Ils viennent du PS, des LR, du Printemps républicain ou d’ailleurs. Emmanuel Macron ne compte plus ces ralliements qui ont le mérite d’affaiblir ses adversaires. Mais ces pique-assiettes électoraux pourraient bien être ses futurs frondeurs.
Les défections dans l’entourage d’Anne Hidalgo et de Valérie Pécresse ont affaibli les deux candidates – elles terminaient hier soir au premier tour à moins de 2% pour la première, et moins de 5% pour la seconde – sans changer fondamentalement la donne pour le président, ultra favori à sa propre succession. Les ralliements et débauchages constatés ces derniers jours visent sans doute davantage à préparer des législatives qui s’annoncent très compliquées pour la majorité présidentielle.
L’ancien ministre Jean-Pierre Chevènement et le maire de Dijon François Rebsamen côté PS, la maire de Calais Natacha Bouchart, la présidente de la métropole d’Aix-Marseille Martine Vassal, le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale Éric Woerth, côté LR ; le président ex-LR de la région PACA Renaud Muselier, Amine El Khatmi et Gilles Clavreul, du Printemps républicain… Il ne s’est pas passé une semaine cet hiver sans qu’un élu ou une personnalité d’envergure se rallie à Emmanuel Macron. Et ça fait mal.
Socialistes et LR opportunistes rallient Macron
L’entourage de Valérie Pécresse a tenté de minimiser la défection d’Éric Woerth, « parlementaire en fin de carrière », selon le mot aimable du président des Républicains, Christian Jacob. En réalité, le départ de Woerth accable la candidate LR. Christian Jacob le sait.
Idem au PS, où François Rebsamen n’est pas le premier venu. Il a été ministre du Travail (2014-2015) et numéro deux du parti pendant dix ans (1997-2008). Sa défection a plombé encore un peu plus Anne Hidalgo, mais quel est le gain pour Emmanuel Macron ? À 2,5 % d’intentions de vote, la maire de Paris n’était plus dans la course. Le ralliement d’un ou plusieurs éléphants socialistes restera sans grande conséquence sur la présidentielle.
En ce qui concerne les législatives, c’est différent. Connu de tous dans son fief de Côte-d’Or, le maire de Dijon apporte à LREM ce qui lui manque cruellement, de la notoriété ciblée et de l’implantation locale. « La majorité présidentielle s’attend à perdre du terrain et elle a besoin de candidats crédibles pour éviter la débâcle, décrypte un ex-Marcheur. En face, l’opposition n’est pas morte. Le PS vaut plus que les 2,5 % d’intentions de vote d’Hidalgo. Il part avec l’intention de garder ses 28 circonscriptions, voire d’en gagner quelques-unes. »
Idem à LR. Certes, Valérie Pécresse a fait une campagne décevante, soutenue par un parti tiraillé entre ceux qui regardent vers Éric Zemmour et ceux qui lorgnent vers Emmanuel Macron. Le député sarkozyste de l’Yonne Guillaume Larrivé a même appelé le 22 mars dans Le Point à « construire une nouvelle majorité » avec les macronistes en cas d’élimination de Valérie Pécresse au premier tour. Un appel au secours, le geste désespéré d’un élu voyant arriver le naufrage ? Pas forcément. Les Républicains tiennent 45 départements sur 94. Ils en ont remporté sept en 2021. Ils sont moins nombreux, mais plus expérimentés que les marcheurs. La construction de la « nouvelle majorité » que Guillaume Larrivé appelle de ses voeux pourrait se transformer en piège pour les macronistes. L’arrivée de quelques dizaines de cadors LR risquerait fort de tourner à la prise de contrôle d’Ensemble citoyens !, la coalition lancée en novembre dernier pour regrouper les formations qui soutiennent le président sortant.
Or, à ce stade, pour construire une majorité à l’Assemblée, les macronistes cherchent des alliés de sensibilités différentes en fonction des circonscriptions. À Dijon, il s’agit de travailler avec le centre gauche pour battre la droite ; en PACA, il faut se marier avec le centre droit pour battre le RN ; à Paris, on s’orienterait aussi vers un rapprochement avec le centre droit, mais pour battre la gauche et les écologistes ! Les marcheurs tiennent deux circonscriptions parisiennes sur trois (13 sur 18 exactement). En garder la moitié serait un soulagement. Pour y arriver, il faut pencher à droite dans l’Ouest parisien et à gauche dans l’Est. Compliqué.
