Trois jours après l’embrasement des Champs-Elysées, Emmanuel Macron devait répondre aux préoccupations des gilets jaunes, dans son discours du 27 novembre sur la transition énergétique. Mais plutôt que de rassurer, le président a perturbé: quand il semble avoir compris, il montre en même temps qu’il n’a rien compris.
Dans Le grand blond avec une chaussure noire, Bernard Blier, alias le colonel Milan, s’agace: « On tourne en rond, merde. On tourne en rond, merde. On tourne en rond, merde ».
Aujourd’hui, nous nous trouvons dans la même situation.
L’objet du tourment, ce n’est pas François Perrin mais Emmanuel Macron. Des mois que nous nous intéressons à Jupiter. Que nous scrutons. Que nous analysons. Que nous nous permettons même de le conseiller via des éditos, comme autant de bouteilles à la mer. Et on finit par avoir l’impression de tourner en rond, tel Bernard Milan. De tourner en rond avec Emmanuel Macron, parce qu’en fait, c’est surtout lui qui est à l’œuvre dans ce mouvement circulaire.
Les gilets jaunes: un danger et une chance
Depuis que Jupiter a abandonné la parole rare, s’exprimant devant les Français avec une fréquence plus importante que ses deux prédécesseurs réunis, il est possible que les chroniqueurs ne soient pas les seuls à ressentir ce tournis. Le mouvement des gilets jaunes constituait à la fois un danger et une chance pour le président de la République.
Un danger parce que la colère qui montait de toute la France mettait en exergue le malentendu de son élection. Il avait été l’instrument du dégagisme mais n’était en fait que le continuateur en plus brutal de toutes les politiques rejetées, mises en œuvre par l’ex-duopole politique LR-PS.
Une chance parce que ce signal d’alarme lui permettait de comprendre définitivement les fractures de ce pays, de comprendre qu’il fallait qu’il remette en cause ses certitudes. Un moment de vérité.
Les Français ne sont pas des enfants
François Bayrou, l’homme qui l’avait fait roi un après-midi de février 2017, lui avait parlé. Mieux encore : des députés LREM avaient déchaussé leurs godillots et s’alarmaient du discours présidentiel. Notre consœur du Figaro, Mathilde Siraud, racontait cette scène d’une réunion de groupe LREM à l’Assemblée nationale : Aurore Bergé, député des Yvelines, mettait en garde ses collègues : il fallait arrêter de parler de « pédagogie », les gilets jaunes n’étaient pas des enfants. En voilà une qui avait compris. Sans doute pas la seule. Nous l’avions nous-mêmes expliqué dans ces colonnes juste avant le 17 novembre.
Mais il y avait les autres. Ceux qui avaient contribué à faire grossir le mouvement en moquant avec arrogance le parti de « ceux qui fument des clopes et roulent en diesel ». Ceux qui dénonçaient l’ultradroite ou « la peste brune ». Ceux, enfin, dont l’obsession de rester « droit dans leurs bottes » est inscrit dans leurs gènes politiques et qui craignent que le quinquennat d’Emmanuel Macron s’arrête à la moindre concession.
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Il n’était pourtant pas difficile de le lâcher ce moratoire sur l’augmentation de la taxe carbone. Il n’était pourtant pas difficile de le vendre, ce supposé recul. Emmanuel Macron n’a de cesse de critiquer ce qui s’est fait avant lui. Pourquoi alors se mettre dans les pas de ses prédécesseurs, spécialement sur ce sujet qui a mis une partie de la France en colère ? Pourquoi ne pas avoir argué du fait que lui était différent, qu’il ne mettrait pas la charrue avant les bœufs et ne punirait donc pas ceux qui utilisent leur véhicule contraints et forcés, comme il le reconnaissait par ailleurs ?
Le petit manège du président Macron
Emmanuel Macron nous donne le tournis. Il semble avoir compris le temps de deux phrases et en même temps nous rappelle qu’il n’a rien compris la phrase d’après. Il semble prendre de la hauteur et en même temps « donne l’impression pénible que le président lit une note de Bercy et qu’il fait corps avec le ministère des Finances », ainsi que le notait notre confrère Guillaume Perrault. Un jour, les Français sont des « Gaulois réfractaires », un autre « ils ont raison ». Lorsqu’il continue de fustiger ceux qui demandent à la fois plus de services publics et moins de taxes, laissant entendre que ces gens ne comprennent rien aux finances publiques, fait-il preuve d’une naïveté confondante ou d’une mauvaise foi crasse ? C’est parce qu’ils ont vu disparaître ces dits services publics de leurs campagnes et petites villes que les gilets jaunes refusent d’être davantage taxés. Lorsqu’on écoute Emmanuel Macron, on se dit parfois que c’est avec lui qu’il faudrait faire preuve de pédagogie.
On tourne en rond, on tourne en rond, on tourne en rond. Comme sur un rond-point occupé par les gilets jaunes. On tourne en rond avec Emmanuel Macron dont les ennuis, à l’évidence, ne sont pas terminés avec sa prestation d’hier.
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