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Un gouvernement de collaborateurs

Le chef de l'État donne rendez-vous à la télévision aux Français, alors que le nouveau gouvernement n'est pas encore entièrement dévoilé


Un gouvernement de collaborateurs
Chantilly, 11 janvier 2024 © Blondet Eliot /POOL/SIPA

La nation a rendez-vous à 20h15. Mais qu’est-ce qu’Emmanuel Macron va bien pouvoir raconter aux Français ce soir lors de sa conférence de presse retransmise à la télévision ?


L’effet escompté par le choix de Gabriel Attal comme Premier ministre n’a même pas eu le temps de retomber que déjà le président de la République tire le tapis sous les pieds de son nouveau Premier ministre. En Macronie, l’égo présidentiel ne supporte pas la concurrence et accepte difficilement que l’on existe, même dans son ombre. Alors il casse souvent ses jouets en même temps qu’il les exhibe à la foule censée être subjuguée par tant d’audace.

Après mini-moi, Premier ministre, on a donc eu droit au récit du débauchage de Rachida Dati. Mais comme derrière ce nouveau gouvernement, il n’y a toujours pas de ligne politique claire et que la situation de majorité relative (traduite par l’impossibilité de faire voter des lois sans utiliser le 49.3) n’a pas changé, l’impuissance parait toujours de mise. Tellement qu’une semaine à peine après ce bal des nominations, les Français sont déjà passés à autre chose, laissant les rodomontades politiques occuper le haut du trottoir d’une rue déserte.

La créativité présidentielle jamais prise en défaut

Il faut dire que l’encre annonçant l’avènement du divin Gabriel n’était pas encore sèche que déjà Emmanuel Macron annonçait le énième rendez-vous présidentiel avec les Français. Un clou chasse l’autre, la mise en avant du Premier ministre déclenche comme par réflexe la castration présidentielle. Mais c’est logique quand le président considère ses ministres comme des collaborateurs, une forme de super cabinet à sa main et non en cherchant, à travers eux, un chemin vers l’avenir, la proximité avec les Français et la confrontation au réel. Faute de pouvoir s’appuyer sur des personnalités fortes pour pouvoir raconter une histoire ou donner sens à son action, il se replie sur une forme d’exhibition.

On a déjà eu droit à « Emmanuel repasse le grand oral de Sciences-po devant les maires de France ». En langage bureaucratique cet exercice d’autocongratulation a été baptisé « grand débat national ». Lancé à grands renforts de superlatifs, personne n’est capable de dire aujourd’hui à quoi tout ce cirque a abouti, et les cahiers de doléances des Français moisissent dans quelque annexe d’archives s’ils n’ont pas été simplement jetés. Au gré des diverses crises, on a toujours droit au refrain de la démocratie participative. Laquelle parait la version la plus politiquement correcte de « la dictature c’est ‘Ferme ta gueule’, la démocratie c’est ‘Cause toujours’ ». Cela a donné lieu à diverses conventions citoyennes (sur le climat, sur la fin de vie). Une fut annoncée sur les retraites ; elle avorta avant même d’être conçue. Mais la créativité présidentielle jamais prise en défaut a encore accouché d’un nouveau concept : le CNR. Censé réactiver l’espoir que fit naitre après la Seconde Guerre mondiale le Conseil national de la Résistance, qui forgea la Sécurité sociale, ce Conseil national de la refondation est le énième comité Théodule lunaire dont nul ne sait quelle est la mission et dont personne n’attend rien. Tous ces lancements aussi divers que variés ayant fait plouf, voilà qu’Emmanuel Macron espère encore séduire la nation en lançant ce soir un rendez-vous dont plus personne n’attend autre chose que de l’autosatisfaction et des annonces probablement dépourvues de tout effet.

Mais à part le peu d’estime qu’éprouve votre servante pour les talents de notre président, pourquoi autant de cynisme alors même que l’homme n’a pas encore pris la parole ? Peut-être parce qu’agir toujours de la même manière en espérant un résultat différent est sans doute moins une marque de folie que de mépris. Emmanuel Macron fait des claquettes pour gagner du temps, mais incapable de sang-froid et d’orchestrer les séquences, il met lui-même la pagaille dans ses propres mécaniques.

Virage à droite ?