Exercice délicat également dans le Vaucluse. LREM a deux députés dans le département, qui compte cinq circonscriptions au total. Ils étaient tous les deux suppléants en 2017. L’un penche à droite et l’autre à gauche ! Le marcheur de droite est Adrien Morenas, suppléant de Brune Poirson, élue d’un cheveu face au RN (50,67 %). Devenue secrétaire d’État, elle lui a très vite cédé son siège. Au fil de son mandat, Morenas a amélioré ses relations avec son voisin LR, le député Julien Aubert. Il s’est attaché à défendre les intérêts des agriculteurs de sa circonscription, sans envolée lyrique contre l’extrême droite, appelant à une immigration « encadrée ». Principe de réalité…
Dans la première circonscription, en revanche, celle d’Avignon, la députée LREM en fait des tonnes à gauche ! Souad Zitouni était la suppléante de Jean-François Cesarini, qui l’avait emporté face au RN au second tour en 2017, grâce à des reports de voix Insoumis. Il est décédé en 2020. Sa suppléante tape sur Éric Zemmour, sans garantie. Les enquêtes d’opinion montrent que les électeurs de Jean-Luc Mélenchon ne se reporteront massivement vers les candidats estampillés majorité présidentielle dans aucun cas de figure. « Faire barrage au RN », ils ont déjà donné.
En définitive, à l’échelle du pays, il n’y a pas beaucoup de circonscriptions où les Marcheurs peuvent regarder les législatives avec sérénité. Compter sur des triangulaires ne serait guère raisonnable, car il faut 12,5 % des inscrits, et non des votants, pour pouvoir se maintenir. Avec une abstention que les sondages annoncent élevée, la barre sera difficile à franchir. En 2017, il n’y a eu qu’une seule triangulaire, sur 577 scrutins locaux !
Les durées leçons du quinquennat pour la majorité
La situation est compliquée même en Bretagne, région qui a voté le plus massivement en 2017 pour Emmanuel Macron. LREM avait raflé 21 députés sur 27, dont huit sur huit dans le Finistère, département de Richard Ferrand. Le problème est que ce dernier, comme tant d’autres, a été élu par un quart des électeurs seulement. L’actuel président de l’Assemblée a gagné au second tour avec 56 % des suffrages et 48 % de votes exprimés. Autrement dit, sur 89 000 inscrits dans sa circonscription (la 6e), Richard Ferrand en a convaincu un peu moins de 21 000… Et c’était le sommet de la vague LREM ! Aux régionales de 2021, qui correspondent au contraire à un gros creux, le parti présidentiel était devancé en Bretagne par le PS, LR et les écologistes. À 14,7 % des voix, il était talonné par le RN (13,2 %), dans une région qui n’a pourtant jamais été favorable à la maison Le Pen. « Le postulat selon lequel les électeurs donnent logiquement à un président fraîchement élu des députés pour gouverner ne se vérifie pas toujours, rappelle un élu PS breton. En 1988, les Français ont réélu François Mitterrand mais nous, au PS, nous n’avons pas obtenu la majorité absolue à l’Assemblée. »
Qu’en sera-t-il cette année, difficile à dire. Il y avait 314 députés Marcheurs en 2017. Entre les exclusions et les défections, leur nombre s’est réduit significativement au fil de la mandature. Ils sont désormais 267. C’est une évaporation inédite sous la Ve République. Parmi ceux qui sont restés dans le groupe, une cinquantaine a annoncé son intention de ne pas se représenter. Quant aux autres… Il y a actuellement une grande opacité sur les investitures au sein d’Ensemble citoyens ! mais une chose est sûre : les erreurs de casting ont été trop nombreuses pour que quiconque ait envie de parier à nouveau sur une armée de bizuths. Certaines de ces erreurs ont eu des conséquences spectaculaires, comme en témoignent les déclarations de Martine Wonner, députée du Bas-Rhin, exclue du groupe en 2020 suite à des prises de position détonantes sur la gestion de la crise du Covid.
D’autres ont été plus discrets, ce qui ne les a pas empêchés de savonner activement la planche à la majorité présidentielle dans leur circonscription. Jennifer de Temmerman, députée du Nord, a rejoint une liste d’union de la gauche aux régionales de 2021. Rarement interrogée par la presse nationale, elle ne rate jamais une occasion de dire tout le mal qu’elle pense de la Macronie dans La Voix du Nord et L’Indicateur des Flandres…
Autre souci, des néodéputés LREM ont fait leur mandat jusqu’au bout au sein du groupe, souvent avec sérieux, mais sans réussir à percer politiquement, s’enfermant dans un anonymat dramatique. Le cas le plus ahurissant est Laurent Saint-Martin, candidat LREM à la présidence de la région Île-de-France en 2021. Il faisait figure d’inconnu dans le scrutin, alors qu’il était député du Val-de-Marne depuis quatre ans déjà ! Mais est-ce de sa faute ? À force de ne laisser aucun espace politique à ses députés, la majorité présidentielle a raté son implantation locale. 22 députés LREM se présentaient aux municipales en 2022, un seul a gagné (Olivier Gaillard, à Sauve, Gard, 1 900 habitants). La leçon était douloureuse et elle a été bien apprise. Plus personne, à Ensemble citoyens ! ne prend le pari que les électeurs voteront pour des inconnus comme ils l’ont fait il y a cinq ans, en se fiant à une étiquette. Cette fois, il faudra des têtes d’affiche. Vous trouvez qu’il y a beaucoup de ralliements à Emmanuel Macron ? Il n’est peut-être pas du même avis.