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Le flingueur de la démocratie

On marche sur la tête...


Le flingueur de la démocratie
Le président Macron à Neuville-sur-Saône (69), 10 septembre 2024 © Blondet Eliot-Pool/SIPA

Entre succès populaire des Jeux olympiques et Bérézina politique, les Français sortent d’un étrange été. Le président Macron a crucifié nos institutions, et entame une curieuse cohabitation.


En clôture d’un été olympique, couvercle parfait pour calmer le feu, Michel Barnier a été nommé Premier ministre. Après des européennes remportées par le RN, une dissolution dont on cherche encore les motifs, et des législatives brouillées par la résurrection du front républicain, l’ex-négociateur du Brexit pour l’Union européenne s’est installé à Matignon. Pour combien de temps ? Mystère et boule de gomme, vu que tout dépend de Marine Le Pen. Le jour où son parti censurera la majorité, la confusion repartira de plus belle. Avec son lot de tractations, de bruits de couloir et de têtes d’affiche sorties du chapeau. À l’image de Lucie Castets, étoile filante du Nouveau Front populaire, ou de Thierry Beaudet, président d’un Conseil économique, social et environnemental qui pond des rapports bons à caler les armoires. Pour l’heure, tout le monde s’interroge. Le gouvernement tiendra-t-il ? Le cessez-le-feu acté par Madame Le Pen durera-t-il ? Plombée par son endettement, la France évitera-t-elle la mise sous tutelle du FMI ? Autant de débats qui enflamment les médias tout en épargnant l’artificier en chef du chaos : Emmanuel Macron.

C’est bien connu, quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt. Telle est la leçon de l’été, où la dégringolade politique fut inversement proportionnelle aux médailles raflées par Léon Marchand. D’un côté, un nageur en or accumulant les titres sous les vivats de la foule ; de l’autre, un président jouant la montre au bord de la piscine, s’abritant derrière l’éclat du champion national. Durant des semaines, le pays a vibré au son d’une Marseillaise recouvrant la sombre vérité : Emmanuel Macron a crucifié nos institutions. Jadis, le président battu devait partir. C’est ce que fait de Gaulle en 1969, démissionnant le soir même de son référendum perdu. Un départ annoncé en deux phrases d’une austérité d’ecclésiaste : « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi ». En 1986, Mitterrand est le premier à corrompre l’usage, se maintenant malgré sa défaite aux législatives. Ainsi naît la cohabitation, où Matignon est offert sur un plateau à la majorité contre-présidentielle. Puis cette pratique anti-gaullienne se mue en norme. Par trois fois en onze ans, le président appelle à ses côtés un Premier ministre de l’autre bord – Jacques Chirac, Edouard Balladur et Lionel Jospin. Mieux vaut partager le pouvoir qu’abandonner l’Élysée. Cette année, dans la touffeur de l’été, Emmanuel Macron a inventé une nouvelle pratique : perdre sans cohabiter. Malgré sa déroute aux européennes – dans lesquelles il s’est personnellement engagé –, le fiasco du premier tour des législatives – où son camp était aux abois –, et l’instabilité d’un parlement divisé en trois blocs – avec une Macronie canal historique réduite à peau de chagrin –, il a choisi, non seulement de rester, mais de caster son Premier ministre façon Nouvelle Star. D’Olivier Faure à Bernard Cazeneuve, de Laurent Berger à Xavier Bertrand, tous ont cru poser leurs valises à Matignon. Le chef de l’État, en pleine crise de légitimité, a multiplié les ballons d’essai. Avant d’enchaîner les entretiens tel un banal DRH.

À première vue, les apparences sont sauves. Si les Français ne rêvaient probablement pas de Michel Barnier, son style sans affect, sa sobriété de vieux loup de mer tranchent avec les rodomontades du nouveau monde macronien. Quarante ans après le tournant de la rigueur, place au tournant de la raideur ! Il n’empêche. L’ancien commissaire européen, l’ex-candidat aux primaires de la droite battu par Valérie Pécresse, est le choix d’un président contesté comme jamais. En 1958, de Gaulle voulait une République fondée sur la légitimité du chef. Pas de leader qui tienne sans soutien populaire. En 2024, Emmanuel Macron inaugure une présidence dégagée de cette vieille contrainte du suffrage. Libre de faire comme si les élections n’avaient pas eu lieu. Il n’y a pas si longtemps, on appelait ça pourtant : la démocratie.

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Ghislain Benhessa est docteur en droit public et titulaire d'un master en philosophie. Il est avocat et enseignant à la faculté de droit de l'Université de Strasbourg. Il est l'auteur de « L’État de droit à l’épreuve du terrorisme » (Editions de l’Archipel, janvier 2017). Dernière publication "Le Totem de l'Etat de droit" (éd. L'Artilleur, novembre 2021)

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