliquera.
Un chef (des armées) doit faire des choix
Avoir évoqué policiers, gendarmes et infirmiers pour relativiser la situation des armées était habile, puisque leurs missions sont de celles auxquelles les militaires sont généralement sensibles. Mais l’argument est creux. Il sous-entend que les efforts budgétaires doivent être partagés par tous, alors que le rôle d’un chef est de faire des choix, de définir des priorités et d’investir dans ces priorités les moyens et la détermination nécessaires à la concrétisation de ses objectifs.
L’idée n’est pas de demander des économies à toutes les composantes de la fonction publique, mais d’évaluer ce qui est utile et ce qui l’est moins, ce qui est sacrifiable et ce qui ne l’est pas, ce qui est stratégique et ce qui ne l’est pas, et d’agir en conséquence.
Enfin, le lieu se prêtait évidemment à un rappel du rôle crucial de la dissuasion nucléaire pour appuyer la place de la France dans le concert des nations, mais ce focus presque exclusif m’inquiète. En présence des médias, le discours d’Emmanuel Macron ne s’adressait évidemment pas qu’aux seuls militaires, et il n’est jamais inutile de sensibiliser le grand public sur ce point.
Cependant, avoir souligné la qualité de l’entraînement des unités chargées de cette mission ne doit pas faire oublier que de très nombreux régiments n’ont aujourd’hui plus le temps de s’exercer et de se préparer comme ils le devraient, alors qu’ils sont eux aussi indispensables à notre capacité d’action.
L’humain d’abord
Il faut espérer que le modernisme du président ne le conduise pas aux chimères d’un projet stratégique qui ne s’appuierait que sur quelques armements de pointe. Ceux-ci sont très importants, et il serait d’ailleurs temps de développer sérieusement nos capacités de combat numérique et de réfléchir à notre défense spatiale. Mais il est impossible même aujourd’hui de tenir un territoire et, plus encore, de construire quelque chose avec ses habitants, sans s’appuyer sur des troupes au sol déployées au milieu de la population civile. Et ce constat est valable aussi pour le territoire national.
Au final, l’avenir dira ce qui relevait de la tentative d’apaisement et de l’effet d’annonce, et ce qui se traduira dans les faits, pour améliorer les conditions de vie et de travail de nos soldats, et pour assurer la défense de la France. La force est loin de tout résoudre, mais il est des choses que l’on ne peut résoudre sans y avoir recours. A condition de s’en être donné les moyens, intellectuels, matériels et humains, sans surenchère mais sans naïveté.
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