Ainsi, la mise en scène du retour à l’autorité, et du virage à droite, que recelait la communication autour de la nomination du Premier ministre et de son gouvernement, est en train de tourner court. Les secrétariats d’État ne sont même pas nommés que déjà Emmanuel Macron trépigne et tourne le projecteur de son côté. Il faut dire que les premiers pas du nouveau gouvernement sont chancelants. Et pour cause. Hormis Gérald Darmanin et Bruno Le Maire qui existent un peu par eux-mêmes, le reste du gouvernement est composé de personnes venues assurer les représentations politiques (Modem, Horizons), qui, nouveaux entrants ou reconduits, n’ont marqué l’esprit de personne. Pour le reste, les ministres ne sont que des membres de cabinet, fabriqués par le Prince, qui lui doivent tout et n’ont encore rien prouvé de leurs mérites. La seule chose dont nous soyons assurés est de leur loyauté à Emmanuel Macron. En revanche, sur le fait qu’ils aient un rapport à l’intérêt général, une vision pour la France ou des solutions pour répondre aux défis de l’avenir, là n’est visiblement pas la question.

Stéphane Séjourné, le 25/09/22 / © Molecki/East News/SIPA / 01089100_000014

On peut rire des fautes de français d’un Stéphane Séjourné, nouvellement nommé ministre des Affaires étrangères, mais on peut aussi penser qu’il n’est pas interdit d’être émotif, d’avoir la langue qui fourche et surtout que ce n’est pas l’essentiel. Le problème vient de l’inexpérience totale en la matière d’un homme qui se voit mis à la tête d’une institution à la fois traditionnelle et bouleversée. Le corps diplomatique a été cassé d’un geste négligent par un président qui pense qu’être disruptif, c’est se permettre de détruire gratuitement ce qui est, sans prendre le temps de réfléchir aux spécificités de certains domaines. Le problème ici est surtout que Stéphane Séjourné n’a pas la densité politique pour être crédible à ce poste. Il n’est que le gardien en chef du bac à sable présidentiel. Et c’en est ainsi de la plupart des ministres. Ils n’ont ni parcours personnel politique, ni existence propre. S’ils viennent du sérail politique, ils ne sont pas des professionnels de la politique mais des collaborateurs et des assistants. Non que certains ne puissent le devenir, mais certainement pas en passant directement des cabinets au poste de ministre ou de député, sans être passés par le terrain, sans se confronter aux réalités de la gestion locale, des problèmes concrets que l’on rencontre au sein d’une mairie ou d’un Conseil général, sans s’être confronté au réel et aux citoyens, dans un rapport direct, sur des sujets quotidiens ou mettant en jeu l’avenir des communautés locales et des bassins de vie.

Un autre exemple avec Amélie Oudéa-Castéra. La dame récite bien sa leçon. On lui a expliqué que l’Education nationale vivrait mal le fait de n’avoir eu un ministre un peu énergique que durant cinq mois, alors la voilà qui minaude en expliquant que le Premier ministre va la coacher. Elle est en alternance au gouvernement ? Ministre est une formation de luxe ? Tout cela n’est pas très sérieux. Alors quand, à peine nommée, la ministre semble mentir sur les raisons qui l’ont poussée à mettre ses enfants dans une école privée, on ne peut que craindre que la greffe soit difficile à prendre. La prise de Rachida Dati est destinée à occuper le terrain du « coup médiatique » réussi, mais eu égard à l’absence de ligne de ce gouvernement sur à peu près toutes les questions, il n’y a pas de raison que cette nomination se traduise en décisions politiques majeures.

Difficile donc de savoir ce que peuvent donner à leur poste Marie Lebec ou Aurore Bergé tant leur identité politique est floue. Quant aux anciens, de Sylvie Retailleau à Christophe Béchu en passant par Sébastien Lecornu, ils incarnent tellement peu de choses, qu’ils restent des inconnus aux yeux des Français. L’image d’autorité et de détermination du jeune Premier ministre plait aux Français mais l’homme ayant encore peu maçonné, on attend encore de savoir s’il maîtrise l’action et est doté d’une véritable colonne vertébrale. Ne reste que Le Maire et Darmanin qui soient dotés d’une identité propre, à l’ancienne presque. Ils rejoignent le bal des prétendants et des héritiers puisque le président ne peut se représenter. Cela augure d’une solidarité gouvernementale toute relative…

Courage donc à Gabriel Attal qui va devoir conduire le char de l’Etat en prenant garde à droite et à gauche, à côté et autour de lui et surtout au-dessus de lui. Qu’il n’oublie pas que Jupiter avait pour père Chronos, qui dévorait ses enfants. Et apparemment Emmanuel Macron ne s’est pas construit en opposition.




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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