Progressistes vs. déclinistes?
Comme l’a rappelé Léa Salamé, lors de la soirée électorale du second tour de la présidentielle, le progrès a triomphé face aux « déclinistes » (sic). C’est bien toute une sémantique qui s’est installée insidieusement dans le langage politique et médiatique. De fait, il suffit de lire Jérôme Godefroy, le magazine Challenges, d’écouter Eric Brunet, Franz-Olivier Giesbert, bref la plupart des éditorialistes: la victoire d’Emmanuel Macron et de son mouvement serait celle des optimistes face aux pessimistes conservateurs, des modernes face aux passéistes, de la jeune génération « société civile » face à l’ancien monde.
Feu sur les réacs!
Selon le discours entendu, tout ce qui alimente une critique de la mondialisation, de l’Union européenne et, par là, l’ouverture, doit être considéré comme une attaque contre le progrès et la modernité. Ainsi, la convenance enfourne Natacha Polony, Michel Onfray, Alain Finkielkraut, les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon, le Front national, et les gaullistes dans un même sac : au mieux dans celui des conservateurs, au pire, dans celui des extrémistes et des « fachos ».
Cette entreprise de formatage a réussi à imposer l’idée que seule la force centriste actuelle serait légitime pour incarner le camp progressiste et moderne. Et si le progressisme déclamé était bel et bien un moyen d’amadouer le peuple pour le préparer aux prochaines régressions ? Les « déclinistes » ne seraient-ils pas, en réalité, ceux qui soutiennent l’ouverture débridée des marchés, vantent la mondialisation heureuse, souhaitent la fin progressive du droit du travail ? Ces mêmes personnes qui osent mettre un voile sur les causes de la hausse des inégalités.
Déréguler n’est pas simplifier
Exemple-type : la réforme du droit du travail, enjeu central du quinquennat Macron. Il faut « simplifier le code du travail », « décentraliser la négociation pour plus de démocratie au sein de l’entreprise », « libérer le travail », introduire « de la flexi-sécurité »… Par ces termes, tout semble positif. D’ailleurs, un mot d’ordre est largement diffusé : « être optimiste ». En réalité, nous pouvons transformer ces mots par leur véritable sens : « précarisation », « contournement syndical », « facilitation des licenciements », « ubérisation du marché du travail » (remplacer le salarié par un auto-entrepreneur pour lequel les droits sont réduits au minimum).
Une régression sociale qui remettrait en cause près de trois siècles d’acquis. Il s’agit non pas d’une simplification du code du travail – d’ailleurs de nombreuses failles juridiques existent actuellement et les accords de branches ont permis de pallier certaines d’entre elles – mais d’une dérégulation du code du travail. Une sorte de droit à la carte selon les salariés, les hiérarchies internes et les entreprises. Par quoi se traduit cette régression ?
Assouplir les licenciements
Emmanuel Macron ne l’a jamais caché, y compris sous le précédent quinquennat : il veut assouplir les licenciements. L’une des premières mesures de la future loi travail consiste à plafonner les indemnités prud’homales pour les renvois sans cause réelle. La logique libérale et centriste (le Modem et « En Marche » en tête) considère que le chef d’entreprise doit avoir connaissance à l’avance du coût d’un salarié, si celui-ci ose intenter en procès pour licenciement abusif. Les tribunaux auront un barème qui encadrera le montant des dommages et intérêts. Ainsi, l’entreprise pourrat-elle budgétiser le coût d’un salarié, si celle-ci souhaite s’en séparer sans motif. Plus qu’une simple petite entorse à la séparation des pouvoirs (entre la justice et le politique), le citoyen est, avant tout, considéré comme un ajustement financier et non, une plus-value.
Par ailleurs, la nouvelle réforme prévoit la priorité des accords d’entreprise sur les accords de branche (durée légale du temps de travail, salaire minimal, égalité professionnelle entre hommes et femmes, etc.). Et ce, même si l’accord d’entreprise s’avère moins avantageux pour les salariés. Cette disposition créera une concurrence interne en France entre des entreprises du même secteur. Une course vers le nivellement par le bas, où telle entreprise pratiquerait tel ou tel règlement sur les horaires de nuit ou les heures supplémentaires.
Bilan des pays libéraux
Enfin, d’autres pistes sont évoquées comme l’ambition de développer le statut d’auto-entrepreneurs, l’individu payant ses propres charges et cotisations sociales, même si celui-ci est engagé par une entreprise… Dans tous les pays anglo-saxons et les pays latins – Italie, Espagne, Grèce et Portugal, qui ont été pilotes dans la régression sociale, par la casse de leur code du travail (dictée par le triptyque Commission européenne, FMI, BCE), les chiffres du chômage ont effectivement baissé, très faiblement, mais au prix d’un accroissement inquiétant des inégalités. La pauvreté a même nettement augmenté. La précarisation des salariés et des citoyens vise à mieux les maîtriser, pour les adapter au seul but d’un marché dérégulé. Un marché qui n’apprécie guère nos services publics et hôpitaux, pas assez rentables – a fortiori dans la France périphérique.
160 000 fonctionnaires de moins
La volonté du gouvernement d’Edouard Philippe de supprimer 160 000 fonctionnaires est, bel et bien, un point qui colle avec cette vision de la «start-up France». S’opposer à ce grignotage revient, entre autres, à critiquer les principales directives européennes, qui précipitent le déclin. Une position aujourd’hui considérée comme d’arrière-garde, par le décorum médiatico-politique. Aussi, que penser de la volonté d’Emmanuel Macron de signer un traité de libre-échange avec le Canada (le CETA), visant à réduire les normes de santé et d’environnement, sous prétexte de favoriser le commerce entre les deux pays ?
Faire fi de toute l’histoire des luttes sociales, des évolutions du code du travail, des conventions collectives, des acquis qui devaient permettre aux sociétés de grandir avec ses citoyens. n’est résolument pas un progrès.
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