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Macron, candidat des milliardaires et des sous-prolétaires


Macron, candidat des milliardaires et des sous-prolétaires
Emmanuel Macron sert des mains dans un restaurant des Mureaux, mars 2017. SIPA. AP22024106_000005
Emmanuel Macron sert des mains dans un restaurant des Mureaux, mars 2017. SIPA. AP22024106_000005

Emmanuel Macron n’avait pas plutôt installé son bureau de ministre de l’Économie à Bercy que les médias faisaient son éloge préalable. La France était bénie des dieux. Elle disposait d’un homme providentiel, de grande capacité économique, capable de surmonter les difficultés accumulées au long de quarante années de déboires économiques, de déficits et de chômage. Emmanuel Macron nous était présenté comme un Bonaparte économique.

Que cet homme ait fait l’objet de dithyrambes de la part de médias aussi différents en apparence que Les Échos ou Challenges aurait dû nous faire comprendre d’emblée qu’il représentait une nouvelle carte sortie de la manche des organes du système néolibéral pour confirmer les choix de l’euro, de l’Europe, de la globalisation. À partir d’un postulat : les choix stratégiques que nous avons faits avec les deux compères Mitterrand et Chirac ne sont pas en cause dans nos échecs. Nous manquons cependant d’hommes de l’art capables de mettre en œuvre les réformes salvatrices auxquelles le bon peuple ignorant répugne. Mais, enfin Macron vint, et avec lui, l’espoir revint.

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Comme Philippe Cohen nous manque ! Il avait été le premier à diagnostiquer le « parti des médias » comme un parti caché qui gouverne les consciences des dirigeants politiques et formate l’opinion publique. Il aurait vu immédiatement dans Emmanuel Macron le serviteur du système parrainé par les médias pour imposer la continuité de nos choix stratégiques. Il nous aurait appelés à la vigilance face à la mise en scène médiatique et politique du personnage. Et il insisterait sur le fait, inédit, que ce n’est pas seulement dans les médias bien-pensants de la bourgeoisie hexagonale que la promotion du Macron se déploie, mais aussi dans le Financial Times, le Wall Street Journal, le New York Times. Emmanuel Macron y est présenté comme l’antidote français au virus qui a ravagé l’Angleterre du Brexit et l’Amérique de Trump. On le voit, dans les caricatures des médias concernés, mener la contre-offensive idéologique, armé d’un drapeau tricolore ! What a surprise !

On aurait tort, cependant, de croire que le candidat du système néolibéral n’en est que le dernier avatar politique. Il est novateur dans son genre. C’est ce qu’un journaliste du Figaro, Jean-Pierre Robin, nous révèle dans un article informé sur le vrai programme du candidat.

Le programme de France Stratégie

Jean-Pierre Robin nous dit que, loin d’être dissimulé, le programme d’Emmanuel Macron est, comme la lettre volée de Poe, « exposé aux yeux de tous ». Il a été rédigé sous la houlette de Jean Pisani-Ferry par les équipes de France Stratégie, un organisme officiel mais étrange, qui est une sorte de think tank financé par l’argent public. France Stratégie est installé cité Martignac, dans les locaux de l’ancien Commissariat au Plan, en plein cœur du VIIe arrondissement. On ne saurait incarner mieux l’abandon de l’ambition d’après-guerre d’un développement maîtrisé avec l’aide de l’État, au profit d’une prospérité acquise dans le cadre du libre-échange global[1. Comme nous y exhorte Élie Cohen à chacune de ses interventions médiatiques : « Il faut relever les défis et saisir les opportunités de la mondialisation. »].

Jean Pisani-Ferry a quitté la cité Martignac pour se mettre au service de l’ambition présidentielle de notre Bonaparte en complet d’énarque[2. Après avoir été à la tête de l’institut Bruegel, think tank dédié à l’Europe. Il est aussi membre du Cercle des économistes, qui réunit chaque année la tribu des économistes néolibéraux à l’université d’Aix-en-Provence, et membre du Conseil d’analyse économique.]. Mais il a emporté dans ses bagages[access capability= »lire_inedits »] les notes d’orientation de France Stratégie, élaborées en vue du nouveau quinquennat, dans différents domaines : économie, finances, social, éducation, écologie, culture. Nous avons retenu trois propositions majeures qui pourraient être au cœur du programme du candidat : la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi en allègements de charges pérennes pour les entreprises, l’exonération de charges sur les bas salaires, l’imposition des loyers fictifs.

La première est la plus anodine en apparence. Elle consisterait à supprimer une sorte d’usine à gaz issue des cerveaux fertiles de Bercy afin de basculer les 22 milliards de coût qu’elle représente vers un dispositif connu d’allègements de charges. Ce serait revenir à la préconisation simple du rapport Gallois. Mais avec une différence de taille. Louis Gallois demandait que l’allègement porte sur les salaires des personnes qualifiées pour toucher les entreprises orientées vers les marchés extérieurs. Tandis que le nouveau dispositif serait réparti sur l’ensemble de la grille salariale.

La deuxième laisse perplexe. L’État supporte présentement le coût d’un allègement de charges spécifique sur les bas salaires évalué à plus de 20 milliards d’euros par la Cour des comptes, coût qui se cumule avec celui du CICE. Un coût que les conseillers jugent prohibitif au regard de son impact sur l’emploi dès lors qu’il est empoché comme un profit d’aubaine par les employeurs concernés. Or la nouvelle proposition instituerait une exonération au lieu d’un allègement, pour les salaires compris entre 0,5 et 1,3 Smic, dont le coût serait forcément supérieur, sans remédier à la tare constitutive de l’allègement actuel. Et sans apporter de solution au manque de compétitivité de nos activités exportatrices dont les salaires sont notoirement plus élevés. Où est donc l’enjeu de ce mistigri sur les charges sociales ?

La troisième est potentiellement explosive. L’imposition des loyers fictifs – les loyers qui seraient dus par les propriétaires s’ils devaient payer le loyer du logement qu’ils occupent –, qui existait sous la IVe République, a été abandonnée par la Ve dont les dirigeants s’étaient fixé l’ambition de promouvoir l’accession à la propriété et la consolidation des classes moyennes. Remise à l’étude par le PS dans les années 1970, elle n’a pas revu le jour, par crainte de son impact politique négatif. Mais que dire aujourd’hui ? Les prix des immeubles ont explosé et leurs loyers avec eux. Un appartement de 50 mètres carrés situé à Montmartre supporte un loyer de plus de 1 000 euros. Que l’intéressé fasse le calcul : il devrait ajouter 12 000 euros à son revenu imposable ! Il s’agirait en fait d’un super ISF, tapi au sein de l’IRPP, élargissant dramatiquement le champ de celui-ci, aujourd’hui applicable à partir de 1 300 000 euros. Il frapperait des personnes modestes qui ont pu hériter d’un logement acquis par leurs parents. Dès lors, la question se pose : la proposition émane-t-elle de cerveaux ravagés ou de titulaires d’appartements de fonction ou d’appartements à bas prix tels que ceux obligeamment fournis par la mairie de Paris ?

Les banlieues plutôt que les bobos

Jean-Pierre Robin s’interroge à la fin de son article. Sachant qu’Emmanuel Macron dispose d’un électorat de bobos, comment se fait-il qu’il ouvre la voie à une surimposition de son public fétiche. « Avis aux bobos proprios du baby-boom, c’est eux qui vont raquer. » Certes, mais l’idéologie peut l’emporter sur l’intérêt de classe. Et il faudra bien de l’argent pour couvrir ces opérations d’allègement ou d’exonération de charges qui forment le cœur du dispositif.

Mais si l’on comprend que les grands bénéficiaires de son application sont nos banlieues, nous voyons apparaître un autre électorat officiellement guigné par le candidat Macron. À la faveur de la mondialisation et de la politique d’immigration, une véritable économie du tiers-monde s’est installée en France, triplement subventionnée par la protection sociale la plus coûteuse du monde, les collectivités territoriales et la politique de la ville. Elle serait amenée à prospérer de façon décisive. Là est l’innovation de Macron : non plus appliquer des rustines à notre tissu social déchiré, mais développer une nouvelle forme d’économie enkystée au sein d’une France engagée dans la compétition tous azimuts[3. Comme toujours, il faut renvoyer à La France périphérique de Christophe Guilluy, éditions Flammarion, 2014.]. Le candidat du système coupe le pays en deux : d’une part, la France bénéficiaire de la masse de nos aides sociales, mais exonérée de charges sociales ou fiscales, et, d’autre part, la France qui paie plein pot pour bénéficier de la même protection sociale.

Il convient ici de rappeler la réaction d’Emmanuel Macron au lendemain des attentats du 13 novembre 2015. Il imputait le terrorisme au « manque d’opportunités économiques ». Propos en forme de négationnisme quand on sait que les djihadistes se recrutent dans les couches plutôt instruites issues de nos banlieues. Mais Macron oublie spontanément la dimension idéologique du problème pour retrouver une explication « économiciste ». À l’occasion, le personnage, qui traite élégamment les ouvriers bretons d’« illettrés économiques », nous a apporté la preuve de son crétinisme politique.

L’Europe ou la mort

Macron est aujourd’hui l’incarnation la plus pure, si l’on ose dire, de l’européisme dans notre paysage politique. Il milite pour une intégration européenne plus poussée encore, nonobstant le pouvoir prééminent acquis par l’Allemagne et les échecs de la construction européenne analysés par Hubert Védrine dans son dernier ouvrage[4. Sauver l’Europe, éditions Liana Levi, 2016.].

Le fait le plus singulier est cependant que Macron soit soutenu par le patronat tandis qu’il ne propose rien qui puisse traiter le problème le plus crucial de notre économie : son manque de compétitivité vis-à-vis de l’Allemagne (la moitié de notre déficit commercial, égal à 47 milliards d’euros, résulte du déséquilibre de nos échanges avec notre grand voisin qui a accumulé en 2016 un excédent commercial total de 296 milliards d’euros !). Et l’on ne saurait affirmer sans ridicule que l’allègement du droit du travail constituerait le remède approprié.

Notre histoire récente, sous ses deux angles économique et politique, est aussi celle de l’aveuglement des chefs d’entreprises dont la conscience politique a été prise en otage par l’idéologie dominante. Passe encore que les banquiers et les assureurs s’accommodent d’un système qui les a si bien servis. Mais que dire pour les chefs des entreprises non financières ? L’Europe nous interdit d’alléger les charges sociales des entreprises engagées dans la compétition internationale : il faut alléger corrélativement les charges du bistrot de quartier et des supermarchés ! Elle nous interdit de réduire ou d’annuler l’impôt sur les bénéfices des entreprises réinvestis sur le site national. Car elle se voit, au-delà de son périmètre officiel, comme une sorte de laboratoire de la globalisation, statuant comme si elle était un organe de la gouvernance mondiale.

Le parti des médias ne nous laisse que le choix de poursuivre sur la voie du déclin, sous la conduite du chef de chœur Macron, en scandant : « L’Europe ou la mort. »[/access]



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est un économiste français, ancien expert du MEDEF

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